À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Valérie Simard, Mathieu Pilon et Marie-Michelle Blouin, « Maternal Lack of Sleep in the First Two Years After Childbirth: Perceived Impacts and Help-Seeking Behaviors », publié en 2021 dans le Infant Mental Health Journal, vol. 42.

  • Faits saillants

  • Le manque de sommeil chez les parents d’un enfant en bas âge affecte la relation de couple, de même que la qualité de vie et le sentiment de bonheur des individus.
  • Les parents qui croient que tous sauf eux sont capables d’endormir un enfant vivent encore plus difficilement les conséquences de leur propre manque de sommeil.
  • La documentation remise aux nouveaux parents aborde peu leurs préoccupations sur le sommeil de l’enfant, si bien qu’ils se tournent vers d’autres sources d’informations.

Bientôt trois mois que vous vous levez aux deux heures, chaque nuit, pour prendre soin de votre enfant. Vos batteries sont à plat. Les cernes se creusent sous vos yeux. Les petits défauts de votre partenaire semblent décuplés. Pour les parents de jeunes enfants, les conséquences du manque de sommeil sont nombreuses, et les conseils pour y remédier, limités. Quelles avenues privilégier pour aider les plus fatigués à trouver le repos convoité? Mieux informer les parents en amont, mais également cibler et aider les plus affectés.

Valérie Simard, Mathieu Pilon et Marie-Michelle Blouin, respectivement professeure, professeur et doctorante au département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, veulent connaître les sentiments des parents de jeunes enfants face au manque de sommeil. À l’aide d’un sondage en ligne, 932 mères se confient sur les impacts du manque de sommeil sur leur vie et sur leurs préoccupations concernant le sommeil de leur enfant[1].

Manque de sommeil, de patience, d’intimité…

L’impatience monte devant les blagues de mauvais goût, les bols qui trainent, ou l’impression de répéter? Pas de doute, le manque de sommeil frappe! Près de quatre mères sur cinq constatent que le manque de sommeil a un impact négatif ou très négatif sur leur vie de couple. C’est même la sphère la plus affectée, constate l’équipe de recherche.

Pourquoi la fatigue postpartum est-elle si dure sur la vie amoureuse? Parce qu’elle favorise les émotions négatives et nuit à la capacité de rationaliser des individus, selon les spécialistes du sommeil chez l’enfant et les parents. Par exemple, il est beaucoup plus difficile pour un parent fatigué de prendre en compte le point de vue de son ou sa partenaire, une compétence pourtant essentielle lorsqu’il faut s’occuper à deux d’un nouveau-né. Les parents fatigués ont aussi tendance à surestimer la qualité du sommeil de leur douce moitié, ce qui peut engendrer son lot de frustration. 

D’autres sphères de la vie des parents sont aussi affectées. Plus de 75 % des mères estiment que le manque de sommeil joue sur leur qualité de vie, notamment leur vitalité, leur capacité de répondre aux attentes de la société et leur santé mentale. Plus de la moitié disent voir un impact négatif sur leur bonheur, ce qui peut s’accompagner d’un sentiment de culpabilité, alors même que la naissance devrait plutôt être synonyme de grande joie.

Fatigue et manque de confiance en ses compétences : un cercle vicieux?

Si le manque de sommeil est une épreuve pour de nombreuses mères, pour certaines, c’est carrément mission impossible. Les mères qui se sentent moins compétentes sont aussi celles qui rapportent les effets les plus négatifs du manque de sommeil. Les chercheurs appellent ce sentiment le manque d’auto-efficacité parentale. 

Pourquoi ce cocktail est-il si explosif pour ces parents? Parce que la question du sommeil est synonyme de perte de contrôle : les parents ne peuvent échapper aux réveils nocturnes de leur enfant ni savoir quand ils retrouveront le sentiment d’être reposés. Et les mères qui sentent que tous, sauf elles, savent comment endormir leur poupon se sentent encore plus démunies. Conséquence? La détresse s’installe plus profondément. 

Développer cette confiance en ses propres moyens face au sommeil de son enfant devient donc une piste d’intervention intéressante pour leur venir en aide. Mais d’ici là, où vont les parents pour se faire rassurer?

Le Web et les spécialistes à la rescousse?

Laisser pleurer son enfant la nuit ou non? Que faire des réveils nocturnes? Combien de siestes par jour, et combien de temps? Même s’il s’agit des principales préoccupations des femmes à propos du sommeil de leur enfant, ces dernières constatent que l’information sur ces enjeux manque cruellement dans les ressources publiques. 

Par exemple, plus de la moitié de celles qui ont consulté le guide Mieux vivre avec notre enfant, distribué à chaque nouveau parent au Québec, juge que l’ouvrage est peu utile côté sommeil. Même son de cloche du côté de celles ayant suivi des cours prénataux dans leur CLSC : la majorité estime que leurs questions sont restées lettre morte. 

Faute de mieux, la vaste majorité des mères interrogées se tournent vers d’autres sources d’information, dans les livres et sur le Web, et 60 % d’entre elles sont satisfaites de ce qu’elles y trouvent. La moitié ont aussi consulté au moins un spécialiste à ce sujet, comme un médecin, une infirmière ou un ostéopathe, ce qui les laisse satisfaites pour la plupart. 

Des solutions à la portée, vraiment?

L’avidité des mères à chercher de leur côté des solutions pour la qualité du sommeil de leur enfant est signe d’une occasion manquée pour les ressources du réseau public, selon les chercheurs. Ils suggèrent d’abord de bonifier les cours et les ouvrages prénataux de données qui correspondent mieux aux préoccupations des parents. Ils proposent aussi de mettre en place des visites à domicile personnalisées pour les parents souffrant le plus du manque de sommeil. Est-ce que cette solution est réalisable? L’équipe croit que oui. Ne reste plus qu’à trouver un moyen d’identifier les parents qui en ont le plus besoin.


[1] Dans la mesure où seulement une vingtaine de pères ont répondu, l’équipe concentre son analyse sur les témoignages des mères.