«Mercedes avait rencontré Béatrice dans le tramway 52 qui partait du petit terminus au coin de Mont-Royal et Fullum pour descendre jusqu’à Atwater et Sainte-Catherine, en passant par la rue Saint-Laurent. C’était la plus longue ride en ville et les ménagères du Plateau Mont-Royal en profitaient largement. Elles partaient en groupe, le vendredi ou le samedi, bruyantes, rieuses, défonçant des sacs de bonbons à une cenne ou mâchant d’énormes chiques de gomme rose. Tant que le tramway longeait la rue Mont-Royal, elles étaient chez elles […]»

– Michel Tremblay (auteur, dramaturge), extrait de La vieille femme d’à côté est enceinte (1978)


Quelques repères sur la région

Deuxième plus grande ville au Canada, derrière Toronto, Montréal est un des plus importants pôles de recherche universitaire au pays. Elle est également la métropole financière et commerciale du Québec, lieu de résidence de la grande majorité des nouveaux arrivants, et deuxième ville francophone au monde : il va sans dire que Montréal attire et rayonne. De fait, le quart de la population de la province y réside aujourd’hui.

Le sieur de Maisonneuve fonde officiellement « Ville-Marie » en 1642, mais des milliers d’années avant la colonisation européenne, les Autochtones fréquentent déjà le territoire de l’île de Montréal (Tiohtià:ke). D’abord lieu de rencontre entre les Algonquiens, les Hurons et les marchands français, important centre de traite de fourrure sous l’empire français et anglais, carrefour économique et migratoire durant la révolution industrielle XIXe siècle, et finalement, plus importante ville canadienne jusque dans les années 1960, Montréal est riche en histoire et ses réalités politiques, sociales et économiques sont multiples.

Portrait de population

Montréal en croissance

La population de la région de Montréal [1] croît, presqu’autant que la moyenne québécoise. Selon les prévisions, elle augmentera de 16,9 % entre 2011 et 2036, alors que la population du Québec connaîtra une hausse de 17,3 % pour la même période.

Jeune population et population jeune

Montréal est l’une des régions où la population est la plus jeune. En effet, l’âge médian relevé en 2017 est le plus bas (38,7 ans), après le Nord-du-Québec (30,2 ans). En comparaison, celui de l’ensemble du Québec atteint 42,2 ans.

Où sont les jeunes adultes ? À Montréal !

La région compte beaucoup de jeunes adultes (18-34 ans). En 2017, leur proportion est la plus importante de la province (26,0 %), suivie de près par le Nord-du-Québec (25,8 %). À l’échelle du Québec, cette catégorie de population représente un peu plus d’une personne sur cinq (21,5 %). A contrario, les personnes aînées (65 ans et plus) y sont beaucoup moins représentées. En 2017, alors que la moyenne québécoise des 65 ans et plus atteint 18,5 %, la métropole en compte 16,2 %, ce qui la place derrière le Nord-du-Québec (8,1 %) et l’Outaouais (15,8 %).

Portrait de familles

Un baby-boom qui ne faiblit pas

La région de Montréal accueille la plus grande part des naissances de la province. Selon les estimations, 83 900 enfants seraient nés au Québec en 2017, dont un peu plus du quart, soit près de 22 700, à Montréal.
Les familles avec enfants sont donc nombreuses sur le territoire montréalais. Au Québec, en 2016, les familles avec au moins un enfant à la maison sont majoritaires (57,0 %). Elles le sont encore plus à Montréal (63,3 %), tout juste derrière Laval (65,8 %) et le Nord-du-Québec (73,2 %).
Montréal est aussi l’une des régions qui connaît une hausse du nombre de ces familles. Cela dit, entre 2006 et 2016, bien qu’elle n’accuse pas une baisse de la proportion des familles, comme c’est le cas dans 9 régions du Québec sur 17, la croissance du nombre de familles est tout de même timide (+3,1 %) face à celle des régions de Lanaudière (+8,2 %), du Nord-du-Québec (+8,7 %) et même de Laval (+13,8 %). En moyenne, à l’échelle du Québec, le nombre de familles avec enfants croît de 1,6 %.

Le nombre de familles augmente… mais leur âge aussi !

Les jeunes familles, dont le plus jeune parent a moins de 35 ans, sont peu présentes à Montréal. En 2016, alors que la province compte 22,4 % de jeunes familles, Montréal est la région (19,1 %), derrière Laval (15,8 %), qui enregistre la plus faible proportion.

Une métropole monoparentale

Une grande proportion de familles monoparentales du Québec s’observe dans la métropole (32,4 %). Elle suit les régions de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (33,7 %), de la Mauricie (33,9 %) et du Nord-du-Québec (35,6 %), où la monoparentalité concerne plus de trois familles sur dix. À titre de comparaison, en 2016, près de trois familles sur dix (29,5 %) sont monoparentales au Québec.

Alors que la grande majorité des familles monoparentales ont une femme à leur tête (75,3 %), c’est Montréal qui détient le record dans cette catégorie avec près de 81,7 %. Elle est d’ailleurs la seule région, avec Laval (78,2 %), à présenter des valeurs plus élevées que la moyenne québécoise sur cette tendance.

Mariage et union libre : une histoire de traditions ?

La région présente la plus faible part de familles biparentales qui vivent en union libre. Alors que 14 des 17 régions présentent une moyenne de familles non mariées supérieure à la moyenne québécoise (42,7 %), Montréal (20,8 %), Laval (23,0 %) et l’Outaouais (38,0 %) sortent clairement du lot.

Conditions de vie

Des familles aux faibles revenus

Montréal arrive en tête de peloton lorsqu’il s’agit du nombre de familles vivant avec un faible revenu, une proportion qui atteint 16,2 % en 2016., largement supérieure à celui de la province (9,5 %). Or, l’agglomération de Montréal compte de nombreux arrondissements, ainsi que des villes liées, dont les réalités socioéconomiques sont diverses et distinctes. La proportion de familles à faible revenu n’est assurément pas la même dans les quartiers d’Outremont ou de Ville-Mont-Royal, et dans les quartiers Saint-Michel et Montréal-Nord.

Globalement défavorisée

La population de Montréal est plus défavorisée sur le plan matériel que l’ensemble du Québec. Plus précisément, en 2011, quatre territoires atteignent des proportions particulièrement élevées, au-dessus de 40 % : Parc-Extension (70 %), Saint-Michel (61 %), Montréal-Nord (57 %) et Côte-des-Neiges (42 %). La faiblesse des revenus, de l’emploi et de la scolarité, ainsi que le manque de structures pour favoriser l’inclusion des personnes issues de l’immigration expliquent ces résultats.

De manière générale, près d’un tiers de la population est très défavorisée sur le plan social (34 %). Cependant, à l’instar d’autres régions, d’importants écarts séparent les différents arrondissements de l’île de Montréal. Cette proportion atteint des sommets dans Hochelaga-Maisonneuve (81,1 %), Pointe-Saint-Charles (78,2 %) et Sainte-Marie-Centre-Sud (71,5 %), alors qu’elle est beaucoup plus basse dans des quartiers comme Saint-Léonard (13 %), l’Ouest-de-Île (14 %) et Montréal-Nord (20 %).

[1] La région administrative s’étend sur l’ensemble de l’île de Montréal et sur plusieurs autres îles (Île-Bizard, Île Sainte-Hélène, Île Notre-Dame, Île des Sœurs, Île Dorval, Île-de-la-Visitation, etc.)

Montréal et la recherche

Il va sans dire que la région de Montréal, en sa qualité de métropole, dotée d’une place enviable parmi les plus grandes villes universitaires du pays, compte un grand nombre d’institutions universitaires et de centres de recherche affiliés [1]. Il serait beaucoup trop long d’énumérer ici les nombreuses thématiques de recherche en lien avec les familles montréalaises qui émanent de ces établissements. À des fins de simplification, nous avons rassemblé quelques études abordant les thématiques montréalaises en lien avec l’immigration. Une revue exhaustive des publications de la dernière décennie permet d’ores et déjà d’en mesurer le dynamisme.

Rendre Montréal « inclusive » pour les familles issues de l’immigration

« Terre d’accueil », « terre de destination » : la région de Montréal accueille la plus grande proportion de populations issues de l’immigration, ainsi que de nouveaux arrivants, de tout le Québec. Au-delà des chiffres, quelles sont les réalités de ces familles ? Les tensions sociales et politiques qui concernent la question de l’immigration dans la région métropolitaine sont plus que jamais d’actualité, et font l’objet de plusieurs travaux de recherche. Les études passées et en cours abordent un large éventail de sujets : intégration scolaire des jeunes immigrants, stratégies parentales pour favoriser l’expérience scolaire, ainsi que les différences culturelles dans l’implication parentale. Dans la même veine, les stratégies familiales des personnes immigrantes et leurs impacts sur les femmes, les enjeux familiaux des personnes LGBTQ+ racisées, ainsi que la situation des personnes aînées immigrantes sont aussi l’objet d’un intérêt scientifique grandissant.

Jeunesse immigrante et écoles québécoises : une combinaison gagnante ou incompatible ?

Les écoles jouent un rôle majeur dans l’inclusion des jeunes issus de l’immigration. Comment s’adaptent-elles à la diversité ? Répondent-elles aux besoins des élèves qu’elles accueillent ? Voilà certaines des questions qui animent plusieurs recherches.

La réussite scolaire de l’enfant récemment immigré dépend beaucoup de la relation élève-école-famille. Dans un contexte où les flux migratoires sont accélérés, les besoins d’accompagnement des enfants et de leur famille sont indispensables. Pourtant, Kanouté et ses collègues (2016) remarquent qu’une communication souvent difficile entre l’école et la famille – exacerbée par des malentendus et autres incompréhensions – jalonne l’expérience des élèves récemment immigrés. Cuko (2016) note également que le fonctionnement de la « classe d’accueil », composée d’élèves qui doivent acquérir les bases du français afin de poursuivre leur parcours scolaire en classe ordinaire, demeure inconnu ou incompris pour plusieurs parents récemment immigrés, malgré leurs grandes attentes et espérances.

La fréquentation des écoles de langue française à Montréal favorise-t-elle le sentiment d’appartenance à la francophonie québécoise ? La question est légitime. En effet, une frontière se construit au secondaire entre « francophones québécois » et « jeunes issus de l’immigration ». Selon Magnan et ses collègues (2016), les jeunes issus de l’immigration estiment maintenir cette frontière par choix, mais le regard majoritaire des francophones québécois la facilite. Qu’est-ce qui peut expliquer cette tendance ? Probablement la socialisation familiale, et les interactions possibles avec d’autres jeunes issus de l’immigration ou des étudiants étrangers. À ce sujet, Dorvil (2017) fait état du profilage racial, de la discrimination systémique du milieu scolaire, et du système de protection de la jeunesse à l’égard des écoliers d’origine haïtienne, ainsi que de leur sentiment de non-appartenance.

Alors, comment adapter les écoles ? Comme le constate Gosselin-Gagné (2018), celles qui conjuguent pluriethnicité et défavorisation, reconnues comme « inclusives », emploient plusieurs stratégies. Leur vision ? S’adapter à la réalité des parents et travailler de concert avec eux, pour améliorer l’expérience scolaire de leur enfant. Fleuret (2014) suggère, pour sa part, la mise en place de programmes de « littératie » qui tiennent compte de l’environnement familial. Une telle démarche favoriserait la socialisation à l’écrit des élèves scolarisés en français de langue seconde à Montréal.

Les jeunes d’origine haïtienne immigrés au Québec après le séisme de janvier 2010 semblent faire preuve d’une grande résilience face à leurs deuils, leurs traumas et les séparations, en s’investissant dans leur cheminement scolaire (Lafortune 2014). Ils arborent une volonté d’apprendre, un amour pour l’école, une valorisation de leurs relations avec leurs amis, ainsi qu’une implication dans les activités scolaires sans pareil (Vincent 2014).

Réussite scolaire: l’importance de l’implication parentale

Les défis de l’articulation école-famille-communauté intéressent plusieurs chercheurs et chercheuses. Comment les parents issus de l’immigration et dont le français n’est pas la langue maternelle s’impliquent-il dans l’éducation de leurs enfants qui fréquentent une école primaire francophone ?

Les parents récemment immigrés sont mobilisés et proactifs dans le parcours scolaire de leurs enfants. Charette (2016) constate, par exemple, qu’ils préparent l’enfant à l’entrée à l’école québécoise en lui payant des cours particuliers de français, instaurent des exercices scolaires supplémentaires, choisissent l’école en dehors de celle assignée par la commission scolaire, et optent pour l’option privée malgré des moyens financiers souvent restreints. En revanche, la chercheuse remarque que le milieu scolaire ne reconnait pas cet engagement parental. Lewis (2015, 2018) s’intéresse quant à lui, à l’implication des parents originaires des Caraïbes anglophones. Ces derniers construisent des réseaux sociaux, affichent leurs connaissances des établissements, encouragent certains types d’alphabétisation, notamment celle spirituelle, et prennent la défense de leurs enfants. L’auteur observe cependant un silence sur le racisme dans les autorités scolaires canadiennes, majoritairement blanches. Les parents luttent contre le racisme et protègent leurs enfants, en dépit des structures scolaires qui limitent leur pouvoir d’action. Comment ? En leur apprenant à détecter, documenter et nommer les idéologies racistes. Ainsi, d’après l’auteur, les parents prennent la responsabilité de sensibiliser les jeunes à cet enjeu, chose que le personnel enseignant ne fait pas activement.

Qu’en est-il, cette fois, des différences entre les parents nés au Canada, en Afrique du Nord et dans les Antilles ? Tardif-Grenier et Archambault (2017) étudient la relation entre l’implication parentale dans le suivi scolaire, le rendement et l’engagement scolaire d’élèves du primaire et notent des différences selon leur origine. Sur cette même question, Bissonnette (2016) étudie les éléments communs et les différences entre les familles issues de l’immigration hispanophone et sinophone, et les familles francophones de Montréal. Les parents francophones ont un profil globalement favorable à l’engagement scolaire, car ils ont une connaissance de la langue d’enseignement, sont plus éduqués, et possèdent un capital économique, social et culturel élevé. En dépit d’un profil relativement comparable entre parents hispanophones et francophones, des différences notables s’observent. Les parents hispanophones connaissent moins bien la langue d’enseignement, sont souvent moins éduqués, et ont un capital économique et social un peu moins élevé que les francophones. En revanche, les parents sinophones sont désavantagés par leur situation, ce qui les rend moins propices à l’engagement parental. Plus en marge, alors même s’ils sont scolarisés, ils connaissent significativement moins le français, et ont un capital économique, social et culturel également moins élevé. Bakhshaei (2014) réfléchit plus particulièrement à l’expérience scolaire des filles québécoises originaires d’Asie du Sud, afin d’expliquer leur meilleur taux de diplomation que celui des garçons de même origine. La chercheuse note qu’elles font face à plus de difficultés que les garçons dans leur processus d’adaptation. Leurs parents les contrôlent davantage et, de ce fait, elles passent plus de temps à la maison. Malgré tout, elles expriment des sentiments positifs à l’égard de l’école parce qu’il s’agit de leur seul lieu de liberté et de socialisation. À cette pression supplémentaire s’ajoute l’obligation de réussite pour ces jeunes filles, ainsi mandatées pour garantir l’honneur de la famille.

Outre l’implication des parents dans la réussite scolaire, la compréhension des inégalités de parcours postsecondaires des jeunes issus de l’immigration, et du rôle de la socialisation familiale dans les choix d’orientation est un autre enjeu important. Lasry et Trân (2018) s’intéressent à la perception de l’autorité parentale de jeunes adultes (18-25 ans) immigrants de deuxième génération d’origine vietnamienne. Ils interprètent une autorité parentale permissive ou ferme comme une forme de soutien parental élevé, peu importe qu’elle vienne du père ou de la mère. Une perception plutôt positive donc, qui contribue à une estime de soi plus élevée. L’analyse de Magnan et ses collègues (2017) révèlent que les jeunes issus de l’Afrique subsaharienne, des Caraïbes et de l’Amérique centrale et du Sud se construisent davantage dans une dynamique parentale qui privilégie l’autonomie des jeunes, comparativement à leurs pairs d’origine européenne, anglo-saxonne et asiatique.

Stratégies familiales immigrantes et qualification professionnelle

La déqualification professionnelle des personnes immigrantes est une question délicate qui ne résulte pas uniquement de la non-reconnaissance des diplômes étrangers par les institutions québécoises. Chicha (2012a, 2012b) explique que le système d’accréditation professionnelle, les pratiques discriminatoires des employeurs et les obligations familiales sont tout aussi responsables. En outre, la stratégie adoptée par les familles immigrantes joue en défaveur des femmes qui détiennent un diplôme universitaire acquis à l’étranger.De quelle façon ? La chercheuse note trois types de stratégies familiales : la prééminence à la situation professionnelle du conjoint, l’importance égale aux deux conjoints, et la priorité à la situation professionnelle de la conjointe. La stratégie la plus commune consiste à prioriser le conjoint dans son parcours d’intégration professionnelle. Les femmes se résignent alors à retarder leur propre projet, et finalement renoncent à faire reconnaitre leurs diplômes. En conséquence, elles exercent souvent des emplois peu qualifiés pour apporter leur pierre à l’édifice budgétaire de la famille, pendant que leur conjoint revalorise ses diplômes. En revanche, parmi les femmes qui n’ont pas subi de déqualification, on remarque que les deux partenaires sont le plus souvent sur un pied d’égalité, ou bien qu’elles sont célibataires et sans enfants à leur arrivée à Montréal.

Relations familiales et personnes LGBTQ+ racisées

L’immigration au Québec, pour les personnes homosexuelles et pour celles qui demandent l’asile, est une expérience complexe. Chbat (2017) aborde les tensions que vivent les personnes LGBTQ+ d’origine libanaise. Souvent impliquées au sein d’un organisme militant pour les droits des minorités sexuelles et racisées, elles oscillent entre les discours identitaires occidentaux d’émancipation, et ceux orientaux, plutôt conservateurs de leur famille. Plusieurs adoptent une identité mixte, font leur coming out à une partie de leur entourage, mais pas nécessairement au sein de leur famille. L’auteure note que certaines personnes homosexuelles, qui évitent les comportements plus transgressifs en matière d’identité de genre, conservent plus facilement des liens cordiaux avec leur famille. En revanche, les personnes queer qui ne répondent aux attentes en matière de genre se retirent ou se distancient plus souvent de leur famille ou de leur communauté ethnique. Ces propos vont dans le sens des résultats de l’étude d’El-Hage et de ses collègues (2016), qui expliquent que, pour les personnes LGBTQ+ racisées de Montréal rencontrées, avoir une orientation sexuelle ou une identité de genre hors-norme n’est pas souvent bien accueillie par les membres de la famille. Quel est l’enjeu ? La préservation de l’honneur familial. Et malheureusement, comme le mentionnent les chercheurs, s’éloigner de la famille est bien souvent leur seule option.

Les espaces publics et l’expérience de l’immigration

Comment assurer une cohabitation interculturelle urbaine inclusive ? Les espaces publics, surtout les parcs de quartier, sont des lieux privilégiés par les familles dans l’expérience de la diversité et l’apprivoisement de la différence. Dans cette optique, Jean (2017) s’intéresse à deux quartiers dits de « classe moyenne », Ahuntsic à Montréal et Vimont-Auteuil à Laval, de la grande région de Montréal. La « convivialité » prime dans ces espaces publics, mais certains inconforts demeurent entre les familles immigrantes et « natives », surtout en ce qui a trait à la religion ou à l’éducation. En revanche, la participation dans les réseaux communautaires, tant des « natifs » que des immigrants, permet de favoriser des rapprochements sociaux. Les familles immigrantes ont tendance à occuper l’espace des parcs en groupe, alors que les populations natives viennent seules, en famille ou en plus petits groupes.

Dans une autre optique, le contact avec la nature dans les milieux urbains est bénéfique pour le bien-être physique et mental des populations issues de l’immigration récente. Hordyk et ses collègues (2015) notent que ces familles accèdent aux espaces verts et aux activités de plein air pour promouvoir le développement physique et émotionnel, tant des parents que des enfants. Souvent contraintes de s’installer dans des quartiers où le logement est inadéquat et insalubre, elles rencontrent aussi des difficultés pour être reconnues en milieu de travail ou scolaire. Ces contacts avec la nature sont une bouffée d’air frais, qui leur offre un répit, un moment de détente et de plaisir, face à leurs préoccupations quotidiennes.

Rapports familiaux et personnes aînées immigrantes

Les recherches québécoises sur les personnes aînées en contexte migratoire à Montréal sont peu nombreuses. Cela dit, les travaux de Hsu (2014) et El-Hage (2016) émettent des pistes de réflexion sur leur construction identitaire dans la société d’accueil. Dans son étude, Hsu (2014) rappelle que le quartier chinois de Montréal est plus qu’un lieu touristique : c’est un « chez-soi » pour plusieurs femmes aînées chinoises qui ne parlent pas, ou très peu, le français ou l’anglais. L’auteure explique que le sentiment d’inclusion et d’appartenance à la société d’accueil est subjectif et émotionnel. En effet, l’intégration des femmes interrogées n’est pas liée à l’apprentissage d’une langue officielle, ou à l’adoption de la manière de vivre des personnes « natives ». Ces femmes ont décidé de déménager dans le quartier chinois dans le but de se garantir un bien-être et une autonomie individuels, après avoir soutenu leurs enfants et leurs petits-enfants dans leur quartier respectif au début de leur processus d’immigration. À leur arrivée au Québec, elles prennent conscience des normes culturelles familiales très différentes : désirant un milieu de vie intergénérationnel, elles se sont heurtées au modèle de famille nucléaire qui prime dans les pays occidentaux. Enfin, à la lumière de ces récits, Hsu suggère que les politiques publiques reconnaissent le caractère résidentiel du quartier chinois de Montréal, et agissent pour améliorer la qualité de vie des gens du quartier (améliorer les services d’assistance linguistique, l’offre de logements sociaux, la présence d’espaces extérieurs verts ou de parcs, ainsi que l’offre d’options alimentaires plus saines). El-Hage (2016) insiste sur l’importance des rapports familiaux dans la construction identitaire des personnes aînées d’origine libanaise de Montréal qui proviennent de différentes périodes d’immigration, allégeances professionnelles et classes sociales. En effet, la famille est au cœur du projet migratoire, puisque les personnes interrogées affirment avoir quitté leur pays d’origine pour suivre leurs enfants. Bien que la raison principale de l’immigration repose sur la réunification familiale dans un pays sûr, l’auteur constate que les personnes aînées entretiennent un rapport plus sain et détaché avec leur famille, car elles considèrent que leur société d’accueil leur donne accès à des projets personnels, ainsi qu’à une liberté individuelle nouvelle.

De la nécessité d’une approche interculturelle en intervention

Les systèmes de santé et de services sociaux doivent tenir compte de la réalité des familles immigrantes aux prises avec des conflits intergénérationnels et culturels. Une telle perspective permettrait de mettre en œuvre une intervention interculturelle adaptée auprès des femmes et des filles victimes de violences basées sur l’honneur à Montréal, ainsi que dans les situations de mariage forcé (Jimenez et Cousineau 2016 ; Lamboley, Jimenez et al. 2014). Les chercheuses soulignent qu’aucun véritable service d’aide adapté aux femmes immigrantes mariées de force, ou menacées de l’être, n’existe à ce jour au Québec.

Considérant qu’une part importante des familles qui utilisent les services de périnatalité sont nées à l’extérieur du Canada, Andy (2016) souligne l’importance de l’adaptation des pratiques de soin des infirmières aux conditions, pratiques et croyances des familles issues de l’immigration. En effet, des entretiens avec des infirmières en suivis postnatals à domicile dans le milieu multiculturel de Bordeaux-Cartierville-Saint-Laurent à Montréal montrent que ces dernières négocient les normes de la santé publiques pour adapter leur pratique et répondre aux besoins des populations qu’elles rencontrent. Cette ouverture permet de conjuguer harmonieusement le mandat infirmier avec la culture des usagères, qui ne partagent pas nécessairement les mêmes valeurs de prévention et de promotion des « saines habitudes de vie » promues par la santé publique du Québec.

Là où foisonne la recherche

Les recherches qui portent sur les réalités des familles de la métropole québécoise sont nombreuses. Même une seule thématique générale, comme l’inclusion des personnes issues de l’immigration, est abordée sous plusieurs angles. Cela dit, au regard de certains enjeux actuels et des recherches existantes, plusieurs autres pistes de recherche auraient pu être abordées comme la mobilité résidentielle des familles, la précarité résidentielle, ou encore les disparités socioéconomiques entre familles de différents arrondissements. Tout d’abord, la rétention des familles sur le sol montréalais, par l’accès à l’achat ou à la rénovation d’une propriété, l’amélioration des milieux de vie et la construction de logements sociaux, est une préoccupation de longue date. En effet, le départ des familles hors de l’île s’inscrit dans la poursuite de l’étalement urbain débuté dans les années 1960, avec la création de la banlieue. Pourquoi la présence de familles dans la région métropolitaine est-elle importante (Chantal et Wesler 2015) ? Quels sont les facteurs qui influencent le choix de résidence des nouvelles familles ? Quelles sont les caractéristiques des personnes qui migrent de l’île de Montréal vers les banlieues (Marois et Bélanger 2013b) ? Enfin, quels sont les obstacles qui empêchent les jeunes familles de demeurer à Montréal (Gill 2015) ? Autant de réflexions amorcées dans d’autres études qui font état des enjeux contemporains dans la ville aux mille clochers.

Entre Mont-Royal et Parc-Extension : qui dit grande ville, dit aussi grandes inégalités économiques. Malgré certains îlots de richesse, un taux élevé de la population de Montréal se trouve en situation de pauvreté et de précarité. Comment expliquer ces écarts ? Quels sont les besoins des quartiers montréalais moins favorisés (Heck, René, & Castonguay 2015 ; Landry, Ayotte, & Gross 2014) ? Comment améliorer la situation résidentielle, économique et sociale des personnes en situation de précarité (Caron 2012) ? Des questions auxquelles les chercheurs et chercheuses se doivent de trouver des réponses, dans la mesure où les grandes villes deviennent de plus en plus inégalitaires.

[1] L’Université de Montréal (UdeM), l’Université du Québec à Montréal (UQAM), l’Université McGill, l’Université Concordia, l’École de technologie supérieure (ETS), l’École nationale d’administration publique, l’École des hautes études commerciales (HEC), l’École Polytechnique, ainsi que le Campus Longueuil de l’Université de Sherbrooke.

Bibliographie par section

Quelques repères pour la région

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Portrait de la population

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Portrait des familles

Ministère de la Famille. (2018). « Coup d’œil régional sur les familles. Les régions administratives et les MRC du Québec qui se distinguent sur le plan sociodémographique en 2016 », Bulletin Quelle famille?, vol. 6, no 3.

Conditions de vie

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