On va rouler toute la nuit, tous les deux
Partir comme un vieux couple, en amoureux
Rouler tout le long d’la Baie, su à 132
Découvrir ce coin de pays qu’y é la Gaspésie
Il roule ben mon vieux char
On est d’jà rendu à Rivière-au-Renard
Matane, Saint-Anne, Tite et Grande Vallée sont d’jà passées
On n’est pas bin loin du Rocher Percé
Pis d’la ville de Gaspé
À Grande-Rivière ou Chandler on arrêtera gazer 

– Irvin Blais (chanteur), extrait de Gaspésie (2010) 


Quelques repères sur la région

La Gaspésie, cette péninsule qui se jette dans le fleuve Saint-Laurent et la Baie-des-Chaleurs, est le berceau de la nation autochtone micmac, qui lui donne le nom « Gespeg », signifiant « la fin des terres ». La région est aussi composée d’un archipel d’îles situées dans le golfe du Saint-Laurent : les Îles-de-la-Madeleine, des terres marquées par un exode en plusieurs actes. Celui des Acadiens tout d’abord, qui s’y installent pour échapper à la déportation (1755). Puis, celui des Madelinots qui fuient la rivalité coloniale entre Français et Anglais et qui fondent de nouveaux villages dans le Québec continental, notamment en basse Côte-Nord. L’économie de la Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine dépend longtemps de la chasse aux phoques et de la pêche à la morue, puis, de la foresterie, industries aujourd’hui en déclin. Encore et toujours marquée par le phénomène de l’exode, la région est mal intégrée à l’économie du reste du Québec. Peu d’emplois, population en baisse et vieillissante : un lot de défis important pour la région. Mais la diversification de l’économie, stimulée notamment par une activité touristique estivale, mais aussi par le mouvement des néoruraux, ces citadins qui font le choix d’y déménager, pourrait bien amener un brin d’espoir pour l’avenir.

Portrait de population

La Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (GIM) se vide, et sa population est de plus en plus vieillissante. Comme dans bien d’autres régions éloignées des centres urbains, voilà deux défis démographiques de taille.  

Toujours une terre d’exode 

Le nombre d’habitants diminue année après année, et les projections ne sont guère plus reluisantes. En effet, la population devrait diminuer d’environ 4 % entre 2011 et 2036 : la plus importante baisse démographique du Québec. En revanche, la population de l’ensemble de la province devrait augmenter de 17,3%.

Une région de plus en plus poivre et sel 

Carte des différentes régions de la Gaspésie-Iles-de-la-Madeleine. Crédit: Institut de la statistique du Québec

Et ceux qui restent? Ils sont de plus en plus vieux. En fait, en 2018, c’est la région dans laquelle l’âge moyen est le plus élevé (48,2 ans), alors que pour l’ensemble de la province, il est de 42,3 ans. Ici aussi, les projections laissent entrevoir que l’écart avec la province pourrait s’accentuer dans les prochaines décennies.

Sur le plan démographique, c’est la région des extrêmes. En 2018, elle compte la plus faible proportion de jeunes de 0 à 19 ans (16,2%) et la proportion la plus élevée de résidents de 65 ans et plus de la province (26,5%). 

Portrait de famille 

Moins de familles, moins d’enfants 

Le nombre de familles avec enfant fond à vue d’œil. Entre les recensements de 2006 et 2016, il a chuté de 16,6 %, la plus importante baisse de la province, laquelle a plutôt connu une hausse de 1,6 %. De surcroît, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine affiche les plus faibles taux de familles avec enfant d’âge préscolaire (21 %) ou avec poupon (6,6 %).  

Des familles moins nombreuses 

Dans l’ensemble de la région, les familles ont peu d’enfants, et celles qui en ont plusieurs… sont plutôt rares. En 2016, parmi les familles qui ont des enfants à la maison, plus de la moitié (57,4 %) n’en ont qu’un, alors qu’à l’échelle du Québec, les familles avec un seul enfant comptent pour 45,8 %. La Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine arrive au dernier rang provincial pour sa proportion de familles avec trois enfants ou plus (10%), alors que la moyenne québécoise est une fois et demie plus grande (15,6%). 

Qui dirige les familles? 

Ici, les parents seuls ou en union libre sont très présents. En 2016, un peu plus d’une famille sur trois (33,7 %) est dirigée par un seul parent, une proportion parmi les plus élevées de la province. La région fait aussi partie de celles où l’union libre domine le paysage. Près de six couples sur dix choisissent ce type d’union plutôt que le mariage, alors que la moyenne québécoise est d’un peu plus de quatre familles sur dix. 

Conditions de vie 

Moins de diplômés 

La Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine affiche une des plus grandes proportions de population sans diplôme. En 2016, plus d’une personne sur cinq (22,8 %) n’a aucun diplôme, soit près de 10 points de pourcentage de plus que la moyenne provinciale. 

Le problème du chômage 

Si le rocher Percé est indissociable de la Gaspésie, un autre mot vient malheureusement en tête lorsque l’on pense à la région : chômage. Le tourisme, bien qu’il attire les foules pendant la saison estivale, n’arrive pas à combler les besoins en emploi. Résultat : le plus haut taux de chômage (11,7 %) au Québec, près du double de la province (6,1 %). 

Des revenus familiaux inégaux  

Le revenu des familles de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est similaire à celui de l’ensemble du Québec, mais quelques écarts s’observent. En effet, en 2016, 8,4% de l’ensemble des familles de la région ont un faible revenu, alors que la proportion atteint 9,5% dans la province. Cela dit, selon les MRC de la région, la situation diffère : alors qu’il est de seulement 5,7% dans La Côte-de-Gaspé, le taux de faibles revenus des familles atteint 13,1% dans Avignon, largement au-dessus de la moyenne québécoise.   

Ensemble, contre vents et marées 

Les Gaspésiens et Madelinots vivent peut-être de peu, mais ils sont tricotés serrés. C’est du moins ce qu’on peut tirer de l’indice de défavorisation matérielle et sociale pour la région. Près de neuf personnes sur dix (88,2 %) vivent une défavorisation matérielle élevée ou très élevée, une des plus hautes proportions de la province. Par contre, lorsque la composante sociale est scrutée, c’est plutôt l’inverse. À peine une personne sur dix (10,6 %) vit de la défavorisation sociale élevée ou très élevée, la deuxième plus basse proportion au Québec. Les diverses formes de solidarité sont donc au rendez-vous dans la péninsule et ses îles.

La Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine et la recherche

Étant donné l’absence d’université sur son territoire, la recherche scientifique sur les réalités familiales de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine est plutôt rare. Elle se limite surtout à des mémoires de maîtrise d’étudiants et étudiantes de l’Université du Québec à Rimouski, qui est la plus proche de la région, et de l’Université Laval. Les études abordées sont liées à trois thématiques : l’histoire de la région et sa population, le problème de rétention de la population, et les enjeux auxquels font face certains groupes sociaux. 

Un peu d’histoire 

L’histoire des populations aux XIXe et XXe siècles attire l’attention des universitaires. Qu’est-ce qui caractérise l’histoire, la démographie et la génétique de la Gaspésie? D’amours (2009) s’est penché sur cette question. Son étude traite du développement démographique en Haute-Gaspésie, sur la Côte-de-Gaspé et dans la Baie-des-Chaleurs, en plus des relations entre les communautés et les trajectoires migratoires. Gauvreau et son équipe (2010) abordent, quant à elles, les parcours des enfants issus de mariages mixtes dans la Gaspésie et la ville de Québec de la fin du XIXe siècle, et les comparent à celles d’enfants provenant de parents de même culture (qualifiés d’endogames). La trajectoire de ces enfants donne ainsi un indice quant aux relations entre les différentes communautés de la Gaspésie de l’époque. 

Partir ou rester? L’enjeu de la rétention

Inciter à rester ou inciter à venir s’installer? Voilà deux côtés d’une même pièce, celle de la rétention de la population. Dans un premier temps, ce sont les facteurs qui favorisent la rétention des jeunes de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine qui sont scrutés à la loupe (Malenfant, 2010). L’auteur montre que les migrants interrogés restent dans la région surtout pour la qualité de vie qu’elle offre. Or, la possibilité de trouver un emploi épanouissant préoccupe les jeunes qui souhaitent rester dans la région. Les relations sociales, comme la présence d’un conjoint ou d’une conjointe, influencent également leur choix. De manière générale, les facteurs principaux qui encouragent la rétention malgré le faible taux d’emploi sont la proximité de la famille, l’ancrage territorial et le désir de vivre une relation de couple épanouissante. 

En plus des relations sociales, les institutions — principalement le cégep — occupent un rôle important dans l’attraction, l’intégration et la rétention des personnes migrantes en Gaspésie, en particulier les étudiants internationaux (St-Vincent Villeneuve, 2018). Le cégep favorise l’accès à l’emploi, au réseau social et au logement, ainsi que l’ouverture de la communauté. L’influence de l’administration municipale sur la décision des étudiants de rester ou non à Gaspé est, pour sa part, limitée. L’étudiante-chercheure aborde le parcours de deux douzaines de jeunes adultes immigrants en provenance de l’île de La Réunion, qui ont fait le choix de rester au Québec après leurs études et qui se sont installés dans la région de Rimouski ou de la ville de Gaspé. 

Une précarité plurielle

La précarité résidentielle en Gaspésie est une situation qui en rend plus d’un vulnérable. Quels sont les facteurs qui l’expliquent? La rareté des logements, le coût élevé des loyers, la difficulté d’accès à la propriété, ainsi que la discrimination liée au logement pour certains groupes sociaux expliquent entre autres la situation, selon Lupien (2016) du Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable (CIRADD). À travers des entretiens avec des intervenants, et avec des personnes qui vivent ou qui ont vécu des situations de précarité résidentielles, l’auteur montre que les dimensions sociales, économiques, sanitaires et légales sont imbriquées les unes dans les autres. Pour lui, la solution passe nécessairement par la prise en compte de toutes ces composantes. 

Les liens familiaux sont-ils toujours le facteur clé de protection contre la précarité ? Sont-ils toujours les principaux vecteurs de solidarité sociale? Les personnes âgées ne considèrent pas nécessairement les membres de leur famille comme les principaux acteurs de l’aide reçue. D’ailleurs, certaines n’ont plus de contact avec leurs propres enfants, selon Harvey (2017). Il y a bel et bien un réseau de solidarité dans cette région rurale, mais les personnes âgées interrogées affirment s’entraider surtout entre pairs de la même génération. Les plus jeunes se sentent moins interpellés par les besoins des aînés qui les entourent, d’après l’auteure. 

Entre baisse de population, économie difficile… et attractivité 

Les défis démographiques (exode, vieillissement) et économiques qui attendent la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine doivent-ils forcément entretenir une vision plus négative de l’avenir? Derrière des projections parfois peu reluisantes se cache une lueur d’espoir. En effet, une publication récente de l’Institut de la statistique du Québec montre qu’en 2017-2018, la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine a su bénéficier, au moins un peu, des migrations interrégionales : plus de familles choisissent de s’établir dans la région plutôt que de la quitter! Elle fait donc figure d’exception parmi les régions éloignées des grands centres, car elle affiche un solde migratoire interrégional positif. Le phénomène des néoruraux pourrait-il bénéficier à une région aussi éloignée? Le secteur touristique continuera-t-il de fleurir et de nourrir l’économie gaspésienne? Quelles réalités pour les familles qui habitent aux Îles-de-la-Madeleine? Chose certaine, pour vraiment prendre le pouls de l’impact de ces différentes transformations sur les réalités des familles gaspésiennes de madelinotes, les chercheurs devront se mettre à l’œuvre.

Bibliographie par section

Quelques repères sur la région

Portrait de la population  

Ministère de la Famille. (2018). « Coup d’œil régional sur les familles. Les régions administratives et les MRC du Québec qui se distinguent sur le plan sociodémographique en 2016 ». Bulletin Quelle famille?, vol. 6, no 3.

Institut de la statistique du Québec. (2014). Perspectives démographiques des MRC du Québec, 2011-2036.

Binette Charbonneau, A. ; St-Amour, M. ; André, D.; et Girard, C. (2019). Coup d’œil sociodémographique. Institut de la statistique du Québec, vol. 69. 

Portrait des familles 

Ministère de la Famille. (2018). « Coup d’œil régional sur les familles. Les régions administratives et les MRC du Québec qui se distinguent sur le plan sociodémographique en 2016 ». Bulletin Quelle famille?, vol. 6, no 3.

Institut de la statistique du Québec. (2018). Panorama des régions du QuébecÉdition 2018.

Institut de la statistique du Québec. (2019). Panorama des régions du Québec. Édition 2019.

Conditions de vie 

Institut de la statistique du Québec. (2018). Panorama des régions du QuébecÉdition 2018.

Dubé, N. (2017). La santé et le bien-être de la population de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine – Édition 2017.  Gaspé (Québec) : Direction de la santé publique Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine.

Gravel, M.-A. ; et al. (2016). Positionnement de la région et des territoires de centres locaux d’emploi d’après l’indice de défavorisation matérielle et sociale, 2011 – Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine. Québec : Institut de la statistique du Québec. 

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine et la recherche  

D’Amours, C. (2009). Établissement et évolution des populations gaspésiennes au XIXe et XXe siècles (Mémoire de maîtrise). Université Laval, Département de géographie, Québec (Québec).

Gauvreau, D. ; Thornton, P. ; et Vézina, H. (2010). « Le jumelage des recensements aux mariages du fichier balsac : présentation de l’approche et étude exploratoire des enfants de couples mixtes à la fin du XIXe siècle », Cahiers québécois de démographie, vol. 39, no 2, p. 357-381. 

Harvey, L.-M. (2017). Les réseaux de solidarité des personnes âgées en milieu rural gaspésien (Mémoire de maîtrise). Université Laval, Département de service social, Québec (Québec). 

Lupien, P.-L. (2016). Entre mer et déboires : précarité résidentielle en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, Carleton-sur-Mer. Centre d’initiation à la recherche et d’aide au développement durable (CIRADD), Carleton-sur-Mer (Québec).

Malenfant, É. (2010). La migration des jeunes de la Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine : analyse des facteurs favorisant la rétention des jeunes dans la région (Mémoire de maîtrise). Université du Québec à Rimouski, Département sociétés, territoires et développement, Rimouski (Québec). 

St-Vincent Villeneuve, C. (2018). Le rôle des institutions dans le processus d’intégration et de rétention des diplômés de la réunion à Gaspé et à Rimouski (Mémoire de maîtrise). Université du Québec à Rimouski, Département sociétés, territoires et développement, Rimouski (Québec).