À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume le chapitre de Francine de Montigny, Danaë Larivière-Bastien et Kate St-Arneault, « L’expérience des pères à propos de l’allaitement », publié en 2017, dans Accueillir les pères en périnatalité, France, Éditions Érès, p. 81-89.

  • Faits saillants

  • De façon générale, les pères reconnaissent les bienfaits de l’allaitement, notamment sur la santé et le bien-être de l’enfant.
  • Lorsque l’allaitement se déroule bien, les pères ont le sentiment de faire « tout ce qu’il faut » pour l’enfant et éprouvent de la fierté vis-à-vis de cette « réussite ».
  • Les parents qui vivent des difficultés peuvent ressentir de la culpabilité; ils ont l’impression de ne pas répondre aux attentes de la société.
  • Certains pères ont l’impression de peu contribuer au développement du bébé, voire se sentent exclus de la bulle mère-enfant.

Allaiter ou ne pas allaiter? Pendant combien de temps? Et comment faire en cas de difficultés? Pour trouver réponse à ces questions, les sources d’information sont nombreuses… mais s’adressent presque exclusivement aux femmes. Pourtant, plusieurs études affirment que les mères allaitent moins longtemps sans le soutien de leur conjoint. L’opinion des papas a donc, elle aussi, une certaine importance!

C’est cette expérience des pères qu’abordent les auteures de cette étude. Leur objectif : connaître leur perception des bienfaits et des inconvénients de l’allaitement, de même que ses conséquences sur leur relation avec l’enfant et avec leur conjointe.

Pour ce faire, elles rencontrent et sondent 460 pères québécois entre 2008 et 2014. Parmi eux, 373 avaient eu un enfant allaité pendant au moins six mois; 87 avaient eu un enfant sevré dans les quatre premières semaines. Une dizaine de pères franco-suisses ont également été rencontrés en entrevue individuelle par une collègue des chercheures.

Pour la santé et le bon développement de l’enfant

Les pères comprennent bien les arguments véhiculés par les campagnes de promotion de l’allaitement. Ils sont nombreux à nommer ses effets positifs sur la santé et le bien-être du bébé, tels que la transmission d’anticorps dans le colostrum et la digestibilité du lait maternel.

Certains papas invoquent des bénéfices pour le développement à long terme de l’enfant, tel qu’un meilleur développement cognitif. Quelques-uns vont jusqu’à glorifier l’allaitement et ce, bien au-delà de ses effets connus.

« Je n’ai jamais été malade et j’ai commencé à marcher à 9 mois parce que j’étais allaité. Les enfants qui sont allaités se développent plus vite et ils sont plus en santé. Et aussi ils sont plus intelligents, ils marchent plus vite et parlent plus tôt. »

– Guillaume, père d’un deuxième enfant.

Selon les auteurs, « cette vision de l’allaitement comme la seule option garantissant le bon développement futur des enfants peut s’avérer culpabilisante pour les pères qui vivent l’expérience de difficultés avec l’allaitement, entraînant un sevrage précoce ».

Certains pères, pour leur part, se montrent dubitatifs quant aux bienfaits réels de l’allaitement, en se basant sur leur propre expérience. Ceux qui n’ont pas été allaités « ne s’en portent pas plus mal », et en déduisent que les avantages de l’allaitement ne sont pas si importants.

Une réalité plus difficile que prévu

Selon les pères, la mère retire elle aussi des bénéfices de l’allaitement, telle qu’une relation privilégiée avec l’enfant. Ils sont toutefois peu nombreux à connaître les bienfaits physiques qu’il peut entraîner chez la mère (ex. : perte de poids plus rapide, réduction du stress grâce à la libération d’ocytocine, etc.).

Avant que leur conjointe allaite, les répondants mentionnent qu’ils avaient parfois tendance à idéaliser l’allaitement. Par contre, ils réalisent rapidement qu’allaiter comporte son lot de difficultés pour la mère : fatigue, douleurs, grande disponibilité physique et émotive…

 « Je pensais que c’était instinctif. Je pensais que ça allait être plus simple, qu’un enfant prenait le sein de façon tout à fait naturelle et qu’il allait être nourri. En fait, ce n’était pas du tout le cas. C’est très demandant physiquement. »

– François, père d’un premier enfant.

« Des fois, c’était difficile, ma conjointe est en pleurs, elle a mal, c’est très douloureux, elle est fatiguée. »

– Rémi, père d’un premier enfant.

Des bienfaits pour les pères?

Les pères nomment peu de bénéfices directs de l’allaitement pour eux-mêmes, sinon le simple sentiment d’être un bon parent en ayant choisi cette option. Selon eux, l’allaitement serait aussi une solution pratique et économique.

« Il y avait toutes sortes d’autres choses comme le lait qui est toujours prêt, on n’a pas besoin de le préparer. C’est beaucoup plus économique […]. Le lait est là, il ne coûte pas cher. »

– Mickael, père d’un premier enfant.

Les pères soulèvent toutefois quelques inconvénients; certains d’entre eux se sentent exclus de la prise de décisions.

« Quand l’allaitement ne fonctionnait pas, j’essayais de m’en mêler pour donner des trucs mais, là, maman n’aimait pas cela. »

– Mickael, père d’un premier enfant.

Quelques nouveaux pères éprouvent un sentiment d’inaptitude comme parent, puisqu’ils ne peuvent pas réconforter le bébé lorsqu’il a faim. D’autres ont l’impression de ne pas contribuer au développement de l’enfant, même s’ils sont très engagés dans d’autres sphères de sa vie (ex : jeu, soins, etc.). Certains pères se sentent même moins importants aux yeux de leur conjointe parce qu’exclus de la bulle mère-enfant.

Entre fierté et culpabilité

Lorsque l’allaitement se déroule bien, le couple ainsi que la famille en bénéficient. Les pères éprouvent de la fierté vis-à-vis de cette « réussite »; ils admirent leur conjointe, qui donne de son temps pour le bébé. Ils ont le sentiment d’avoir fait « tout ce qu’il faut » pour leur enfant et se sentent valorisés de répondre aux attentes sociales en matière d’allaitement.

Toutefois, lorsque des difficultés persistent et mènent au sevrage, les parents se sentent coupables. Ils vivent un sentiment d’échec; ils ont l’impression de ne pas répondre aux normes, qui « définissent l’allaitement comme un signe de réussite parentale ».

Nuancer l’information

La majorité des pères reconnaissent les bienfaits de l’allaitement, ce qui démontre que « les campagnes de promotion de l’allaitement [ont] porté leurs fruits ». Toutefois, ils connaissent davantage ses bienfaits que les défis à relever. Selon les auteures, les nouveaux pères gagneraient à recevoir de l’information plus nuancée, qui tienne compte de la diversité des expériences parentales.

Certains papas ont l’impression de peu contribuer au développement du bébé; d’autres ont le sentiment d’être exclus de la bulle mère-enfant. Il serait intéressant de mener une autre étude afin de savoir si ces sentiments sont propres aux hommes, ou s’ils sont aussi présents chez les mères lesbiennes dont la conjointe allaite. Autrement dit, est-ce le sexe du parent ou son rôle auprès de l’enfant qui explique ces perceptions?