À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Laurence Charton, Louis Duchesne, Denise Lemieux et Françoise-Romaine Ouellette, « Un retour des patronymes au Québec, 2005-2010 : au-delà des chiffres, des discours complexes entre égalité, identité et filiation », publié en 2015, dans Cahiers québécois de démographie, vol. 44, n° 1, p. 5-34.

  • Faits saillants

  • Au cours des années 1980, le nom de famille composé a connu une forte progression, mais cette tendance s’est depuis essoufflée au profit du patronyme.
  • Le patronyme est encore et toujours le choix le plus populaire chez les parents québécois, un choix qui peut s’explique par le désir de perpétuer la coutume, mais aussi par une recherche d'égalité entre les conjoints.
  • Certains parents optent plutôt pour un nom composé, ou pour une alternance de nom de famille d’un enfant à l’autre, en se fondant sur un principe d’équité.

Quel sera le nom de famille de l’enfant à naître? Nos parents et grands-parents ne se posaient pas la question : jusqu’au début des années 1980, l’enfant portait le nom de famille du père, le patronyme, ainsi que le voulait la coutume. Avec la réforme du Code civil, en 1981, les parents ont eu le choix : le nom du père, de la mère, ou une combinaison des deux. Pendant les 30 ans qui ont suivi, diverses tendances ont pu être observées au Québec, dont la popularité grandissante du nom de famille composé et, dans une certaine mesure, du matronyme. Le choix du nom de famille soulève des questionnements quant à l’identité, l’égalité et la filiation.

Pour mieux saisir ces tendances, Laurence Charton, Denise Lemieux et Françoise-Romaine Ouellette, toutes trois chercheures au Centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique, ont étudié les données fournies par l’Institut de la statistique du Québec et ont procédé à 25 entrevues avec des parents québécois (15 mères et 10 pères) ayant eu un premier enfant entre 2008 et 2013.

Tendances 1980-2010 : que disent les chiffres?

L’utilisation du patronyme simple prévaut en 1980 : 92,5 % des nouveaux enfants portent alors le nom du père. La réforme d’avril 1981 entraînera une baisse significative de cet usage au cours de la décennie suivante, pour atteindre 71,2 % en 1992. Pour la première fois dans l’histoire du Québec, l’utilisation du matronyme gagne en popularité. Cependant, la baisse de popularité du patronyme se fait surtout au profit du nom composé. Le nom père-mère passe de 0,3 % à 4,5 %; celui mère-père, de 1,5 % à 17,2 %. Puis, cette tendance perd de la vitesse durant les deux décennies suivantes.

Aujourd’hui, l’utilisation du patronyme prédomine encore, mais dans une moindre mesure qu’autrefois (84,9 %) et celle du matronyme est revenue presque au même niveau qu’il y a 30 ans. L‘usage des noms composés a atteint une certaine stabilité. Comment expliquer cette fluctuation dans l’utilisation du matronyme et du nom composé? Les auteures attribuent en partie cette tendance à l’augmentation d’enfants nés de parents immigrants.

« Cette diminution […] est sans doute liée, au moins en partie, à une augmentation des enfants nés de parents immigrants qui conservent peut-être davantage la coutume d’attribuer seulement le nom du père à leurs enfants. Depuis 1990 en effet, la proportion des naissances provenant de parents nés à l’étranger a fortement augmenté : selon les données de l’ISQ (2014), 17 % des enfants nés au Québec en 2010 avaient deux parents nés à l’extérieur du Canada, comparativement à seulement 9% en 1990. »

Le patronyme : toujours grand gagnant

Trente ans après la réforme de 1981, les enfants d’alors sont devenus les parents d’aujourd’hui. Parmi les 25 parents rencontrés, 17 ont donné à leur enfant le nom de famille du père, 5 ont opté pour un nom composé, et 3 ont choisi d’alterner le nom de famille d’un enfant à l’autre. Comment expliquent-ils leur choix? Par le désir de perpétuer la coutume, celui de respecter les rôles des différents sexes ou encore la recherche d’une certaine égalité entre les conjoints. Ces motivations variées illustrent bien la complexité qui se cache derrière le simple choix de donner le nom du père.

La coutume : pour reconnaître le rôle du père

Pour plusieurs parents, le choix du patronyme s’est fait « naturellement », par respect envers la tradition. Cette référence à la coutume, aux traditions, était, selon les auteures, encore plus présente « dans les entrevues avec des personnes d’origine étrangère […] ou de couple mixtes, qui disent que les noms doubles n’existent pas dans leur culture ».

Le choix du patronyme est aussi décrit comme une manière de renforcer l’identité des nouveaux parents. L’identité maternelle est renforcée par le fait de porter l’enfant et d’accoucher. L’identité du père, quant à elle, passe plutôt par l’octroi de son nom de famille et de continuer ainsi la lignée familiale.

« Plusieurs femmes vont, par ailleurs, lier la transmission du nom du père à la reconnaissance de son rôle, évoquant la grossesse et l’accouchement comme constituant déjà une mise en évidence de leur propre statut de mère. »

Les noms composés : le principe d’équité

Près du tiers des parents rencontrés ont choisi un nom composé ou l’alternance de noms d’un enfant à l’autre. Les parents souhaitaient ainsi reconnaître les deux parents et faire preuve d’une certaine créativité, avec un nouveau nom de famille original et parfois unique. Cependant, c’est surtout le désir de vivre selon un principe d’égalité qui anime les parents. Ce même principe est partagé par les parents ayant fait le choix de l’alternance. Pour certains parents, l’alternance est déterminée par le sexe de l’enfant; ainsi, les garçons portent le nom du père; les filles, celui de la mère. D’autres adoptent l’alternance de style « à tour de rôle » : par exemple, le premier enfant porte le matronyme; le second, le patronyme; et ainsi de suite. Certains parents choisissent des prénoms en lien avec leur famille pour compenser l’octroi du nom de famille du conjoint. Par exemple, l’enfant portera le prénom d’un de ses grands-parents maternels.

Le futur le dira

Malgré une forte croissance des noms de familles composés pendant les années 1980-1990, l’usage du patronyme demeure encore aujourd’hui le choix le plus répandu. Une coutume bien ancrée au Québec. D’autres parents fondent plutôt leur choix sur la nécessité de vivre selon des principes d’égalité. Il est difficile de tenter de prévoir les tendances à venir. Plusieurs études récentes montrent que les hommes québécois croient de plus en plus à la nécessité d’un partage égalitaire des tâches familiales. Ce souci grandissant d’égalité se traduira-t-il par un regain de l’utilisation des noms composés?