À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de David Pelletier, « Combien d’enfants en double résidence ou en garde partagée ? Sources et mesures dans les contextes québécois et canadien », publié en 2017, dans Cahiers québécois de démographie, vol. 46, no° 1, p. 101-127.

  • Faits saillants

  • Le nombre d’enfants en garde partagée au Québec augmente et il est plus élevé que dans le reste du Canada.
  • Combien sont-ils? Bonne question! Les outils statistiques ne permettent pas de donner une réponse précise.
  • Les enquêtes statistiques devraient intégrer les points de vue des deux parents et celui de l’enfant, afin d’obtenir un portrait fiable du phénomène de garde partagée des enfants québécois.

Henri vit chez sa mère, Aïda passe la fin de semaine chez son père et Marianne vit une semaine sur deux chez chacun de ses parents. Ces situations sont loin d’être exceptionnelles : près de la moitié des enfants québécois nés à la fin des années 1990 ont vu leurs parents se séparer avant l’âge de 15 ans. La garde partagée, ou double résidence, est de plus en plus populaire auprès des parents. Combien d’enfants québécois sont donc en garde partagée aujourd’hui ? Si la question paraît simple, la réponse est loin de l’être.

C’est cette question qui anime l’étude de David Pelletier, chercheur postdoctoral en démographie au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique. Pour y répondre, il compare différentes sources statistiques québécoises[1] et canadiennes[2], ainsi que des données administratives et judiciaires[3] comprenant des informations sur la résidence des enfants, après la séparation de leurs parents.

À la lumière des résultats, certains chiffres sont sans équivoque : la garde partagée est en hausse, et ce, davantage au Québec que dans le reste du Canada. Or, impossible de connaître la proportion précise d’enfants québécois en double résidence. Le problème? Pour l’auteur, il se trouve du côté des outils statistiques…

La garde partagée en hausse au Québec

Au Québec spécifiquement, la proportion d’enfants en garde partagée a plus que triplé entre 1997 et 2009, selon le ministère de la Justice. Auparavant, la garde de l’enfant, en cas de séparation, allait exclusivement à l’un des parents, et souvent à la mère. Bien que les gardes exclusives reviennent encore aujourd’hui majoritairement aux mères, M. Pelletier note une baisse de cette tendance. De l’autre côté, il observe une augmentation des gardes partagées, une option de plus en plus choisie par les parents qui se séparent.

La garde partagée a la cote… surtout au Québec

Les parents québécois choisissent davantage la garde partagée que les parents du reste du Canada. En fait, la proportion d’enfants en garde partagée est trois à quatre fois plus élevée dans la Belle province que dans le reste du pays, selon deux enquêtes utilisées par l’auteur.[4] Pourquoi le Québec se distingue-t-il? Le chercheur avance quelques hypothèses, sans pour autant avoir de réponse précise.

Les cadres juridiques distincts du Québec et des autres provinces canadiennes y sont peut-être pour quelque chose. L’auteur rappelle qu’au Québec, le Code civil présume qu’en cas de séparation, la garde sera partagée, ce qui n’est pas le cas dans le Common law.

D’autres éléments du système judiciaire pourraient être en cause, selon Pelletier. Les juges québécois octroieraient-ils davantage la garde partagée dans leur évaluation de l’intérêt de l’enfant après une séparation? La médiation familiale se serait-elle plus rapidement institutionnalisée au Québec? Voilà plusieurs questionnements soulevés par l’auteur, qui ne peut cependant offrir de réponse.

Les enfants en garde partagée : les oubliés des statistiques

À quel point la garde partagée est-elle plus courante? Sait-on combien d’enfants québécois partagent leur temps également entre les résidences de leurs parents? Bien que le phénomène gagne en ampleur, aucune source québécoise ou canadienne ne présente de chiffres précis et fiables de la situation. En fait, les différentes enquêtes donnent des estimations avec des écarts importants. Par exemple, selon l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec, 16% des jeunes Québécois de 12 ans dont les parents sont séparés passent la moitié de leur temps avec chacun de leur parent. Or, cette proportion atteint presque 44% dans les Enquêtes sur la santé des jeunes du secondaire de l’Institut de la statistique du Québec.

« Devant l’ampleur des écarts, il peut être prudent d’éviter de donner une réponse définitive à la question de départ afin de mettre en relief l’aspect trop partiel de nos connaissances actuelles. »

Qu’est-ce qui explique ces écarts ? Selon l’auteur, la définition exacte de la « garde partagée » et le point de vue des répondants, sont deux biais statistiques non négligeables. Ainsi, les définitions utilisées varient énormément entre les différentes enquêtes.  Qu’entend-on par « garde partagée »? La manière dont une enquête la définit pourrait être considérée par une autre enquête comme une garde exclusive à la mère.

De plus, les études disponibles actuellement n’enregistrent que la perspective du répondant alors que, selon son identité (mère, père, enfant), la définition de la garde partagée peut être bien différente. Les pères répondant aux enquêtes déclarent souvent passer plus de temps avec leurs enfants, ce que ne confortent pas leurs ex-conjointes. Quant aux mères, elles ne sont pas d’accord avec leurs enfants quand ils estiment passer autant de temps chez elles que chez leur père.

« En définitive, la présente analyse montre le besoin criant d’une enquête permettant de confronter, pour une même famille et au niveau populationnel, les points de vue des deux parents et de l’enfant lui-même. »

Et les autres sources d’information? L’auteur souligne qu’elles sont très peu représentatives de la population, dans la mesure où la majorité des parents séparés conviennent d’un règlement à l’amiable et ne vont pas devant les tribunaux. C’est le cas de documents légaux sur la situation juridique des enfants, ou des statistiques sur les ordonnances de pension alimentaire.

De l’importance d’outils actualisés?

Bien que la séparation soit courante dans les familles québécoises, il est impossible d’avoir un portrait juste de la proportion d’enfants québécois en garde partagée. Il est donc important de développer des outils qui permettent de rendre compte de la situation réelle des enfants et des familles québécoises. Avoir une vue d’ensemble précise du phénomène permettrait de développer des politiques familiales en phase avec les réalités des familles, dont celles où les enfants sont en garde partagée. Les familles évoluent. Les outils statistiques devraient peut-être évoluer conjointement.

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[1] Étude longitudinale du développement des enfants du Québec (ÉLDEQ), Enquêtes sur la santé des jeunes du secondaire de l’Institut de la statistique du Québec

[2] Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), Enquêtes sociales générales (ESG), Enquête Health Behaviour in School-Aged Children

[3] Statistiques sur les ordonnances de pension alimentaire pour enfants, Soutien aux enfants (SAE), Statistiques officielles sur le divorce

[4] ELNEJ et ESG