À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Audrey Brassard, Anik Ferron, Yvan Lussier et Stéphane Sabourin, « Les caractéristiques des utilisateurs de sites de socialisation virtuelle : personnalité, attachement et fonctionnement conjugal », paru en 2015, dans Revue québécoise de psychologie, vol. 36, n°1, pp. 1 – 30.

  • Faits saillants

  • Avec l’utilisation croissante des réseaux sociaux en ligne, on voit apparaître un nouveau mode de relation extraconjugale virtuelle : la cyberinfidélité.
  • L’utilisation des réseaux sociaux peut permettre de combler certains manques affectifs ou de fuir l’engagement relationnel.
  • Les personnes les moins satisfaites sur les plans conjugal et sexuel seraient celles qui utilisent le plus les réseaux sociaux.
  • Les utilisateurs les plus extravertis et impulsifs sont les plus susceptibles d’être cyberinfidèles.

Vous utilisez Facebook? Vous avez déjà supprimé votre historique de peur que votre conjoint ne découvre des conversations secrètes? Vous n’êtes pas le seul! Surveillance et jalousie seraient le lot d’un couple sur trois chez les utilisateurs de Facebook.

La plupart des couples considèrent que la fidélité et l’exclusivité sexuelle font partie des règles du jeu, que c’est la norme. Le développement de réseaux sociaux en ligne, comme Facebook, rend possible de nouveaux modes de communication, de rencontre et… d’infidélité. Les liaisons extraconjugales virtuelles se définissent par l’utilisation d’Internet pour créer des relations et des échanges émotionnels et/ou sexuels, alors que la personne est déjà en couple. On parle alors de « cyberinfidélité ».

Des psychologues se sont penchés sur la question. Ils ont analysé les comportements des gens sur Facebook, pour les catégoriser en fonction de plusieurs critères : personnalité,  vie de couple, attachement émotionnel et satisfaction sexuelle. Des grilles d’analyse tirées de la littérature en psychologie ont été employées pour établir ces catégories. L’objectif de la recherche : découvrir quels sont les profils les plus susceptibles de devenir « cyberinfidèles ».

Les auteurs de cette étude ont soumis un questionnaire anonyme à 822 Québécois francophones (564 femmes et 258 hommes), entre 18 et 65 ans, engagés dans une relation de couple et inscrits sur Facebook.

Les participants ont répondu à des questions sur leurs habitudes d’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux en ligne, principalement la plateforme Facebook. On leur a demandé de fournir des informations sur leur nombre d’amis, le temps qu’ils y passent, leurs motivations à utiliser ce réseau et la façon dont ils partagent leurs publications. Ils ont aussi répondu à des questionnaires concernant leur satisfaction sexuelle et conjugale.

Bref portrait des utilisateurs de Facebook

Différents profils, différentes utilisations

Les chercheurs ont analysé les réponses des participants selon une grille de critères utilisée en psychologie pour définir des profils-types de personnalité, selon cinq grands traits : névrosisme, conscience, extraversion, ouverture et amabilité. Parmi eux, il semble que certains seraient plus susceptibles d’être cyberinfidèles.

Tableau 1. Traits de personnalité et liens possibles avec la cyberinfidélité

Les résultats de l’étude montrent que les participants qui sont à la fois les plus extravertis, les plus ouverts et les moins consciencieux sont ceux qui rapportent le plus de cyberinfidélité.

À l’inverse, un dernier trait de personnalité ne semble pas influencer particulièrement la cyberinfidélité : l’amabilité. Les internautes aimables font preuve de coopération, d’altruisme et de sympathie. Ils n’ont pas plus d’amis que les autres.

Des relations insécures

D’après ce que l’on appelle la « théorie de l’attachement », les relations entre les gens (notamment les relations amoureuses) seraient influencées par deux dimensions psychologiques :  l’anxiété d’abandon et l’évitement de la proximité. Les deux correspondent à des formes d’insécurité relationnelles différentes, présentes à des degrés variables selon les personnes.

L’anxiété d’abandon correspond à une inquiétude persistante à l’idée d’être rejeté par son partenaire. Les personnes qui présentent une forte anxiété d’abandon ont souvent une image négative d’eux-mêmes. Elles sont convaincues que leur conjoint peut cesser de s’intéresser à eux à tout moment et vont donc multiplier les tentatives de rapprochement pour sécuriser leurs relations. Soucieuses de l’avis des autres, ces personnes font partie des utilisateurs de Facebook les plus assidus.

L’évitement de la proximité vient d’un sentiment de malaise envers l’intimité et les relations fusionnelles. Ceux qui présentent un degré élevé d’évitement de la proximité cherchent à minimiser leur attachement aux autres. Ils vont plus facilement se replier sur eux-mêmes. Ces profils sont généralement les moins aimables et les plus névrotiques. Ils fréquentent moins souvent les réseaux sociaux.

Des fantasmes inavouables?

Selon les auteurs, l’insécurité relationnelle peut être une cause de cyberinfidélité.

Les auteurs pensent que ceux qui font de l’anxiété d’abandon pourraient essayer de combler un manque d’attention grâce à ces relations virtuelles extraconjugales. Par ailleurs, les réseaux virtuels offrent certaines opportunités pour exprimer des besoins et des fantasmes plus difficiles à assumer, sans craindre que leur partenaire ne les rejette.

Pour ceux qui préfèrent éviter la proximité, cela leur permettrait d’assouvir certains besoins sans engagement, ou encore de fuir l’engagement dans leur relation actuelle.

Par ailleurs, les chercheurs constatent que le nombre d’amis sur les réseaux sociaux serait un reflet de l’insatisfaction conjugale et sexuelle des participants. Plus une personne utilise Facebook, moins elle serait satisfaite et plus elle serait susceptible de devenir cyberinfidèle.

Établir les règles du jeu

Selon cette recherche, l’utilisation d’Internet et des réseaux sociaux présente donc un certain risque pour les relations monogames.

Sur le plan clinique, sensibiliser les couples à ce phénomène pourrait aider ceux qui cherchent à obtenir de l’aide pour améliorer leur relation. Ils pourraient ainsi établir des règles claires de leur utilisation des réseaux sociaux et une définition commune de leurs engagements en tant que couple.

Les thérapeutes sont peu formés sur les effets des pratiques sexuelles en ligne. Pour améliorer l’efficacité des thérapies et mieux documenter les pratiques des couples d’aujourd’hui, il faudrait poursuivre ce type de recherche. Par exemple, une étude future pourrait s’intéresser à la pratique du « sexting » (échange de messages et de photos à caractère sexuel) et ses effets à long terme dans le couple.

Il serait également possible d’étudier la cybersexualité sous un autre angle. Et si les possibilités offertes par les réseaux sociaux, comme l’expression de ses « fantasmes inavouables » mentionnée dans cette étude, pouvaient favoriser l’émancipation sexuelle des utilisateurs?