À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Andrée Fortin, « Famille, filiation et transmission dans le cinéma québécois », publié dans Recherches sociographiques, vol 57, n° 1 (janvier-avril 2016), p. 17-45.

  • Faits saillants

  • Le cinéma québécois offre un portrait de la famille loin des clichés véhiculés dans la culture populaire.
  • La plupart des récits des films abordent la famille québécoise du point de vue des enfants, qui sont habituellement en relation avec un seul parent.
  • Les enfants ne fondent pas leur identité à partir de celle de leurs parents, mais plutôt à partir d’activités artistiques.
  • Les relations entre frères et sœurs y sont représentées de manière positive comme une source de solidarité et d’entraide.

La famille est parfois représentée à l’aide de clichés dans la culture populaire, qu’on pense aux fameuses représentations de la « mère poule » ou du « père absent ». Et le cinéma québécois, comment s’en tire-t-il? À première vue, il semble que le 7e art de la Belle province s’en tire plutôt bien. Exit les clichés, bonjour les nuances plus complexes des relations entre membres de la famille.

Andrée Fortin, professeure de sociologie à l’Université Laval, s’est intéressée aux relations entre les membres d’une même famille dans 150 films québécois de fiction sortis entre 1966 et 2013. Selon la sociologue, le cinéma québécois montrerait plutôt un souci de nuancer les relations familiales. Son analyse du corpus de films l’amène à poser quatre constats. Quels sont-ils?

Des points de vue d’enfants

La grande majorité des films québécois étudiés adoptent le point de vue des enfants de la famille, et non celui des parents. L’histoire est donc celle d’un enfant en relation avec un parent, et non celle d’un parent en relation avec ses enfants. Les invasions barbares, réalisé en 2003 par Denys Arcand, en est un bon exemple. Le film raconte les derniers moments du père, qui fait une rétrospective de sa vie, à travers les yeux du fils, avec lequel il n’a jamais entretenu une bonne relation. Même si le sujet du film est le parent, le point de vue adopté est celui de l’enfant.

Stéphane Rousseau (fils) et Rémi Girard (père), dans Les invasions barbares (2003), réalisé par Denys Arcand.

Une relation en tête-à-tête

Une deuxième constante apparaît dans la plupart des films : le tête-à-tête. Les enfants ont souvent une relation avec un seul parent à la fois. Bien sûr, ce tête-à-tête est le résultat de plusieurs scénarios différents. Il peut être le résultat de la mort d’un des parents, comme dans plusieurs films où un père veuf doit s’occuper seul de ses enfants (Un été sans point ni coup sûr ou La vie avec mon père). Le parent est parfois monoparental par choix, comme dans Comment ma mère accoucha de moi durant sa ménopause (2003), qui met en scène une mère qui refuse la présence d’un homme dans sa vie pour se consacrer à sa relation avec ses enfants. Dans les rares cas où l’enfant entretient une relation avec ses deux parents, les deux relations sont diamétralement opposées. L’exemple le plus frappant est celui du film C.R.A.Z.Y., dans lequel le garçon vit une relation très mouvementée avec son père, mais une bonne relation avec sa mère.

Michel Côté (père), Marc-André Grondin (fils) et Danielle Proulx (mère), dans le film C.R.A.Z.Y. (2005), réalisé par Jean-Marc Vallée.

Jeune cherche identité

L’art est souvent très présent dans la vie des enfants au grand écran. La pratique d’activités artistiques (photographie, danse, peinture, poterie, etc.) permet aux jeunes membres d’une famille de s’émanciper et de se forger une identité qui n’est pas calquée sur celle de leurs parents. Un bon exemple est celui du film Gaz bar blues (2003), dans lequel un père propriétaire d’une station d’essence constate le manque d’intérêt de ses trois fils pour reprendre la compagnie familiale. L’histoire culmine par le départ du fils aîné, qui se définit plutôt par la photographie; il quitte le Québec sur un coup de tête pour aller prendre des clichés de la chute du Mur de Berlin.

Entre frère et sœur

Dans presque tous les films étudiés mettant en vedette des frères et sœurs, les relations au sein de la fratrie sont représentées de manière très positive. Ces relations sont teintées de solidarité, d’entraide et d’amour. Cette solidarité peut se traduire par une cohabitation, comme dans le film Les trois p’tits cochons, dans lequel un frère en héberge un autre en situation de difficulté. Même lorsque les fratries vivent des moments difficiles, le sentiment de solidarité entre frères et sœurs n’est pas rompu. Un bon exemple est celui du film La loi du cochon (2001), qui met en scène deux sœurs. La plus jeune, une mère porteuse, et la plus vieille, criblée de dettes de jeu, cohabitent et partagent les tâches de gestion d’une porcherie.