À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Lucie Dumais et Marie-Noëlle Ducharme, « Les coûts du handicap au Québec : que font les ménages et comment les soutenir équitablement? », publié en 2017, dans Alter : revue de phénoménologie, volume 11, no 2, p. 99-112.

  • Faits saillants

  • Les revenus des personnes vivant avec un handicap et de leur famille sont généralement plus faibles que ceux de l’ensemble de la population.
  • Plus les revenus de la personne avec handicap sont élevés, plus les coûts supplémentaires liés à son handicap le sont aussi.
  • Les personnes qui vivent avec un handicap et qui ont un faible revenu n’ont souvent pas les moyens de débourser pour nombreux services. Par conséquent, elles ont peu de coûts supplémentaires liés à leur handicap.
  • Par crainte du jugement, plusieurs personnes vivant avec un handicap décident de ne pas utiliser les compensations offertes par l’État.

Vivre avec un handicap, c’est forcément avoir un coût à payer. Les mieux nantis vont débourser pour une pléiade de services, mais qu’en est-il des personnes sans le sou? Faute de ressources, ces personnes se privent de certains services et c’est plutôt leur qualité de vie qui en prend un coup. Quels sont donc les impacts insoupçonnés pour ces personnes économiquement vulnérables?

Deux chercheures en travail social de l’UQAM veulent comprendre le lien entre les types de handicaps et les différents coûts supplémentaires qui y sont associés, comme adapter sa maison par exemple. Pour ce faire, elles interrogent 50 personnes vivant avec différents types de handicaps (moteurs, visuels ou auditifs, psychiques, déficiences intellectuelles et troubles du spectre de l’autisme) ou leurs parents.

Qu’est-ce qu’un coût supplémentaire?

Les coûts supplémentaires, ce sont les frais que doivent payer les personnes qui vivent avec un handicap ou leurs proches pour des services qui leur permettent d’améliorer leur quotidien et d’être mieux intégrées à la société. Il peut s’agir de coûts supplémentaires généraux, comme payer plus cher pour louer un appartement muni d’un ascenseur par exemple. Il peut aussi s’agir de coûts supplémentaires dits spécifiques, comme engager un instructeur privé pour compléter l’éducation publique. Si les coûts généraux sont en général plus complexes à chiffrer, les deux restent difficiles à évaluer.

Payer… si on peut se le permettre

Alors que seulement une personne rencontrée sur six déclare voir peu ou pas d’effets des coûts supplémentaires liés à son handicap sur ses finances, une grande majorité dit ressentir les impacts financiers sur son niveau de vie.

Même si le type de handicap peut peser dans la balance, les revenus disponibles amènent aussi davantage de dépenses. Parmi les personnes interrogées, celles en mesure de payer pour des services d’appoint, comme un logement mieux situé ou une aide à domicile, ont globalement de bons revenus. Cette relative aisance financière ne traduit pas un handicap plus lourd, mais bien l’influence marquée du statut social : plus celui-ci est élevé, plus la personne avec handicap pourra envisager des services supplémentaires et plus les coûts seront importants. La gravité du handicap est donc bien secondaire quand vient le temps de lui attribuer un montant!

Certaines familles estiment que ces coûts grimpent jusqu’à 7000$ par année, tandis que pour d’autres, ils grimpent à… rien du tout. Par exemple, un homme âgé atteint d’une maladie dégénérative qui a contribué toute sa vie à des assurances se retrouve avec un montant appréciable pour faciliter son quotidien. Il reçoit peut-être l’aide d’un proche, qui l’accompagne dans ses soins. Des revenus importants, ou encore un soutien de leur famille sont donc monnaie courante pour les personnes qui engagent des coûts supplémentaires importants.

Pas d’argent, pas de services

Les familles qui ont déclaré n’avoir aucuns frais supplémentaires liés à un handicap n’ont pas trouvé de solution miracle pour améliorer leur situation. Faute de pouvoir payer, elles s’en privent, c’est différent. Elles subissent ainsi des « contrecoûts » : incapacité de travailler, interactions sociales limitées, difficultés à se nourrir, à se déplacer.

Le plus souvent, ces personnes vivent seules, ont un faible revenu et peu de ressources. Dans la mesure où elles ne bénéficient d’aucun réseau pour les soutenir, l’accès aux différentes allocations de l’État, comme les prestations pour invalidité et l’assistance sociale, devient laborieux. Elles se retrouvent bien souvent exclues de la société, qui n’est pas en mesure de les aider convenablement

Imaginons, par exemple, une femme dans la quarantaine, qui a dû cesser de travailler en raison de problèmes de santé mentale. Si elle est isolée et qu’elle ignore quels programmes peuvent l’aider, elle se retrouvera seulement avec le revenu de l’assistance sociale, qui répondra uniquement à une partie de ses besoins.

Des centaines de programmes, mais une petite enveloppe

L’Office des personnes handicapées du Québec, qui a financé la présente étude, répertorie plus de 200 mesures gouvernementales qui s’adressent aux personnes qui vivent avec un handicap, comme des crédits d’impôt ou des prestations. Toutefois, à vouloir aider le plus de personnes possible, l’État se retrouve à offrir un dédommagement très restreint pour chacune d’elles. Les chercheures vont même jusqu’à dire que les différentes mesures creusent les inégalités entre les personnes avec et sans incapacités, mais aussi entre les personnes vivant avec un ou des handicaps.

Que se passe-t-il alors? Celles qui peuvent payer la balance entre ce qu’il leur est offert et leurs impératifs le font sans problème, tandis que les autres coupent, soit dans le support qu’elles reçoivent, soit dans d’autres besoins comme se déplacer, se nourrir ou se loger convenablement.

Il peut arriver que la mesure n’offre simplement pas les fonds suffisants, comme lorsqu’une subvention pour l’adaptation du domicile ne couvre pas tous les frais des rénovations. Dans d’autres cas, l’État propose un service, mais qui est peu accessible. On pourrait penser à un aîné qui veut recevoir de l’aide à domicile, mais qui doit être inscrit sur une liste d’attente au préalable. Finalement, certaines personnes jugent le service offert de piètre qualité et décident de dépenser pour pallier ce manque. Des parents qui engagent un orthophoniste privé pour leur enfant avec des problèmes de langage, faute de rendez-vous plus régulier au public, en est une parfaite illustration.

De l’aide? Non merci!

Paradoxalement, certaines personnes qui vivent avec un handicap refusent l’aide publique qui leur est destinée. L’une, en position plus aisée, prétextant qu’elle serait plus utile à d’autres, pourrait ne pas demander de subvention pour son logement. Une autre, plus ou moins fortunée, refuserait de demander le supplément de revenus auquel elle a droit, afin de ne pas se faire « étiqueter » comme handicapée. Dans tous les cas, les idées reçues influencent la perception sur sa propre situation.

Ce sera une ou deux factures?

Devant cette disparité des coûts supplémentaires encourus pour un handicap, on peut se demander qui devrait payer la facture. Est-ce que les personnes qui vivent avec un handicap doivent se débrouiller seules? Est-ce à leur famille et leurs proches aidants d’investir? Ce système ne serait-il pas en train de renforcer le clivage entre les plus fortunés et les plus démunis?

La politique À part entière, de l’Office des personnes handicapées, a pour but d’accroître la participation sociale des personnes vivant avec un handicap sur un horizon de dix ans. Son ambitieux plan d’action prend fin dans les prochains mois. Ce sera ainsi l’occasion de se pencher sur le soutien financier qui leur est accordé.