À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Amélie Couvrette et Chantal Plourde, « Au-delà de la séparation : perceptions de mères incarcérées sur leurs relations avec leurs enfants depuis la détention », publié en 2019 dans Criminologie, vol. 52, no 1, p. 301-323.

  • Faits saillants

  • Les mères incarcérées idéalisent la relation qu’elles avaient avec leur enfant avant leur détention.
  • Les mères en détention voient leur incarcération comme le choc qui est venu ébranler la relation avec leur enfant.
  • Les mères incarcérées blâment leurs parents pour leur comportement et croient qu’elles pourront briser le cycle de la délinquance avec leur enfant.

« J’ai eu peur qu’il me rejette, j’ai eu peur qu’il se referme, que quelqu’un d’autre prenne ma place », se confie Valérie, 27 ans, à propos de son fils. La jeune femme est incarcérée dans une prison québécoise. Les mères dans la même situation voient souvent le lien avec leur enfant se fragiliser. Elles doivent composer avec une gamme d’émotions : de la honte à l’impuissance, en passant par l’insécurité et la peur d’être rejetée. Plusieurs en viennent à ne garder en mémoire que le positif de leur vie d’avant avec leur enfant, jusqu’à idéaliser cette relation avant la prison. En revanche, toutes ont la volonté de briser le cycle de la délinquance pour leur progéniture.

Les chercheures Amélie Couvrette et Chantal Plourde recueillent les confidences de quinze femmes incarcérées dans un centre de détention québécois au sujet des conséquences de leur incarcération sur la relation avec leurs enfants. Elles s’ouvrent sur leur expérience avant et depuis leur incarcération, sur ses conséquences, sur les émotions et les comportements de leurs enfants, ainsi que sur l’influence qu’elles pensent avoir sur eux à long terme.

Avant la prison, une relation idéale… ou presque

Une relation remplie de complicité et d’honnêteté, vraiment? Pourtant, tout n’était pas si rose dans la vie des femmes incarcérées et de leur enfant. Celles-ci ont tendance à présenter spontanément le bon côté de leur relation. Elles s’expriment en des termes positifs, ce qui rend perplexes les chercheures. Le mode de vie décrit par ces femmes laisse présager que la réalité était plus complexe.

« Cela a toujours bien été, sauf quand je consommais. […] Je pouvais lancer des méchancetés aussi, au niveau de ma grande. Mais je suis pas une fille qui a été violente envers mes enfants, ni de là à les frapper ou quoi que cela soit, au contraire, parce que j’adore mes enfants là, puis ma relation a toujours été très bonne. »

– Danielle

Pourquoi ces femmes idéalisent-elles leur relation? Selon les chercheures, cela pourrait les aider à supporter le sentiment de honte ou de culpabilité développé par leur situation. Donner une image positive d’elle-même, celle d’une ‘’bonne mère’’, malgré leur emprisonnement peut aussi expliquer le phénomène.

L’instabilité dans le foyer, la violence conjugale, la consommation, le placement des enfants à la DPJ : les contrevenantes ont vécu plusieurs épreuves qui portent à croire que, malgré le sentiment positif qu’elles ressentent, la vie n’était facile ni pour elles ni pour leurs petits. En témoigne le nombre d’enfants placés : sur les 30 enfants de ces femmes, 15 habitent en famille d’accueil. Bien avant leur incarcération, l’impact de leur mode de vie était presque inévitable, observent les chercheures.

« Je voulais pas l’abandonner moi là, là, comme cela tu sais, je savais que je n’étais plus là, j’étais gelée, j’étais… pas capable de m’en occuper. Mais je voulais le voir pareil. »

– Gabrielle, 27 ans

La prison, la goutte de trop

Se retrouver derrière les barreaux : un point tournant dans la relation mère-enfant, selon les femmes incarcérées. Certaines ont de la difficulté à mesurer les conséquences sur le lien avec leur enfant, décrivant plutôt ce qu’elles-mêmes ressentent. L’impuissance et la culpabilité marquent leur discours. Plusieurs figent à l’idée d’annoncer qu’elles sont incarcérées (à nouveau, pour certaines). Six d’entre elles ont carrément caché la nouvelle à leur enfant, disant vouloir éviter de les blesser ou de les perturber davantage.

Les contacts parfois pénibles rendent difficile le maintien d’une communication saine. Certaines évoquent des conflits ou des tensions qui se sont installés depuis l’incarcération.

«  »Rien de cela ne serait pas arrivé si tu n’avais pas fait encore la fille, tu t’en es encore envoyé un. » Elle me parlait de même hier au téléphone. Puis après, j’ai parti à pleurer. »

– Jeanne, 41 ans

Pour d’autres, c’est plutôt la distance qui s’installe tranquillement entre leur enfant et elle, comme le raconte Patricia au sujet de sa fille de 6 ans.

« Tu sais ma fille, elle veut tout le temps raccrocher, on dirait qu’elle, qu’elle me fuit, tu sais? »

Même si l’impact de l’incarcération est mitigé pour ces femmes, elles constatent néanmoins des changements dans les réactions de leur progéniture. Plusieurs remarquent la déception, la colère, la tristesse ou encore la honte chez elle. Leur comportement change aussi, en fonction de l’âge. Chez les plus jeunes, ce sont les périodes de manque d’attention ou de pipi au lit qui émergent. Les plus vieux tendent plutôt vers le blâme, la révolte ou la délinquance.

Très peu attachent les changements de comportements à leur vécu avant leur incarcération. Pour elles, c’est la détention actuelle qui est à montrer du doigt, comme une punition injuste pour leur enfant. Pourquoi ceux-ci devraient-ils être séparés de leur mère?

De mère en fille… mais pas cette fois-ci

La mère : source de tous les maux? Plusieurs femmes incarcérées sont convaincues que cet adage est vrai, sauf pour elles-mêmes. Plusieurs rejettent l’origine de leur délinquance sur leur propre mère. Si certaines parlent du manque d’amour et de difficultés importantes, d’autres se montrent très dures envers celle qui les a élevées.

«Si ce n’était pas elle qui m’avait élevée, bien, si je n’avais pas suivi son exemple, osti, je serais jamais arrivée là. […] C’est juste elle, mon problème.»

– Gabrielle, 27 ans

Pour bon nombre d’entre elles, la consommation, la violence et l’incarcération de leur mère est au cœur du conflit qui les lie. Le même scénario pourrait-il se répéter pour leur enfant? La plupart croit que non. Mais elles ne sont pas aveugles, soutiennent les auteures : elles sont très conscientes de l’influence de leur vie sur celle de leur enfant.

« Je ne ferais pas des anges avec cela là […] Puis lui [son fils], il avait commencé à voler, à prendre l’argent dans la sacoche de la madame de sa famille d’accueil. […] Il prend mes plis, tu sais. »

– Patricia, 31 ans

Si elles sont tombées dans la délinquance, pourquoi cela n’arriverait pas à leur enfant? Plusieurs femmes considèrent faire partie de la solution, comme un exemple à ne pas suivre. Elles croient que leur passé et leur expérience leur permettront de déceler les signes de dérapage chez leurs petits, et de leur offrir une oreille attentive. En gros, plusieurs souhaitent se dévouer à leur enfant, et les sensibiliser à leur expérience.

« Moi je dirais que ceux qui ont fait du temps et qui ont une bonne ouverture d’esprit là, cela fait des enfants plus intelligents, cela fait des enfants qui ont l’expérience de leurs parents, de consommation, de prison, plus les expériences de vie. Cela fait des enfants qui peuvent aller loin en criss dans la vie. »

– Isabelle, 27 ans

La prison vient souvent ébranler l’identité de ces femmes, particulièrement dans leur rôle de mère, constatent les chercheures. Ces dernières voient dans leur dévotion une forme de rationalisation, une façon de diminuer leur culpabilité. Elles ressentent un profond désir de changer et de briser le cycle de transmission de la délinquance dont elles ont souffert.

La maternité comme lueur d’espoir

La maternité façonne toujours l’identité des femmes, même celles en détention, malgré qu’elles soient coupées de leur enfant. Elle leur donne une lueur d’espoir, les encourage à leur offrir le meilleur d’elles-mêmes une fois sorties de prison. Alors, comment la valoriser derrière les barreaux? Pour l’instant, les visites et les contacts avec la famille sont encore vus davantage comme des privilèges plutôt que des droits. D’autant plus que plusieurs contraintes mettent des bâtons dans les roues des mères et de leurs enfants : la distance peut être importante entre la résidence et la prison, et la technologie comme les courriels, textos et compagnie sont interdits.

Les auteures suggèrent de faciliter l’accès aux visites familiales et d’organiser des ateliers sur les bonnes pratiques de parentalité. Au Québec, dans les deux établissements provinciaux qui accueillent des contrevenantes, celui de la région de Montréal travaille en collaboration avec l’organisme Continuité-famille auprès des détenues. Parmi les services offerts aux femmes judiciarisées, des programmes de visites privées de 24 h ou 4 h, des célébrations familiales et des ateliers de communication sont mis en place. Malheureusement, rien n’est prévu pour les femmes incarcérées à l’établissement de Québec. Serait-ce le temps pour les services carcéraux de la Capitale-Nationale de prendre en charge les visites mères-enfants? Selon les chercheures, il s’agirait d’un pas vers une solution constructive.