À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Isabel Côté, Renée-Pier Trottier-Cyr, Kevin Lavoie, Geneviève Pagé et Diane Dubeau, « Récits d’enfants sur leur constellation familiale : les liens relationnels au sein des familles lesboparentales avec donneur connu au Québec », publié en 2019, dans la revue Devenir, vol. 31, n° 2, p. 125-143.

  • Faits saillants

  • Les enfants font une nette différence entre la paternité biologique, incarnée par leur donneur, et la paternité sociale, incarnée par un homme qui joue le rôle d’un « papa ».
  • Marques d’affection, soins dispensés par les parents, cohabitation : voilà ce qui définit une famille, pour les enfants grandissant au sein de familles lesboparentales et ceux de leur donneur. Les liens du sang, quant à eux, ont peu d’importance à leurs yeux.
  • Les enfants ayant deux mères rapportent vivre peu de stigmatisation à l’école. Pour eux, leur structure familiale est source de fierté et constitue l’occasion de sensibiliser leurs pairs à l’homoparentalité.

« J’ai dit à mes amies qu’un donneur a donné son sperme à mes mères et que c’est comme ça que je suis née… mais je ne parle pas de lui comme mon papa, c’est plus comme un ami », explique Valérie, 8 ans. Tout comme elle, les enfants nés au sein d’une famille lesboparentale à l’aide d’un donneur connu le distinguent souvent d’un père, même s’ils l’incluent dans leur « constellation familiale ». Comment perçoivent-ils leur relation avec lui ? Père, papa, « oncle spécial », ami de la famille, simple connaissance : cette relation peut prendre plusieurs formes !

C’est ce que révèle une étude menée par cinq chercheurs qui s’intéressent au point de vue d’enfants de mères lesbiennes et d’enfants que les donneurs ont eus dans leur propre relation. L’objectif ? Documenter leur perception de la famille et le rôle du donneur. Au total, 21 enfants âgés de 4 à 13 ans participent à l’étude, dont 17 grandissant au sein de familles lesboparentales et 4 enfants de donneurs. 

S’il te plaît, dessine-moi une famille

Une famille, c’est quoi au juste ? Les enfants interrogés sont unanimes : c’est la proximité et l’affection entre ses membres qui la caractérisent.  

« Une famille, c’est ceux qu’on aime, qui vivent avec nous, qui nous protègent, qui nous donnent à manger aussi. C’est l’essentiel de tout ce qui peut nous entourer. »

— Fille grandissant au sein d’une famille lesboparentale.

Prise en charge, soins dispensés par les parents, cohabitation, soutien : les enfants énumèrent plusieurs facteurs pour définir ce qu’est une famille. Les liens du sang, quant à eux, n’occupent qu’une place marginale dans leur compréhension.

Une famille comme les autres ? Bien sûr ! 

Avoir deux mamans, tout simplement ! Cette réponse pleine de bon sens revient très souvent lorsque l’on demande aux enfants de mères lesbiennes ce qui distingue leur famille des autres. Se sentent-ils pointés du doigt une fois à l’école ? Loin de là : les enfants rapportent peu de situations où leurs camarades ont critiqué leur famille. Au contraire, ils perçoivent cette différence comme une occasion de sensibiliser leurs pairs à l’homoparentalité.  

 « Ma famille est vraiment différente. Moi j’ai deux mères et c’est très rare […]. Nous, on a quelque chose de spécial […]. J’aime ça parce que je peux dire aux autres comment ça se déroule dans une famille que les autres n’ont pas. »

— Fille grandissant au sein d’une famille lesboparentale.

Ils en profitent aussi pour expliquer la façon dont ils ont été conçus et, au passage, souligner la distinction entre un père et un donneur.

Papa, père ou donneur ?

« Tes mamans m’ont dit qu’un monsieur les a aidées à t’avoir, peux-tu m’en dire plus ? » En posant cette question, les chercheurs tentent de comprendre comment les enfants de mères lespoparentales se représentent le rôle d’un donneur. Malgré leur jeune âge, la majorité d’entre eux distingue parfaitement la paternité biologique de la paternité sociale. Pour eux, le terme « papa » implique une forme de proximité affective et de cohabitation, alors que l’expression « donneur » réfère surtout aux origines génétiques. 

« Un donneur c’est quelqu’un qui donne ses graines, mais qui ne vit pas avec cette femme-là. Tandis qu’un papa vit avec une femme et donne ses graines en même temps. »

— Fille grandissant au sein d’une famille lesboparentale.

Et leur donneur alors ? Le plus souvent, il est à leurs yeux un « oncle spécial » ou un « parrain », même s’ils savent qu’il est leur père biologique. La majorité le considère comme un membre de la famille. Et comme « une image vaut 1 000 mots », il n’y a qu’à regarder les résultats obtenus dans une cartographie circulaire[1] pour constater l’importance du donneur dans leur vie.  

Figure 1. Distribution du donneur dans les cartographies des enfants des mères lesbiennes[2]

Dans deux situations familiales où les adultes ont choisi de fonder une famille par « coparentalité planifiée », les enfants considèrent leur donneur comme leur « papa ». Dans les deux cas, le couple lesbien et leur ami gai ont mis en commun leur désir d’enfant et se considèrent tous les trois comme parents. Toutefois, les mères sont les seules à être les parents légaux puisqu’elles habitent avec les enfants et s’en occupent au quotidien.  

Et les enfants des donneurs ?

Tout comme les enfants des mères lesbiennes, ceux des donneurs font une nette différence entre un père et un donneur. Pour eux, une chose est claire : leur père n’est pas le papa des enfants nés grâce à son don. 

« Mon papa, il m’aime plus qu’elle [fille des mères lesbiennes] parce que moi, je suis sa vraie fille. Parce que l’amoureuse de papa, ce n’est pas sa maman à elle, c’est ma maman à moi. »

— Fille d’un donneur.

Certains d’entre eux considèrent que les enfants issus des dons font partie de leur fratrie, puisqu’ils partagent leurs gènes. Cependant, la plupart ne les perçoivent pas comme des frères et sœurs, puisque leur père ne joue pas un rôle de parent auprès d’eux. 

« Je ne considère pas vraiment Geneviève comme une demi-sœur parce que nos parents ne sortent pas ensemble. C’est sûr qu’on va peut-être se ressembler un peu, mais c’est juste ça […]. Elle n’habite pas avec moi. Quand on va chez elle, mes parents ne s’occupent pas de sa discipline, ce sont ses parents à elle qui s’en occupent. »

— Fille d’un donneur. 

Paternité biologique, paternité sociale : nuance !

En règle générale, les recherches sur la généalogie des enfants se centrent principalement sur le point de vue des adultes. En ajoutant la voix des principaux concernés, cette étude permet de mieux comprendre la réalité des enfants conçus à l’aide d’un donneur connu. Dès leur plus jeune âge, ils distinguent la paternité sociale, incarnée par un « papa », et la paternité biologique, incarnée par un donneur.

Pour les enfants de mères lesbiennes, grandir dans une famille dite « atypique » n’est pas source d’adversité : ils l’envisagent plutôt perçu comme l’occasion de conscientiser les autres enfants à leur réalité familiale. Et puisqu’ils sont encore jeunes, documenter leur point de vue à l’adolescence serait une étape pertinente. Elle permettrait de comprendre dans quelle mesure leurs représentations de la famille et du rôle du donneur évoluent, et ce, à un moment clé de leur développement identitaire. 


[1] « La carte concentrique est divisée en trois champs égaux intitulés respectivement “ma famille”, “mes amis” et “les autres personnes significatives”. Elle est répartie en plusieurs cercles, à l’image d’une cible. L’enfant est représenté dans le cercle du milieu et les trois cercles qui irradient autour de celui-ci évoquent différents degrés de proximité affective avec lui. » (Source : Côté et al., 2017. https://bit.ly/2NsFJFF)

[2]Les cercles mauves correspondent aux enfants qui ont spontanément évoqué leur donneur dès la réalisation de leur cartographie respective. Les cercles bleus signifient que les enfants ont mentionné leur donneur lorsque des précisions leur étaient demandées pour décrire le contexte familial, par exemple les personnes présentes aux anniversaires ou lors des vacances estivales. Le cercle vert représente un enfant ayant mentionné son donneur lorsqu’on lui a posé des questions supplémentaires pour situer les circonstances de sa venue au monde.