À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Philippe-Benoit Côté et Martin Blais, « “The Least Loved, That’s What I Was”: A Qualitative Analysis of the Pathways to Homelessness by LGBTQ+ Youth », publié en 2021 dans le Journal of Gay & Lesbian Social Services, vol. 33, nº 2, p. 137-156.

  • Faits saillants

  • Les jeunes LGBTQ+ sont surreprésentés parmi la population en situation d’itinérance, notamment en raison de l’homophobie ou de la transphobie subie à la maison ou à l’école.
  • Se faire mettre à la porte par ses parents : voilà une situation qui n’est pas si rare chez les jeunes LGBTQ+ dont les parents n’acceptent pas l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
  • Les jeunes LGBTQ+ grandissant en centre jeunesse sont souvent victimes d’intimidation et de violence dans leur milieu de vie. À la fin de leur placement, plusieurs n’ont aucun réseau social et se retrouvent à la rue.

Les personnes faisant partie des minorités sexuelles et de genre sont de mieux en mieux reconnues et acceptées au Québec. En revanche, l’égalité sociale est loin d’être atteinte, comme en témoigne la surreprésentation des jeunes LGBTQ+ parmi les personnes en situation d’itinérance. En 2020 au Canada, entre 30 à 40 % des jeunes vivant dans la rue s’identifiaient comme appartenant à la communauté LGBTQ+[1]. En proie à l’homophobie ou à la transphobie, plusieurs se retrouvent dans l’obligation de quitter le cocon familial et se retrouvent de ce fait sans domicile. Pour d’autres, c’est la victimisation vécue à l’école ou la fin des services de protection de la jeunesse à la majorité qui entraînent cette même tragique finalité. 

C’est ce que constatent Philippe-Benoit Côté et Martin Blais, professeurs au Département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal. Afin de mieux comprendre les trajectoires qui mènent à l’itinérance chez les jeunes issus des minorités sexuelles et de genre, ils donnent la parole à 16 jeunes LGBTQ+ âgés de 17 à 25 ans en situation d’itinérance. Leur recrutement s’est effectué auprès des organismes impliqués auprès des jeunes en situation d’itinérance dans la région du Grand Montréal. 

De la négligence vient l’itinérance 

Le point commun entre tous ces jeunes ? Un environnement familial teinté par la négligence et la violence. Leurs parents, souvent aux prises avec des abus de substances, des problèmes de santé mentale ou des difficultés financières, ne sont pas aptes à leur fournir les soins et le soutien essentiels. En conséquence ? Plusieurs jeunes rapportent souffrir d’isolement et d’invisibilité aux yeux de leurs parents, et confient avoir dû apprendre à se fier à leur propre instinct pour répondre à leurs besoins. 

Quand coming out et troubles mentaux se croisent

Se faire jeter dehors par ses propres parents : voilà la triste réalité de ces jeunes. Ayant grandi dans un contexte familial où les remarques homophobes et transphobes sont monnaie courante, plusieurs craignent de divulguer leur orientation sexuelle ou leur identité de genre. Avec raison, puisque plusieurs perdent le soutien de leur famille lorsqu’ils ont enfin le courage de s’afficher. Si certains parents tolèrent la situation en surface, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre de leur enfant reste tout de même à leurs yeux une source de honte, voire de mépris. 

« Ma transition, c’était soi-disant correct devant [ma mère], mais devant les invités, il ne fallait pas en parler. Mais je le mentionnais quand même et c’était l’enfer… […] Elle me criait : “Qu’est-ce que les gens vont penser?”… C’est arrivé plusieurs fois. […] Elle me mettait tout le temps dehors. » (Traduction libre des propos de Louis, homme transgenre, 22 ans)

La présence de troubles de santé mentale sévères (ex. : schizophrénie, trouble bipolaire, dépression) s’ajoute parfois à la liste de leurs difficultés. Non seulement leurs parents font preuve d’intolérance envers leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, mais ils n’acceptent pas leurs problèmes de santé mentale. Résultat : l’expulsion du nid familial, alors même que leur santé mentale est déjà plus que fragile. 

« […] Ma mère n’a jamais accepté [ma maladie mentale] ni ma transition. En fait, c’est rare qu’une mère et un père acceptent la transition chez la communauté LGBTQ en situation d’itinérance. C’est une des raisons pour lesquelles nous sommes dans la rue, parce qu’on n’a pas de famille… […] » (Traduction livre des propos de Judith, femme transgenre lesbienne, 22 ans)

La rue comme unique refuge

Il ne fait pas bon vivre en centre jeunesse pour les personnes de la diversité sexuelle et de genre! En effet, pour répondre à la négligence ou à la violence subie dans leur milieu familial, la DPJ peut intervenir et encourager un placement en centre jeunesse. Or, aux dires des jeunes ayant vécu l’expérience de ces centres, l’intimidation, les menaces, la coercition et les actes violents s’immiscent rapidement et inévitablement dans ce nouveau quotidien, qui n’est pas s’en rappeler celui de leur passé.

« Les centres jeunesse, c’est pas le meilleur endroit pour dire que tu es gai, parce que tu vas te faire intimider. Des coups pis des menaces, j’en ai reçu quand les intervenants avaient le dos tourné. Je me suis souvent fait intimider dans les centres jeunesse […]. C’était vraiment difficile parce que les gens autour de moi n’acceptaient pas [mon orientation sexuelle]. […] » (Traduction libre des propos de Jérôme, homme gai cisgenre, 21 ans)

Et une fois la majorité atteinte, fini le placement! Les jeunes ont l’impression d’avoir l’obligation de quitter le centre sans préparation suffisante, et ce, sans avoir eu le temps de tisser de liens significatifs avec les personnes intervenantes. Sans services et sans réseau social, la seule option disponible devient alors les refuges pour personnes en situation d’itinérance. 

Un avenir plus radieux dans la métropole ?

Intimidation, menaces, insultes, harcèlement, coups : c’est ce que subissent au quotidien nombre de jeunes LGBTQ+ qui fréquentent l’école. C’est encore pire chez les personnes racisées, qui sont à la fois victimes d’intimidation liée à leur orientation sexuelle ou leur identité de genre et de racisme. À force de ne se sentir à leur place, ni à l’école, ni à la maison, bon nombre quittent le domicile en quête de reconnaissance et de sécurité. Leur destination? Montréal, là où les communautés LGBTQ+ sont mieux représentées et acceptées. 

« […] J’étais déjà allé à [Montréal] et j’avais rencontré d’autres personnes trans, comme moi, et ça m’avait fait du bien. Donc je me suis dit que je serais mieux d’aller dans un endroit où il y a d’autres personnes comme moi pour me sentir moins seul. […] Chez moi, si deux filles se tiennent la main, elles se font harceler, alors qu’ici, surtout dans le Village, personne ne les regarde bizarrement. » (Traduction libre des propos de Julien, homme transgenre bisexuel, 17 ans)

Cependant, la difficulté à trouver un logement abordable a tôt fait de les rattraper. Résultat? L’espoir de s’émanciper à, fond comme neige au soleil puisque plusieurs se retrouvent tout de même à la rue. Toutefois, contrairement aux autres jeunes ayant participé à l’étude, cette situation précaire devient une source d’émancipation et de liberté, puisqu’elle leur permet de bénéficier – enfin! – d’une forme de reconnaissance, et de nouer des amitiés solides avec d’autres membres de la communauté LGBTQ+. 

Une ressource d’hébergement pour personnes LGBTQ+ : ça presse!

Au Québec, un éventail de ressources à court, moyen et long terme sont destinées aux jeunes en situation d’itinérance. Cependant, il n’existe aucune maison d’hébergement exclusivement pour les personnes LGBTQ+. Certaines peuvent hésiter à recourir aux services offerts par crainte d’être stigmatisées dans les centres d’hébergement traditionnels, et donc avoir plus de difficulté à se sortir de leur situation. En 2016, la YMCA Sprott House, la première maison d’hébergement à l’intention des jeunes LGBTQ+ âgés de 16 à 24 ans a ouvert ses portes en Ontario. En plus d’héberger 25 jeunes en situation d’itinérance, elle offre des services spécialisés en santé mentale et des programmes de renforcement des compétences. Le Québec suivra-t-il l’exemple de la province voisine ?


[1] Source : « Un accès difficile aux refuges pour les jeunes itinérants de la communauté LGBTQ+ », Radio-Canada (2020). Adresse URL : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1512506/ontario-refuges-maison-transtion-jeunes-itinerants–lgbtq