À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Susan Ballinger, Mélanie Brouillard, Alexa Ahooja, Ruth Kircher et Linda Polka, « Intersections of Official and Family Language Policy in Quebec », publié en 2020 dans le Journal of Multilingual and Multicultural Development.

  • Faits saillants

  • Suivre son instinct : voilà la philosophie que plusieurs parents multilingues adoptent face à la langue utilisée dans leur famille.
  • Les parents multilingues privilégient et valorisent l’enseignement du français à l’école et choisissent les médias pour l’enseignement de l’anglais.
  • Les parents multilingues aimeraient accéder à plus de ressources pour leur famille, et pour enseigner leur langue d’héritage à leur enfant, comme des livres à la bibliothèque ou des activités parascolaires bilingues.

Montréal est la ville la plus trilingue du Canada, avec plus de 20 % de ses habitants qui parlent au moins trois langues! Naturellement, plusieurs parents se questionnent donc sur la langue (voire les langues!) à utiliser à la maison et à l’extérieur. Entre la volonté de s’intégrer à la vie civile par le français et l’amour de sa langue maternelle, les dilemmes ne manquent pas pour ces familles en quête de réponses. 

Une équipe de recherche de Montréal et des Pays-Bas s’intéresse aux parents bilingues et multilingues de Montréal. Elle mène des groupes de discussion et des entretiens individuels avec 27 parents d’un enfant de moins de trois ans, provenant de 20 foyers différents. Douze des foyers parlent le français, l’anglais et au moins une autre langue. Leur question : quels sont les croyances, les pratiques et les besoins de ces parents en matière de langues?

« Go with the flow »

Comment les parents choisissent-ils les langues à parler à la maison? En suivant leur instinct! La plupart souhaitent que l’apprentissage des différentes langues soit organique et naturel. Plusieurs adoptent donc la technique « un parent, une langue » avec leur enfant, mais la plupart privilégient la flexibilité plutôt qu’une application stricte.

« Lorsque vous apprenez des langues plus tard dans la vie, vous finissez par penser davantage à la grammaire, plutôt que ce soit une seconde nature… donc je voudrais qu’elle soit exposée aux bases en tant qu’enfant, et si elle les conserve, alors cool. Sinon, alors j’ai essayé. » [traduction libre] – Une mère d’un foyer trilingue

La majorité des parents sont assez confiants des bienfaits d’éduquer leur enfant en version multilingue. Même que certains cherchent à exposer leur enfant au plus de langues possible, comme s’il était une véritable « éponge linguistique ». Est-ce que cela peut nuire à son développement? Certains ont entendu cette préoccupation, mais la plupart ont décidé de ne pas trop s’en faire. 

« Mon chum est bilingue, il a 35 ans, puis il mélange encore des mots et des phrases; ça ne me stresse pas » – Une des mères participantes

Leurs craintes sont davantage liées à leur langue d’héritage qu’au développement de leur enfant. La ligne est mince entre encourager l’enfant à parler la langue d’héritage sans le pousser ou le brusquer. Ils veulent non seulement aider leur enfant à maintenir le lien avec leur famille élargie, mais voient aussi cette langue comme une richesse supplémentaire à son parcours.

Le français à l’école, l’anglais à la télé

Apprendre le français aux enfants multilingues? Pour ces parents, c’est un oui sans équivoque! Ces derniers reconnaissent la place toute spéciale du français dans la vie publique de la province et souhaitent que leur enfant se débrouille dans la langue de Molière. 

Pour ce faire, plusieurs flirtent avec l’idée d’envoyer leur enfant dans le réseau scolaire francophone, même ceux qui auraient accès au réseau anglophone. Selon eux, le français est une langue plus difficile à apprendre, et l’école peut aider les élèves multilingues dans leur apprentissage.

Les parents souhaitent aussi que leur enfant apprenne l’anglais, considéré comme un avantage compétitif sur le marché du travail. Comme cette langue est perçue comme plus facile à apprendre, le divertissement est leur meilleur allié : émissions de télévision, films et vidéos sont mis de la partie.

L’envers de ces deux médailles? Les parents trouvent qu’il manque d’options en divertissement francophone et que l’enseignement de l’anglais à l’école est de piètre qualité.

Quant à la langue d’héritage, c’est elle qui cause le plus de maux de tête aux parents. Les options d’enseignement de la langue d’héritage ne répondent pas toujours à leurs valeurs (plusieurs écoles sont notamment à vocation religieuse), tandis qu’ils craignent exaspérer ou décourager leur enfant en leur enseignant eux-mêmes ses rudiments.

De l’aide please!

Les parents multilingues font face à des défis inédits et aimeraient bien qu’on leur donne un coup de main dans leur rôle. Bien que l’information abonde sur les conseils pour favoriser le développement optimal d’un enfant, presque rien n’est disponible à propos des foyers multilingues.

« Je ne me souviens pas d’avoir lu tant que ça une publication du gouvernement du Québec qui recommande quoi faire à des parents ici, surtout dans une ville comme Montréal. Aussi, ça devrait être accessible à tout le monde. » – Un des parents participants

Ils ont l’impression que même si l’État dit promouvoir la diversité culturelle, la charge d’enseigner la langue d’héritage leur tombe sur les épaules. Aussi, ils aimeraient que l’État soit plus proactif pour valoriser toutes les cultures. Certains proposent d’intégrer d’autres langues dans le cursus scolaire, tandis que d’autres aimeraient avoir accès à des livres dans différentes langues à leur bibliothèque.

Mosaïque de langues

Des activités bilingues pour toute la famille? C’est possible! Dans certains arrondissements de Montréal, l’appel des parents multilingues semble avoir été entendu : de plus en plus d’activités bilingues sont offertes, comme des lectures bilingues dans les bibliothèques. L’avantage? Les parents peuvent rencontrer et développer des liens avec d’autres familles comme la leur. Ils n’ont pas non plus à choisir entre une activité en français ou en anglais, ce qui favorise une meilleure mixité. Ces activités sont autant de ponts qui se bâtissent entre les communautés, mais aussi entre les parents à la recherche d’autres familles dans leur situation.