À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie-Odile Magnan, Roberta de Oliveira Soares, Kelly Russo, Catherine Levasseur et Jeanne Dessureault, « “Est-ce que je suis assez bonne pour être ici? : anxiété langagière et discrimination linguistique en contexte scolaire québécois », publié en 2022 dans Canadian Journal of Education / Revue canadienne de l’éducation, vol. 45, n° 1.

  • Faits saillants

  • Les élèves dont les parents sont issus de l’immigration, et pour qui la langue maternelle n’est pas le français, sont plus à risque de vivre de l’anxiété langagière, c’est-à-dire d’avoir l’impression de ne pas répondre aux exigences linguistiques.
  • Les élèves dont les parents sont issus de l’immigration sont plus susceptibles de vivre de la discrimination linguistique, soit un traitement inégal de la part du personnel enseignant ou de leurs pairs en raison de leurs compétences langagières ou de leur accent.
  • Plus les élèves dont les parents sont issus de l’immigration avancent dans leur parcours scolaire, plus ils remarquent un écart entre la norme attendue en français et leurs compétences. Ils doivent donc redoubler d’efforts pour atteindre des résultats semblables aux Québécois et Québécoises dont les parents ne sont pas issus de l’immigration récente.

« Rendue à l’université, c’est là que j’ai vraiment vu mes faiblesses au niveau scolaire, mes carences au niveau du français. Est-ce que je suis assez bonne pour être ici ? » se demande Juana, dont les parents sont nés au Mexique. Si les jeunes dont les parents ont immigré de l’Amérique latine forment un groupe hétérogène, ils partagent néanmoins certains défis. L’un d’entre eux ? Le fossé créé par les différences linguistiques qui les sépare des Québécois et Québécoises dont la langue maternelle est le français, et ce, tout au long de leur parcours scolaire. 

C’est ce qui ressort d’une étude menée par une équipe de cinq chercheuses de l’Université de Montréal, l’Université d’Ottawa et la Universidade do Estado do Rio de Janeiro. Les autrices interrogent 18 étudiants et étudiantes universitaires entre 19 à 35 ans dont les parents sont nés en Amérique latine et dont la langue maternelle n’est pas le français. Leurs objectifs ? Mieux comprendre les obstacles qui jalonnent leur parcours scolaire et mettre en lumière les récits d’expériences langagières et scolaires vécues, de l’école primaire à l’université. D’entrée de jeu, un constat flagrant émerge : ces jeunes sont plus à risque de vivre de l’anxiété langagière et de la discrimination linguistique.  

Langue maternelle vs langue de la maternelle 

« Ici, on parle français » : c’est ce que font répéter les enfants par le personnel enseignant, dès leur entrée à la maternelle. Les personnes interrogées sont unanimes : elles se sentent opprimées par l’imposition du français à l’école primaire et secondaire, et rapportent avoir vécu de la discrimination fondée sur la langue, par exemple lorsqu’il leur était demandé d’« oublier leur langue » pour apprendre celle de leur pays d’accueil.  

« Vraiment c’est qu’au niveau primaire surtout, vu qu’ils voulaient qu’ils nous intègrent ils disaient, il faut que comme mettons on oublie notre langue à nous, puis qu’on parle français, puis qu’on oublie tout ce que nous on est pour s’intégrer. […] Ça me frustrait qu’ils ne nous laissaient pas parler espagnol entre nous… J’ai le droit de parler ma langue si je veux là. » (Gabriela, parents nés en Colombie) 

Cette injonction de parler français les suit jusqu’à la maison, puisque ce même personnel encourage fortement la famille à parler la langue de Molière pour que les jeunes puissent progresser et ne « perdent pas leurs acquis », notamment durant l’été.  

« La professeure dit à mon père qu’on devrait parler en français chez nous, à la maison pour que je puisse perfectionner mon français. Mais mon père a dit que non, que c’est pour ça que l’école est là, pour qu’on puisse apprendre le français et que chez nous on va garder la langue espagnole. » (Mariana, parents nés en Colombie) 

Dès le primaire, nombre d’élèves perçoivent une frontière avec la majorité francophone du Québec. En cause ? Principalement leur accent. Plusieurs craignent de s’exprimer en public, par crainte que les autres leur fassent remarquer ces différences. À force d’encaisser des remarques sur leur manière de parler, les élèves voient leur estime de soi et leur confiance face à leurs compétences langagières fondre comme neige au soleil.  

« Quand je parle et que je suis stressée, j’ai tendance à faire des erreurs à l’oral en français, puis quand je suis avec mes amis, je ne fais pas ces erreurs. Mais, il y a toujours eu une professeure par exemple… […] au secondaire, oui, qui m’a dit : « Ah vous avez un accent ». Mais je suis née ici, donc ça ne me fait pas beaucoup de bien là d’entendre ça. » (Alexandra, parents nés au Salvador) 

Au cégep et à l’université : stop ou encore ? 

La situation est-elle plus rose une fois le secondaire terminé ? Au contraire ! Le sentiment d’anxiété langagière tend à s’exacerber lorsque ces jeunes franchissent les portes de l’université. La frontière perçue s’intensifie, et leur donne l’impression d’être des personnes étrangères dans leur pays d’accueil, même pour les personnes nées au Québec. Quant aux établissements anglophones, celles qui les fréquentent les perçoivent comme étant plus inclusifs.  

« Les francophones ont plus ce sentiment-là de nation comme qui protège leur identité, donc ils ont un petit peu de misère à intégrer d’autres personnes, alors que les anglophones bien ils sont plus « on va essayer de les intégrer le plus possible »… Les Québécois d’origine anglophone, eux, généralement, avec les personnes avec qui j’ai eu à faire affaire, ils sont plus ouverts d’esprit […]. » (Samuel, parents nés en Colombie) 

À mesure que les personnes interrogées avancent dans leur parcours scolaire, elles sentent que l’écart entre leurs compétences linguistiques et la norme attendue s’amplifie. Elles ont l’impression de devoir redoubler d’efforts comparativement aux autres et que les universités ne prennent pas en compte leurs difficultés.   

« Moi je dois travailler le double ou le triple versus qu’eux ce qu’ils doivent travailler, parce que peut-être que quand eux c’est la première langue et c’est un peu plus facile, moi si j’avais appris toutes les affaires que je sais maintenant en espagnol, j’aurais eu des A partout, mais là il faut que je travaille 2-3 heures de plus à une affaire qu’eux ils peuvent faire dans 30 minutes, une heure, parce qu’on n’a pas le même niveau ou de langue […]. » (Valeria, parents nés en Colombie) 

Sensibiliser à cette réalité et valoriser la diversité 

Très tôt dans leur parcours scolaire, les jeunes dont les parents sont issus de l’immigration se heurtent à des obstacles causés par leurs différences linguistiques, un phénomène qui ne fait qu’augmenter à l’université. Pour que le système académique prenne mieux en compte leur réalité, les chercheuses soulignent l’importance, pour le personnel enseignant, d’aborder les enjeux de discrimination linguistique en classe sous la forme de débats ou de discussions. Comme le milieu scolaire demeure peu conscientisé face à la discrimination linguistique, elles proposent de mettre en place des formations obligatoires pour le sensibiliser à ces enjeux.  

Et les familles dans tout ça ? Pour soutenir les jeunes de la communauté latino-américaine et leurs parents à prévenir des difficultés telles que le décrochage scolaire, le Centre d’aide aux familles latino-américaines (CAFLA) offre des services communautaires de première ligne et met sur pied des projets pour aider les familles. À la clé ? Un processus d’intégration à la société québécoise facilité.