À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Julie Gosselin et al., « Raising Children in Heterosexual and Same-Sex Families: French-Canadian Women’s Shared Maternal Experiences », publié en 2018, dans Journal of Divorce & Remarriage, vol. 59, n° 7, p. 555-573.

  • Faits saillants

  • Pour définir la maternité, les femmes dans les familles recomposées hétéroparentales accordent une plus grande importance aux liens de sang, que celles des familles homoparentales.
  • Dans les familles recomposées homoparentales, les mères et les belles-mères communiquent plus ouvertement entre elles et se coordonnent davantage pour les tâches parentales (ex. : soins aux enfants, horaires de garde).
  • De manière générale, les belles-mères s’investissent auprès des enfants de leur partenaire sans pour autant avoir les mêmes droits que les parents. En cas de rupture, elles craignent donc de perdre le lien tissé avec l’enfant.

Marie et Pierre sont séparés depuis deux ans et partagent la garde de leur fils à parts égales. Mais Marie a de la difficulté à s’entendre avec Caroline, la nouvelle conjointe de Pierre : elle trouve que celle-ci prend trop de décisions concernant leur fils. De son côté, Caroline sent que son opinion ne pèse pas lourd dans la balance. Compliquée, l’entente entre maman et belle-maman ? Pas si vite! En contexte de recomposition familiale, plusieurs facteurs influencent cette relation… dont le sexe des partenaires! En fait, les femmes vivant en famille recomposée homoparentale communiquent plus ouvertement entre elles et cherchent davantage à coordonner leurs responsabilités avec l’autre ménage.

C’est ce que rapporte une équipe de quatre chercheures en psychologie de l’Université d’Ottawa et de l’Université Memorial de Terre-Neuve, qui interrogent 15 femmes vivant en famille recomposée depuis au moins un an. Les deux tiers des participantes sont en couple avec un homme, alors que les autres forment un couple de même sexe. L’objectif ? Comparer le vécu des mères et des belles-mères dans les familles recomposées hétéroparentales et homoparentales. Il s’agit d’une des premières études exploratoires qui aborde spécifiquement la dynamique entre les mères et les belles-mères dans les familles recomposées.

La belle-mère : parent additionnel ou substitut de maman ?


D’après les participantes, une mère et une belle-mère n’ont pas les mêmes rôles et responsabilités. Cette affirmation, assez directe, est encore plus vraie chez les femmes en couple hétérosexuel, qui sont d’avis que la seule « vraie » forme de maternité découle du lien biologique qui unit une mère et son enfant. L’absence de ce lien relèguerait ainsi les belles-mères au second plan.


« Une mauvaise belle-mère est celle qui tente d’envahir le territoire de la mère. Une mauvaise mère est celle qui ne comprend pas la nécessité de faire des sacrifices pour ses enfants. » (Traduction libre)

— Valérie, en couple hétérosexuel, mère biologique et belle-mère

Qu’en est-il des femmes en couple avec une autre femme ? Au contraire, elles accordent moins d’importance aux liens de sang pour distinguer les deux rôles. C’est plutôt le temps passé avec l’enfant depuis sa naissance qui entre en ligne de compte.

Fait intéressant : le « remplacement » de la mère par la belle-mère est une réelle inquiétude pour les participantes hétérosexuelles. De nouveau, la vision des femmes en couple homosexuel semble totalement opposée puisqu’elles considèrent davantage les belles-mères comme un « parent additionnel » avec qui partager les responsabilités parentales.

« Dans notre famille recomposée, les décisions sont prises par consensus entre toutes les femmes. » (Traduction libre)

— Layla, en couple homosexuel, mère biologique et belle-mère.

Prises entre l’arbre et l’écorce

La place accordée à une belle-mère diffère dans chaque famille et évolue au fil du temps. Avoir le soutien du ou de la partenaire, et se sentir acceptée par les enfants peut évidemment favoriser l’intégration dans une nouvelle famille!

Cela dit, les belles-mères se retrouvent dans une position délicate : elles remplissent des responsabilités parentales sans toutefois avoir les mêmes droits que les parents, ce qui entraîne parfois d’importantes négociations. Une participante témoigne ainsi du refus des parents de la laisser intervenir dans les décisions de santé de l’enfant, alors même qu’elle est médecin!

« Je suis médecin. Si mon beau-fils est malade, il me semble normal que je puisse l’amener moi-même à l’hôpital et appeler sa mère, mais non, je ne peux pas, je dois attendre que sa mère l’amène à la place. » (Traduction libre)

— Viola, en couple hétérosexuel, belle-mère.


Plusieurs belles-mères s’inquiètent aussi de ce qui pourrait se passer en cas de séparation.

« Je suis d’accord que les parents biologiques devraient avoir plus de droits, mais je m’inquiète en cas de séparation. Je trouverais difficile de ne plus avoir de contact avec (mon beau-fils). » (Traduction libre)

— Kerry, en couple hétérosexuel, belle-mère.

En effet, même s’ils font partie intégrante de la vie des enfants de leur partenaire, les beaux-parents n’ont généralement aucun droit envers ceux-ci. En cas de rupture, ils risquent donc de perdre tout contact avec l’enfant.

Communication ouverte… ou pas !

Horaires de garde, tâches ménagères, règlements : la coordination entre les deux foyers est un défi de taille pour les familles recomposées ! Lorsqu’on demande aux participantes quelles relations elles entretiennent avec l’autre femme impliquée dans l’éducation des enfants, celles en couple hétérosexuel rapportent une expérience bien différente de celles en couple de même sexe.

Chez les couples hétérosexuels, les hommes adoptent souvent le rôle de messagers ou de médiateurs. Les parents biologiques communiquent entre eux sans trop laisser de place à la belle-mère. En fait, la majorité des participantes en couple hétérosexuel n’ont aucun contact direct avec la partenaire de leur ex-conjoint et ne partagent pas leurs tâches et responsabilités avec elle.

« Ce que je veux, c’est une entente claire entre son père et moi, et seulement entre nous. Il peut communiquer cela à sa nouvelle partenaire et trouver comment l’appliquer chez lui ; ils peuvent décider cette partie ensemble. » (Traduction libre)

— Mary, en couple hétérosexuel, mère biologique.

La situation est toute autre du côté des couples de même sexe : les femmes impliquées dans l’éducation des enfants communiquent ouvertement entre elles et se rencontrent régulièrement afin d’échanger sur le partage des responsabilités parentales.

« Je communique une fois par semaine avec la mère biologique. […] Chaque dimanche, nous faisons un compte rendu de la semaine. Parfois, nous mangeons ensemble, toutes les quatre, ou nous faisons une activité avec les enfants. Je dirais que c’est une forme d’amitié qui s’est développée. » (Traduction libre)

— Bree, en couple homosexuel, mère légale et belle-mère.

Cette dynamique se reflète également dans l’usage que font les participantes des médias sociaux. Dans les familles homoparentales, les femmes s’en servent surtout pour échanger et planifier les horaires des deux ménages. Les participantes en couple hétérosexuel soulignent plutôt que ces plateformes leur permettent de communiquer avec leur enfant sans avoir à passer par leur ex-conjoint ou sa partenaire.

Accorder plus de droits aux beaux-parents ?

Cette étude est une des premières à explorer la manière dont les femmes en famille recomposée perçoivent leur rôle et partagent les tâches et responsabilités entre elles. La communication semble plus facile dans les familles recomposées homoparentales, qui ont une conception plus ouverte de la parentalité. Ces femmes sont d’ailleurs plus enclines à laisser une place à d’autres figures parentales, puisqu’elles ont une vision élargie leur de la parentalité qui inclut la mère légale, c’est-à-dire celle qui n’a pas porté l’enfant.

Face à l’éclatement des modèles familiaux, la conception traditionnelle de la parentalité se transforme pour prendre en compte, notamment, la question des beaux-parents et de la pluriparentalité. En 2019, le gouvernement du Québec a consulté les citoyens et citoyennes sur la réforme du droit de la famille, qui abordait la relation entre l’enfant et le beau-parent. Reste cependant à voir si les projets de loi déposés aborderont cette composante.