À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume le commentaire de jurisprudence d’Andréanne Malacket, « Maternité de substitution : quelle filiation pour l’enfant à naître » publié en 2015 dans La revue du notariat, 117 :2, p. 229-243.

  • Faits saillants

  • Le droit québécois accuse un important temps de retard par rapport à la maternité de substitution (mères porteuses).
  • Normalement, le consentement de la mère porteuse est un préalable obligatoire à l’adoption du bébé, mais une jurisprudence récente questionne la légitimité de cet article de loi.
  • D’après l’auteure, le flou juridique actuel pourrait entraîner des abus, préjudiciables surtout pour la mère porteuse et l'enfant.

Stérilité, infertilité, conjoints de même sexe… De nombreux couples ne peuvent pas concevoir d’enfants. Certains se tournent alors vers la maternité de substitution, qu’on désigne couramment par le recours à une mère porteuse. L’enfant peut être conçu à partir des gamètes (ovule et spermatozoïdes) des parents d’intention et ensuite porté par la mère de substitution; on parle alors de « gestation pour autrui ». Si la mère porteuse fournit l’ovule nécessaire à la fécondation, on parle de « procréation pour autrui ». Dans ce cas, la mère porteuse est donc génétiquement liée à l’enfant.

Qu’il s’agisse de gestation par autrui ou de procréation par autrui, un processus d’adoption doit être mis en place pour que les parents d’intention soient reconnus comme les parents légitimes de l’enfant devant la Loi. La mère est celle qui a porté et accouché l’enfant, et donc, à la naissance, cette « filiation sera en principe toujours établie entre [elle] et l’enfant ». C’est ce qu’on appelle la filiation de sang. D’après la loi québécoise, elle n’est pas obligée de remettre l’enfant aux parents d’intention, même si elle s’y est engagée par contrat. Le Code Civil précise que les contrats de mères porteuses sont « frappés de nullité absolue aux termes de l’article 541. ». La Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, adoptée en 2002, confirme aussi que « la convention par laquelle [la mère porteuse] se sera engagée à porter un enfant pour le compte d’autrui ne sera jamais susceptible d’exécution forcée ».

Et le père?

Le père peut faire reconnaître sa paternité dès la naissance, en se déclarant comme tel au Directeur de l’état civil du Québec, ce qui est impossible pour sa conjointe puisque l’enfant a déjà, de facto, une mère. Comment la mère d’intention, la nouvelle mère, peut-elle alors établir un lien de filiation avec l’enfant? Par l’« adoption par consentement spécial ». Le père d’intention, reconnu comme parent, et la mère porteuse doivent donner leur consentement à l’adoption en faveur de la mère d’intention. Une fois le consentement dûment signé, une requête pour ordonnance de placement doit être entendue par la Cour du Québec afin de rendre l’adoption effective.

Un cas litigieux

En 2014, un couple a présenté devant la Cour du Québec une demande d’adoption pour leur enfant né de mère porteuse. Le père d’intention a déclaré sa filiation au Directeur de l’état civil mais pas la mère porteuse, qui croyait ainsi faciliter le processus d’adoption. En 2015, le jugement de l’affaire dite « Adoption-1445 » est rendu. D’après l’auteure, la Cour estime « que l’omission de la mère porteuse de déclarer sa maternité constitue une fraude à la loi » et que « la demande d’adoption entreprise est le résultat d’une démarche illégale et contraire à l’ordre public ». Selon le tribunal, « le consentement formel à l’adoption de l’enfant par la mère porteuse [est] essentiel ».

La cause est alors portée devant la Cour d’appel, qui rejette le caractère frauduleux de la démarche et estime que « seul le consentement (…) du père de l’enfant, était nécessaire au sens de l’article 555 C.c.Q. ». Selon la Cour d’appel, l’intérêt de l’enfant milite en faveur de son adoption par la mère d’intention. L’arrêt est rendu le 14 janvier 2016 (Adoption 161) : l’adoption de l’enfant est autorisée.

Un risque d’abus

Selon l’auteure, « en l’état actuel du droit québécois (…) une mère porteuse devrait (…) impérativement consentir (…) à l’adoption de l’enfant qu’elle a porté en faveur de l’autre parent d’intention ». Toujours selon l’auteure, le jugement de la Cour d’appel dans la cause précédemment décrite pourrait entraîner des dérives préjudiciables pour la mère porteuse et l’enfant, qui sont « les parties les plus vulnérables » dans ces circonstances. L’idée que seul le consentement du père pourrait être nécessaire à l’adoption pose problème. Dans le pire des cas, on peut imaginer qu’une mère porteuse soit forcée de remettre l’enfant qu’elle ne souhaite plus donner.

De plus, ce jugement ne met pas fin à l’imprécision juridique et « demeure [impuissant] à offrir une réponse à tous les scenarios qui pourraient dorénavant impliquer le recours à une mère porteuse ». D’autres questions éthiques se posent : par exemple, dans le cas où une intervention chirurgicale in utero serait nécessaire pour l’enfant mais comporterait des risques pour la mère porteuse, qui, de la mère porteuse ou des parents d’intention, peut prendre une telle décision?

L’auteur considère que le droit québécois accuse un important retard par rapport à la maternité de substitution. L’affaire dite « Adoption-1445 », décrite ci-dessus, illustre la complexité de la situation et questionne la responsabilité des tribunaux. Deux ans se sont écoulés entre la naissance de l’enfant, en 2014, et la décision finale rendue par la Cour d’appel, en 2016. Un délai qui peut être préjudiciable, particulièrement pour l’enfant. Des modifications pourraient être apportées au droit de la famille afin de développer un cadre juridique adéquat, qui protège à la fois l’intérêt de l’enfant ainsi que les droits de la famille et des mères porteuses.