À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Jean-Pierre Bonin et al., « Le rôle des familles de personnes en situation d’itinérance et souffrant de troubles mentaux : un regard rétrospectif et prospectif des liens », publiée en 2013, dans Santé mentale au Québec, vol. 38, n° 1, p. 143-163.

  • Faits saillants

  • Les familles peuvent aider un proche vulnérable de différentes façons, d’un simple coup de pouce financier à un véritable engagement émotionnel.
  • Soutenir un proche en situation d’itinérance peut être ressenti comme un fardeau, mais aussi comme une source de satisfaction.
  • Le sentiment d'impuissance ressenti par les aidants explique souvent une diminution du soutien envers ce proche, voire une cassure dans la relation.

« Moi, j’ai été claire de lui dire : c’est fini avec moi, tant que tu n’es pas clean, que t’es pas autonome, et que t’es pas en logement, appelle-moi pas. Appelle-moi pas, parce que je ne rembarque pas là-dedans… ».

Le soutien de la famille en temps de crise est souvent vu comme un incontournable. Mais quand la crise dure depuis longtemps, comme dans le cas de personnes en situation d’itinérance avec des troubles mentaux, les proches s’épuisent et la relation d’aide évolue au gré de l’état financier, émotif et de santé de chacun.

Cette étude a été effectuée dans le cadre du projet Chez Soi, qui vise globalement à identifier les types d’interventions les plus susceptibles de favoriser la stabilité du logement et d’améliorer la santé et le bien-être des personnes atteintes de maladies mentales. Pour mieux comprendre les types de soutien offerts et l’évolution de la relation entre les participants du projet et leur famille, les chercheurs ont conduits 14 entretiens auprès de proches afin d’avoir accès à leur vision de leur relation.

De l’argent à l’accompagnement

Les résultats mettent en lumière quatre principaux types de soutien et leur évolution dans le temps.

Tableau 1: Les types de soutien

Héberger un proche ou l’aider financièrement sont plus susceptibles d’être interrompus ou fortement réorganisés que les autres types de soutien. Ainsi, le soutien émotionnel et l’accompagnement social tendent plutôt à se maintenir dans le temps. Avant de diminuer, voire d’arrêter les rencontres, les aidants vont souvent demander un changement de comportements au proche : sobriété, absence de comportement agressif, etc. 

Une question de contrôle

La relation entretenue par les personnes en situation d’itinérance souffrant de troubles mentaux avec leur famille semble caractérisée par des notions de « contrôle » et de « dépendance ». La moitié des familles interviewées affirme que leur proche utilise la manipulation pour tenter d’exercer un contrôle relationnel, ce qui entraîne des tensions. Les aidants disent aussi ressentir de l’irritation face à leur manque d’influence sur leur proche ; ce désir de contrôle a pour objectif « d’aider leur proche à se mobiliser et ainsi renverser la vapeur de la désaffiliation sociale ».

L’encadrement budgétaire et l’aide financière restrictive peuvent être des moyens acceptables de contrôle et semblent effectivement mener, chez les toxicomanes, par exemple, à une diminution de leur consommation. La crainte de comportements d’agressivité liés à l’intoxication ou au sevrage tend aussi à justifier l’imposition de limites à la relation. De manière générale, plus la consommation est importante, plus l’aide financière diminue.

«Ça le sécurise, parce qu’il avait un problème d’argent, il n’était pas capable de le gérer, dès qu’il en avait, il le consommait. Fait que lui, d’un certain côté, il a l’impression d’avoir pas une perte totale de contrôle sur sa vie, parce qu’il sait que quelqu’un, quelque part, l’épaule là-dessus.»

« Mon frère, je vais le chercher au métro, et si il sent l’alcool… je l’ai averti : Réjean, si tu sens l’alcool, tu ne viens pas chez nous, je te laisse au métro, puis tu ne viens pas chez moi »

Pour certains aidants, la dépendance du proche est perçue comme un fardeau, au point qu’ils refuseront de poursuivre la relation. D’autres y voient plutôt l’occasion d’accompagner le proche dans l’acquisition d’une meilleure situation de vie, ce qui peut être une source de grande satisfaction. L’engagement des aidants varie aussi selon le lien familial : les parents et les conjoints, par exemple, sont souvent plus présents que les frères et les sœurs.

Aider, s’il y a de l’espoir

Plusieurs facteurs modulent l’intensité du soutien offert : l’âge de l’aidant, ses capacités physiques et financières, ses difficultés personnelles. L’émotivité est au cœur de cet enjeu. En présence d’émotions négatives (irritation, colère, inquiétude ou découragement), une redéfinition des rôles peut s’ensuivre. Si le proche, par exemple, est perçu comme une personne égoïste et incontrôlable, ne montrant aucune motivation pour se sortir de sa situation, le soutien offert aura tendance à diminuer, voire disparaître.

La famille assume souvent une grande prise en charge, mais elle peut aussi adopter une posture de jugement et de rejet lorsqu’elle se sent impuissante et perd l’espoir d’améliorer la situation du proche vulnérable. Une prise en charge importante n’ayant pas eu l’effet escompté engendre souvent une cassure au niveau de la relation.

Le rôle de l’aidant, loin d’être statique, est en constante redéfinition. Un fait à prendre en compte en matière d’intervention auprès des personnes en situation d’itinérance souffrant de problèmes multiples. Les programmes devraient donc être conduits en étroite collaboration avec les familles et prévoir des actions qui les soutiendront afin d’alléger leur fardeau et ainsi faciliter leur engagement auprès de leur proche vulnérable.