À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Hubert Van Gijseghem, « Facteurs contribuant à l’aliénation parentale », publié en 2016, dans Revue de psychoéducation, vol. 45, n° 2, p. 453-468.

  • Faits saillants

  • En cas de séparation, il arrive qu’un enfant s’allie à un parent et rejette injustement l’autre; c’est ce qu’on appelle l’aliénation parentale.
  • Contrairement à ce qu’on l’on croyait autrefois, ce phénomène n’est pas causé par un parent malveillant qui manipule son enfant. Certains comportements de l’enfant, comme ses tentatives de réduire le conflit de loyauté, y contribuent fortement.
  • Les idées préconçues qu’un parent entretient sur l’autre parent pourraient expliquer en grande partie l’aliénation parentale.

Les parents de Mathias, huit ans, sont séparés depuis quelques mois. Ils ont convenu d’une garde partagée, ce qui ne semble pas faire le bonheur du petit. Chaque fois qu’il est temps d’aller chez son père, Mathias fait une terrible crise et s’accroche aux jupes de sa mère… Pourtant, avant la séparation, ils étaient très proches l’un de l’autre. Que se passe-t-il?

Cette situation décrit bien le concept d’aliénation parentale, c’est-à-dire le « trouble de l’enfant qui s’allie fortement avec un parent et, de façon injustifiée, rejette l’autre parent ». Auparavant, on expliquait ce phénomène par le comportement d’un parent qui, par des propos malveillants sur l’autre parent, influençait l’opinion de son enfant et le manipulait à son avantage. On allait jusqu’à parler de véritable « lavage de cerveau ». Bien que rejetée par les experts, cette théorie subsiste encore dans l’esprit populaire. Pourtant, il existe bien d’autres facteurs qui contribuent à l’aliénation parentale… dont les caractéristiques de l’enfant lui-même.

Hubert Van Gijseghem, professeur retraité à l’école de psychoéducation de l’Université de Montréal, explore le trouble de l’aliénation parentale depuis plusieurs années et a publié une dizaine d’articles sur le sujet. Dans son plus récent texte, Facteurs contribuant à l’aliénation parentale, il fait le point sur ce phénomène plutôt controversé.

L’auteur identifie cinq sources contribuant à l’aliénation parentale, qui survient la plupart du temps suite à une séparation conjugale. En ordre d’importance, ces facteurs sont : l’enfant, le parent allié, le parent rejeté, le système judiciaire et le clinicien.

Pris entre l’arbre et l’écorce

Selon l’auteur, le facteur le plus important du côté de l’enfant est le désir de réduire un conflit de loyauté. Pour lui, manifester de l’amour à un parent revient à trahir l’autre, ce qui lui cause beaucoup d’angoisse. Pour éviter cela, l’enfant changera inconsciemment sa perception de ses parents : l’un devient « tout bon » et l’autre, « tout mauvais ». Ainsi libéré de la pression de plaire aux deux parents, son anxiété diminue. Une solution, d’après l’auteur, qui n’est pas optimale, puisque le rejet d’un parent qui n’a rien fait de mal prive l’enfant d’une « source identitaire capitale ».

Certaines caractéristiques et comportements de l’enfant participent également à l’aliénation parentale. Par exemple, un enfant qui a de la difficulté à s’adapter aux changements pourrait vivre de la détresse lorsqu’il doit se déplacer d’un foyer à l’autre. Le parent préféré pourrait interpréter ce malaise comme un signe que l’autre parent n’est pas adéquat, et ainsi renforcer la distance entre ce dernier et l’enfant.

Le chercheur dénombre plusieurs autres sous-facteurs liés à l’enfant, qui sont énumérés dans le Tableau 1.

Tableau 1. Facteurs liés à l’enfant qui favorisent l’aliénation parentale

Le parent allié, complice involontaire

Le parent allié est celui qui est préféré par l’enfant. Il peut influencer négativement l’opinion de son enfant par rapport à l’autre parent, souvent involontairement. Par exemple, un parent qui a du ressentiment envers son ex-conjoint pourrait transmettre ses sentiments à son enfant sans le vouloir.

Selon l’auteur, le biais de confirmation, un concept utilisé en psychologie sociale, serait le facteur qui contribue le plus à l’aliénation parentale. Le biais de confirmation « concerne les idées préconçues sur quelque chose ou quelqu’un qui, graduellement, deviennent des certitudes. » En effet, nous avons tous tendance à prendre davantage en compte ce qui est en lien avec nos croyances et à ignorer ce qui les contredit. Puisque ce processus est inconscient, on comprend combien il peut être difficile de raisonner un parent inquiet!

Par exemple, une mère s’inquiète beaucoup lorsque son fils visite son père. Elle est donc très à l’écoute lorsque l’enfant, à son retour, lui dit qu’il n’y avait « encore plus de lait au déjeuner », et porte une grande attention à la moindre égratignure… Toutefois, elle ignore les commentaires positifs de son fils sur l’autre parent. Peu à peu, elle devient convaincue qu’elle a raison de s’inquiéter et qu’elle doit protéger son enfant contre les mauvaises pratiques du père. Ainsi, croyant bien faire, elle les éloigne l’un de l’autre.

Le chercheur a recensé plusieurs autres sous-facteurs propres au parent allié, énumérés dans le Tableau 2.

Tableau 2. Facteurs liés au parent allié qui favorisent l’aliénation parentale

Parent rejeté, parent frustré

Si le parent rejeté a posé des gestes qui ont provoqué l’éloignement de l’enfant, on ne peut pas parler d’aliénation parentale. Selon l’auteur, on ne peut parler d’aliénation que lorsque l’enfant se distancie du parent sans raisons apparentes. Par contre, ce dernier peut intensifier le syndrome!

Le « bon » parent qui vit du rejet peut se sentir attaqué et ne pas comprendre pourquoi son enfant agit ainsi. Il attribuera alors cette injustice à l’autre parent, qui, il en est sûr, souhaite le punir pour la séparation. En témoignant de la frustration à l’égard du parent allié devant l’enfant, ce dernier se dira qu’il avait raison de se méfier… et s’éloignera encore plus.

La loi et l’empathie

Dans les quelques cas où le conflit perdure ou s’intensifie, l’intervention du système judiciaire ou d’un clinicien peuvent être nécessaires. Paradoxalement, leur contribution peut intensifier l’aliénation parentale.

Par exemple, dans le cas d’un litige en lien avec la garde de l’enfant, la lenteur du processus judiciaire peut augmenter la frustration des parents. L’auteur pointe aussi du doigt « l’écoute empathique du clinicien [qui] transformera malheureusement les croyances de l’enfant en contrevérités ». Ainsi, selon l’auteur, en écoutant l’enfant sans le remettre en question, le clinicien risque de renforcer ses fausses convictions et d’intensifier le trouble.

Controverse autour du concept d’aliénation parentale

Plusieurs facteurs peuvent intensifier le trouble de l’aliénation parentale, qui s’installe souvent de manière pernicieuse. La plupart du temps, les personnes concernées ne se rendent pas compte de l’impact négatif de leurs agissements. Le phénomène ne découlerait donc pas de l’attitude malveillante du parent allié, comme on l’a longtemps cru. Selon l’auteur, le problème résulte plutôt d’une interaction complexe entre différents éléments. Bien que l’aliénation parentale soit plus fréquente suite à une séparation conjugale, elle existe aussi dans les familles unies. Il y a tout lieu de se demander comment le phénomène se développe dans de telles circonstances.