À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie-Odile Magnan, Fahimeh Darchinian et Émilie Larouche, « École québécoise, frontières ethnoculturelles et identités en milieu pluriethnique », publié en 2016 dans la revue Minorités linguistiques et société, no 7, p. 97-121.

  • Faits saillants

  • Il y a une frontière dans les écoles secondaires pluriethniques entre Québécois francophones et jeunes immigrants.
  • Grâce aux contacts plus nombreux entre ces deux groupes au niveau postsecondaire, certains jeunes adoptent l’identité québécoise, alors que d’autres revendiquent une double identité.
  • Cependant, dans près de la moitié des cas, les jeunes immigrants n’adoptent jamais l’identité québécoise.

C’est à l’école que les jeunes forgent une partie de leur identité. Après tout, l’école est bel et bien un agent de transmission des valeurs de la société. Mais cette identité, québécoise dans le cas qui nous intéresse, s’y développe-t-elle autant chez Jean, Marie et Judith que chez Ahmed, Constantza et Dieudonné? Autrement dit, l’école permet-elle à tous les jeunes, qu’ils soient nés ici ou ailleurs, de développer un sentiment d’appartenance au Québec? Selon une récente étude, tout porte à croire que non, du moins pendant l’adolescence. Dans les écoles secondaires de Montréal, les jeunes se regroupent le plus souvent selon leur origine ethnique. Par contre, Québécois de souche et jeunes issus de l’immigration se rapprocheront souvent les uns des autres au cours des études post-secondaires, au cégep et à l’université.

C’est du moins ce que rapportent trois chercheures de l’Université de Montréal, après une série d’entrevues auprès de jeunes qui viennent de familles immigrantes. Les données récoltées montrent clairement l’existence d’un fossé entre ces derniers et les jeunes Québécois francophones. Un fossé qui pourrait bien s’expliquer par la faible présence de Québécois « de souche » dans plusieurs écoles secondaires de Montréal, aboutissant ainsi à moins d’occasions de contacts entre ces deux groupes. En revanche, selon plusieurs témoignages, le passage aux études postsecondaires est l’occasion de revisiter cette identité, avec des résultats forts différents.

Pluriethniques, les écoles secondaires montréalaises?

Comme le soulèvent les auteures, une majorité (près de 60%) d’élèves qui fréquentent les écoles primaires et secondaires francophones de Montréal est issue de l’immigration. Ils sont « nés à l’étranger de parents nés à l’étrangers (21,9% des élèves),  nés au Québec de parents à l’étrangers (27,2%), ou encore nés au Québec et ayant un parent né à l’étranger (10,5%). »

L’étude est basée sur des entrevues avec 37 jeunes adultes âgés de 18 à 30 ans. Les critères d’inclusion étaient : avoir 2 parents immigrants, avoir fait ses études primaires et secondaires en français dans la grande région de Montréal, être inscrit à l’université à Montréal.

Au total, 13 jeunes sont nés au Québec de parents immigrants, 15 sont arrivés au Québec lors de leurs études primaires, et 9 autres sont arrivés pendant la période du secondaire.

École secondaire : « Moi j’ai ma clique, et c’est assez »

Dans les écoles secondaires pluriethniques de Montréal, les contacts entre francophones québécois et jeunes immigrants ne sont pas aussi fréquents et aisés qu’on voudrait le croire. Les jeunes rencontrés pointent du doigt l’effet de clique, le manque de points en commun et d’ouverture entre jeunes immigrants et jeunes québécois francophones.

Les auteures remarquent que, dans plusieurs des écoles secondaires de l’étude, la proportion de Québécois francophones dits « de souche » est assez faible. S’en suit un phénomène de clique et de regroupements.  Des groupes de Québécois francophones ici, des groupes d’immigrants antillais là, et ainsi de suite. En deux mots, les jeunes se regroupent selon leur origine ethnique. Comme l’indiquent les chercheures de l’Université de Montréal, l’effet de clique conjugué à la faible proportion de Québécois francophones aboutit à un manque de contact avec la culture québécoise : « les jeunes issus de l’immigration se regroupent ensemble dans l’école et ont peu de contact avec les ‘’francophones québécois’’. » Le témoignage d’une jeune femme est assez révélateur à ce sujet.

« C’est ça le problème, parce qu’à l’école, c’est une école multiethnique, donc je me souviens, je n’étais pas confrontée aux Québécois. Pour moi, les Québécois, la société québécoise, c’est où ça? »

Certains des jeunes rencontrés mentionnent le manque d’ouverture à l’autre, tant chez les francophones québécois que chez les jeunes immigrants : « Les Québécois de souche faisaient plutôt la distinction entre les Québécois de souche et les Québécois immigrants. Et c’est vrai aussi, on ne cherchait pas à être identifiés aux Québécois de souche. » Un autre raconte que « les Québécois, ils étaient ensemble, pas capables eux-mêmes de s’ouvrir à la diversité ».

Le manque de points en commun entre Québécois francophones et jeunes immigrants est aussi un facteur de discorde. Les jeunes venus d’ailleurs ne se reconnaissent pas dans les comportements des jeunes d’ici qui, parfois, fument du tabac ou de la marijuana, boivent de l’alcool ou font des sorties en plein milieu de la semaine. Les jeunes qui ont des parents immigrants pensent partager une expérience commune avec leurs semblables, surtout en ce qui a trait à la famille : « Si on échoue un examen, si je dis à mon amie québécoise que ma mère va me chicaner, bon c’est ridicule. Alors que si je le disais à une amie haïtienne, elle disait ‘’Je sais que tu vas avoir une grosse claque de ta mère’’. »

Le postsecondaire pour recoller les pots cassés

Les entrevues montrent que le passage au niveau postsecondaire agit parfois, selon les auteures, comme un réconciliateur. Ces dernières mentionnent que le temps y est peut-être bien pour quelque chose. Les jeunes ont eu le temps de mieux s’adapter à la société québécoise et au monde scolaire. Plus âgés, donc plus matures, ils peuvent revisiter les contacts avec les Québécois francophones. Une maturité qui se manifeste aussi chez les jeunes « de souche », plus ouverts aux autres cultures, aux dires de certains immigrants. Les chercheures identifient donc quatre types de parcours identitaires liés aux études postsecondaires.

Deux identités

Les jeunes qui chevauchent la frontière Eux/Nous et qui s’identifient tant à la culture québécoise qu’à celle de leur pays d’origine forment le premier groupe. Ils s’approprient l’identité québécoise, mais glorifient toujours celle de leurs parents et en sont fiers. Une des participantes d’origine chinoise témoigne d’une expérience différente entre le secondaire et le post-secondaire :

« Les autres étudiants veulent apprendre comment ça se fait en Chine. Ils sont plus ouverts par rapport à ma différence. En fin de compte, les Québécois, c’est plus juste eux. »

Je suis Québécoise!

Dans certains cas, les contacts avec la culture d’accueil à l’université amènent les jeunes immigrants à revendiquer leur identité québécoise, même si certains Québécois de souche ne leur accordent pas toujours. Une jeune femme d’origine libanaise, qui préférait s’identifier ainsi lorsqu’elle était adolescente, raconte comment ses contacts avec les Québécois à l’université ont changé la donne :

« Plus je vais en âge, plus je m’affirme en tant que Québécoise. Mais encore une fois, on ne m’accepte pas comme Québécoise… Ils veulent savoir je suis de quelle origine. »

Je suis… en sciences

Certains des jeunes rencontrés refusent de s’identifier à leur culture d’origine autant qu’à celle de la société d’accueil. Ils s’identifient plutôt… à leur domaine d’études, un phénomène surtout recensé chez les jeunes qui font le saut au cégep ou à l’université en anglais. Comme l’exprime un jeune homme originaire de Roumanie :

« Mon identité, c’est la science. La communauté scientifique est une communauté en soi, dont je fais partie. […] C’est comme si j’étais né au milieu des océans. Je suis nullement attaché. Je ne suis ni Roumain, ni Québécois. »

La frontière devient une muraille

Chez près de la moitié des participants (15 sur 37), le fossé creusé au secondaire n’aura cessé de s’amplifier. Ces jeunes ne s’identifient pas à la culture québécoise. Même si plusieurs se disent bien adaptés au Québec, ils ne se définissent toujours pas comme Québécois. Les auteures attribuent ce phénomène à l’effet de clique vécu au secondaire : «[L]a possibilité d’interagir principalement avec des jeunes issus de l’immigration ou des étudiants étrangers semble expliquer en partie ce maintien de la frontière. »

Et les autres?

La plupart des jeunes rencontrés mentionnent ce fossé qui les sépare des Québécois de souche au secondaire. Une fois au niveau postsecondaire, plusieurs voient leur identité changer : ils revendiquer une double identité, une identité québécoise, ou même une identité fondée sur le domaine d’études. Par contre, près de la moitié d’entre eux ne verront jamais la frontière disparaître, même au niveau postsecondaire.

Cependant, il y a lieu de se demander si le portrait brossé par les auteures peut être généralisé. La proportion d’élèves québécois francophones et d’élèves issus de l’immigration n’est pas identique aux quatre coins de Montréal. La frontière est-elle aussi présente dans des écoles où la proportion de Québécois francophones est faible, comme à Côte-des-Neiges, que dans une école des quartiers Ahuntsic ou Pointe-aux-Trembles, où la majorité des élèves sont nés de parents Québécois? Les écoles secondaire où les contacts entre ceux deux groupes d’élèves étaient plus fréquents ont-ils donné des résultats similaires?