À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Martine D’amours, « Les aspirations des travailleuses de la garde d’enfant en milieu familial : à l’intersection de la trajectoire professionnelle, de la famille et de la migration », publié dans Sociologie et sociétés, vol. 47, no 1 (2015), p. 147-175. 

  • Faits saillants

  • Trois facteurs influencent la perception que les responsables de service de garde (RSG) en milieu familial entretiennent à l’égard de leur travail : le parcours professionnel, la situation familiale et le fait d’avoir immigré.
  • Les RSG qui sont nées au Canada, tout particulièrement celles qui ont de jeunes enfants ou qui pratiquent ce métier depuis plusieurs années, apprécient l’autonomie liée au statut de travailleur autonome.
  • Les travailleuses immigrées préféreraient avoir un emploi salarié. La plupart d’entre elles sont surqualifiées pour ce type de travail et admettent l’avoir choisi par défaut afin de subvenir aux besoins de leur famille.

On compte environ 15 000 responsables de service de garde en milieu familial (RSG) au Québec. Bien que leurs tâches quotidiennes soient semblables, elles ne forment pas un bloc homogène, loin de là. Ces travailleuses proviennent de divers horizons professionnels, vivent des situations familiales différentes et aspirent à des avenirs fort variés. La représentation qu’elles se font de leur situation est aussi multiple.

C’est ce que nous apprennent les résultats d’un sondage mené par Martine D’Amours, professeure et chercheure au département des relations industrielles de l’Université Laval, auprès de 3769 RSG travaillant aux quatre coins du Québec. L’auteure veut savoir à quel point ces femmes apprécient leur travail, par exemple si elles aiment l’autonomie associée au statut de travailleur autonome. Elle tente aussi de voir comment elles perçoivent leur avenir. Très hétérogènes, les réponses révèlent des tendances différentes selon le parcours professionnel des travailleuses, leur situation familiale ou  le fait d’avoir immigré au Canada.

L’ABC des RSG

Parmi les 3769 personnes sondées, 99,4 % étaient des femmes et 86,3 % étaient nées en sol canadien. Elles travaillent en moyenne dix heures par jour, cinq jours par semaine, et ce sans compter le temps consacré aux tâches connexes (nettoyage de l’équipement, achat des denrées pour la semaine, préparation des repas, etc.). Lorsqu’elles travaillent seules, les RSG s’occupent de six enfants; si elles sont accompagnées d’une assistante, la marmaille peut compter jusqu’à neuf enfants.

Les conditions d’emploi des RSG en milieu familial sont définitivement moins bonnes que celles de leurs consœurs travaillant en CPE. Elles sont moins bien payées, ont moins de congés et de vacances payés : un véritable « emploi du bas de l’échelle », selon l’auteure. En contrepartie, elles jouissent des avantages de l’autonomie liée au statut de travailleur autonome. Cette autonomie a cependant été affaiblie par l’adoption de la politique familiale de 1997 qui a déterminé, entre autres, les heures d’ouverture et les tarifs à respecter, en plus de soumettre les RSG à des inspections surprises. Résultat : les RSG sont « des [travailleuses] indépendantes du bas de l’échelle »…

Une autonomie désirée ?

Les RSG apprécient-elle l’autonomie que leur confère ce travail? Encore une fois, les réponses sont partagées. Celles qui sont nées à l’extérieur du Canada ont une nette préférence pour un statut de travailleuse salariée… et les avantages qui vont avec. Leurs conjoints étant plus susceptibles d’occuper des emplois précaires, elles échangeraient bien cette autonomie contre la couverture d’une assurance pour toute la famille.

À l’opposé, les RSG nées au Canada et dont les conjoints occupent un emploi salarié stable, qui inclut lesdits avantages, sont plutôt en faveur d’accroitre leur autonomie. Ce désir est encore plus grand lorsqu’elles sont mères de jeunes enfants, puisque le fait de travailler à la maison leur permet de les garder auprès d’elles. La conciliation travail-famille est perçue comme le plus grand avantage de cet emploi.

Même son de cloche chez les RSG qui pratiquent le métier depuis de nombreuses années. Pour elles, le mieux serait un retour à l’autonomie dont elles jouissaient avant les règles établies depuis l’adoption de la politique familiale (1997).

Plus tard, je voudrais être…

Il faut dire que toutes n’ont pas choisi ce métier par passion. Les RSG avec plusieurs années d’expérience, et qui ont donc fait ce choix il y a longtemps, sont peu scolarisées et y voyaient, à l’époque, une façon d’intégrer à long terme le marché du travail. La plupart d’entre elles entendent garder des enfants jusqu’à leur retraite.

Les jeunes RSG nées au Canada considèrent cet emploi comme temporaire. Il favorise une conciliation travail-famille plus aisée lorsque les enfants sont en bas âge. Une fois les enfants entrés à l’école, plusieurs d’entre elles veulent investir une autre carrière, notamment dans l’enseignement, avec une charge quotidienne moins lourde.

Pour les RSG qui ont immigré au Canada, il s’agit souvent d’un « choix par défaut ». Ces femmes sont les plus scolarisées parmi les répondantes; beaucoup d’entre elles détiennent un diplôme d’études universitaire et occupaient un emploi avec plus d’avantages dans leur pays d’origine. Elles vivent donc une déqualification sur le marché du travail. Et comme elles sont souvent mariées à des conjoints dont l’emploi est précaire, elles se sont hâtées à trouver du travail pour subvenir aux besoins de leur famille. Un choix de carrière par défaut. En réalité, elles montrent peu d’intérêt pour le métier d’éducatrice et préféreraient travailler dans le domaine des services sociaux ou de l’enseignement. Cependant, elles ne se bercent pas d’illusions : peu d’entre elles ont espoir d’accéder un jour à ce type d’emploi dans un avenir rapproché.

Le parcours professionnel, le statut familial et le parcours migratoire ont tous une influence sur la perception entretenue par les RSG à l’égard de leur situation et de leur profession. Cependant, l’étude ne prend pas en compte le pays d’origine des femmes ayant immigré au Canada. La perception de ces femmes varie-t-elle selon leur provenance? Les femmes originaires, par exemple, du Moyen-Orient ou de l’Europe, entretiennent-t-elles les mêmes préoccupations, la même vision du métier de RSG? Le portrait pourrait bien être tout aussi hétérogène.