À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Denyse Côté et Florina Gaborean, « Nouvelles normativités socio-légales de la famille : la garde partagée au Québec, en France et en Belgique », publié en 2015, dans Revue canadienne femmes et droit, vol. 27, n° 1, p. 22-46.

  • Faits saillants

  • La garde partagée n’a fait l’objet d’aucune réforme législative au Québec, alors que c’est le cas en France et en Belgique.
  • En cas de séparation, la majorité des parents décident à l’amiable du mode de garde. Seule une minorité de couples atterrissent devant les tribunaux.
  • Le partage des dépenses et des tâches parentales est souvent inégal en contexte de garde partagée, une situation qui pénalise surtout les femmes.

Julie et Jasmin sont en couple depuis dix ans. Une petite fille, Olivia, aujourd’hui âgée de six ans, est née de leur union. Leur relation bat de l’aile depuis un bon moment, si bien qu’un jour, après avoir longuement réfléchi, Julie décide d’y mettre un terme. Un choix s’impose alors aux ex-conjoints : qui aura la garde de la petite? Maman, papa, les deux?

De nos jours, la garde partagée gagne en popularité, particulièrement chez les jeunes parents séparés qui occupent tous deux un emploi. Cette formule permet aux deux conjoints de s’engager auprès de l’enfant tout en facilitant la conciliation travail-famille.

Certains pays, comme la France et la Belgique, ont des lois pour encadrer la garde partagée. Mais ce n’est pas le cas du Québec, bien que la garde partagée y soit largement répandue.

Quelles sont les réformes qui ont été mises en place en France et en Belgique pour tenir compte de cette nouvelle réalité? Quels sont les modèles de garde partagée de part et d’autre de l’océan? Comment les parents vivent-ils cette situation au quotidien? Pour répondre à ces questions, les auteures de cette étude ont effectué une revue des écrits législatifs et administratifs concernant la garde partagée dans les trois régions précédemment nommées (Québec, France, Belgique). Au Québec, elles mènent aussi 30 entrevues auprès de professionnels (juges, avocats, médiateurs) et de parents qui sont en situation de garde partagée.

La garde partagée : trois termes, trois réalités

La garde partagée n’a pas la même appellation ni les mêmes modalités dans les trois régions. On la nomme garde physique partagée au Québec, résidence alternée en France et hébergement égalitaire en Belgique.

Tableau 1. Caractéristiques de la garde partagée au Québec, en France et en Belgique

En France, les juges ont longtemps été contraints de fixer la garde de l’enfant au domicile d’un seul parent. En 1993, les ententes informelles de résidence alternée entre ex-conjoints sont légalement reconnues. Puis, depuis 2002, les juges peuvent accorder la résidence alternée et ce, même en cas de désaccord parental. Ce mode de garde demeure malgré tout peu répandu : dans la plupart des cas, les parents s’entendent sur une résidence exclusive à la mère, une décision que les juges remettent rarement en question.

La situation est différente en Belgique où prévaut une présomption d’hébergement égalitaire, et ce, peu importe l’âge de l’enfant. Autrement dit, le tribunal doit, en priorité, évaluer la possibilité d’accorder la garde partagée, sans nécessairement l’imposer.

« Contrairement à la situation actuelle, ce ne sera plus le parent qui sollicite l’hébergement égalitaire qui devra démontrer la pertinence de celui-ci mais au parent qui s’y oppose de démontrer qu’il existe une contre-indication. » (Leroy, 2006)

Au Québec, la garde partagée est très populaire auprès des parents et des professionnels du droit familial. Les services de médiation familiale, financés en partie par le gouvernement, la proposent systématiquement aux parents séparés. Bien que la garde exclusive à la mère soit encore majoritaire[1], plusieurs professionnels et parents interrogés sont d’avis que la garde partagée est en voie de devenir la norme.

« Dans ma tête, tout le monde qui se sépare a la garde partagée, sauf s’il y a quelque chose d’extrêmement grave… c’est social, tous les parents qui sont séparés ont la garde partagée. »

– Une mère québécoise.

« La garde partagée, c’est devenu la norme. Il faut vraiment trouver une raison très solide pour qu’il n’y ait pas de garde partagée. »

– Un avocat québécois.

À l’amiable ou devant les tribunaux?

Qu’ils soient Québécois, Belges ou Français, la majorité des parents séparés conviennent à l’amiable du mode de garde; seule une minorité de couples atterrissent devant les tribunaux. Lorsque c’est le cas, les juges s’appuient sur divers critères : l’intérêt et le point de vue de l’enfant, le point de vue des experts et les capacités parentales.

Selon les auteures, les juges québécois accordent de plus en plus souvent la garde partagée, parfois même en contexte difficile (ex : conflits entre les parents), afin de « minimiser les effets du divorce sur les liens parent-enfant » et de préserver l’unicité de la famille. D’ailleurs, plusieurs juges interrogés perçoivent la garde partagée comme un bon moyen de trancher en cas de désaccord parental.

Un partage équitable des dépenses et des tâches?

Sans surprise, les ex-conjoints pratiquant la garde partagée vivent parfois des conflits en lien avec le partage des responsabilités parentales. En théorie, chaque parent devrait s’engager de manière à peu près égale auprès de leur enfant (ex : éducation, soins, etc.). Mais en pratique, comme le démontre une abondante littérature scientifique, les mères assument encore davantage de tâches que les pères. Certaines des participantes québécoises interviewées disent aussi vivre des conflits en lien avec la répartition des dépenses.

« Oui, c’est partagé, sauf qu’il ne me paie pas. Il ne m’a pas payée encore… Il me dit qu’il a de petits problèmes d’argent et il ne me paie pas… Ah! Il a fait des rénovations, il a payé un voyage à ma fille en Floride au mois de mars. Ça, il a de l’argent pour ça, pas pour l’essentiel (rire). »

– Une mère québécoise.

D’après les auteures, le partage des responsabilités est encore plus inéquitable en France et en Belgique, où les rôles parentaux demeurent plus traditionnels. Bien souvent, les mères assument la majorité des soins aux enfants avant la séparation et continuent de le faire par la suite. C’est pourquoi elles seraient plus réticentes envers le modèle de garde partagée. Pour éviter les conflits, certaines d’entre elles acceptent néanmoins une telle entente, « tout en assumant une large part des soins et se privant d’une pension alimentaire[2]. »

En Belgique, la présomption d’hébergement égalitaire est très critiquée par certains. Selon une étude menée auprès de 262 parents belges[3], les ex-conjoints qui s’opposent à cette formule se sentent démunis face aux multiples procédures judiciaires rendues nécessaires par la nouvelle loi. Plusieurs déplorent le fait que la loi « tente d’imposer un modèle unique alors que les situations familiales sont multiples. »

Des désavantages moins connus

Bien que la garde exclusive à la mère soit la formule la plus répandue dans les trois régions, la garde partagée gagne en popularité. Par contre, selon cette étude, elle ne convient pas à toutes les réalités familiales et soulève des débats en lien avec le partage des dépenses et des soins aux enfants.

Aux yeux de plusieurs professionnels du droit familial, la garde partagée constitue un rempart contre le risque de rupture du lien parent-enfant, particulièrement du lien paternel. Mais selon les auteures, même si ce modèle implique un temps de présence de chaque parent auprès de l’enfant, il ne garantit pas la solidité de ce lien, ni que l’enfant saura bien s’adapter à la situation. On a beaucoup parlé des avantages de la garde partagée, un discours qui a grandement contribué à la popularité de cette formule. Aurait-on sous-estimé ses inconvénients? D’autres études pourraient permettre de clarifier ces aspects encore peu explorés de ce mode de garde.

 

 

 

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[1] Les mères obtiendraient la garde dans 65,9% des cas (ISQ, 2013).

[2] Ces informations sont tirées d’une étude de Sylvie Cadolle (2009), « Les points de vue différenciés des pères et des mères sur la résidence alternée », Spirale, vol. 49, p. 77.

[3] Marie-Thérèse Casman et al., (2010), Évaluation l’instauration de l’hébergement égalitaire dans le cadre d’un divorce ou d’une séparation, Liège, Université de Liège.