À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Joëlle Gaudreau et Christine Brabant, « L’expérience d’adultes ayant vécu l’unschooling : une approche phénoménologique », publié en 2020 dans les Nouveaux cahiers de la recherche en éducation, volume 22, no 2.

  • Faits saillants

  • La non-scolarisation, ou unschooling, est une pratique éducative où l’enfant est complètement autonome dans ses choix d’apprentissage et ne suit pas de cours.
  • Le quotidien des enfants non scolarisés est ancré dans le moment présent et l’autodidaxie, mais peut comporter une forme de marginalisation ou de solitude.
  • La famille de l’enfant non scolarisé joue un rôle central dans son cheminement, que ce soit sous la forme d’entraide ou malheureusement, de négligence.

Comprendre l’écologie en entretenant un potager, apprendre à coder grâce à un site Web, découvrir l’entrepreneuriat en travaillant au magasin familial. Quelques familles choisissent la non-scolarisation – ou unschooling – afin de laisser leur enfant apprendre à son rythme et explorer les sujets qui lui chantent. Au-delà du choix des parents, quel regard portent les adultes non scolarisés sur leur parcours éducatif? Incursion dans l’univers de ces adultes au parcours éducatif atypique.

La non-scolarisation (unschooling) est peut-être marginale, mais elle gagne du terrain. Pour aider les autorités à mieux saisir les implications de cette forme d’éducation, l’étudiante-chercheuse à l’Université de Montréal Joëlle Gaudreau et Christine Brabant, professeure à l’Université de Montréal spécialiste sur la question, donnent la parole à quatre femmes et un homme qui ont vécu, pendant au moins quatre ans, des épisodes de non-scolarisation. Leur constat : la liberté et l’autonomie sont au cœur de l’apprentissage de ces enfants, qui rencontrent aussi certains défis.

Avancer lentement, mais sûrement

Profiter du moment présent et apprendre à son rythme : les deux principaux ingrédients de la non-scolarisation. Pour Raphaëlle, 18 ans, non scolarisée pendant 5 ans « la non- scolarisation, c’est vivre, c’est faire ce que l’on fait tous les jours : cuisiner, se baigner, faire le jardin, faire des commissions, etc. ». La seule préoccupation de ces enfants : que veulent-ils faire aujourd’hui? Bien ancrés dans le moment présent, se projeter dans l’avenir est en revanche un peu plus complexe pour ces enfants.

Frédéric, 19 ans et non scolarisé pendant 4 ans compare l’éducation à un train : certains enfants suivent les rails tandis que quelques-uns voient les wagons passer et explorent les environs à leur rythme, mais plus lentement. L’autodidaxie – c’est-à-dire la capacité à apprendre par soi-même – est au cœur de leur parcours, et aucune attente ne pèse sur leurs épaules. Par exemple, Magalie s’est mise à la lecture à 12 ans, quand elle est tombée sur une série de romans jeunesse qui l’intéressait.

« Je me souviens que quand j’étais jeune, je pense que j’ai commencé à lire assez tard, parce que je me souviens des commentaires de certaines personnes qui étaient genre: « Elle ne lit pas encore à son âge, c’est un peu tard, comment ça se fait qu’elle ne lit pas? » Ma mère n’a jamais voulu nous presser pour ça, parce qu’elle ne voulait pas nous écœurer justement. » 

Mais la majorité, comme Frédéric, remarque qu’il y a une limite à ce qu’on peut assimiler comme autodidacte. Certaines notions trop complexes à apprendre seules nécessitent l’aide d’un mentor. Le jeune homme a d’ailleurs choisi cette option, lui qui complète son diplôme d’étude secondaire avec l’ambition de devenir ingénieur mécanique tout en travaillant comme programmeur.

La famille (trop?) présente pour les non scolarisés

La famille, synonyme de bonheur ou de contrôle? Les parents sont au cœur du parcours des non scolarisés, et leur influence est manifeste sur le regard que portent les adultes d’aujourd’hui sur leurs années à la maison. 

Raphaëlle a vécu des expériences positives avec sa famille dans ses années non scolarisées. Elle a même assisté sa mère lors de l’accouchement de son petit frère, lui donnant la piqûre pour l’accompagnement à la naissance.

C’est tout le contraire d’Ariane, 41 ans et non scolarisée pendant 5 ans, qui raconte avoir grandi dans un milieu sectaire marqué par la négligence parentale. Quant à Dominique, 34 ans et non scolarisée pendant 5 ans, elle dit avoir vécu un lavage de cerveau de la part de son père, fortement en défaveur de l’école secondaire. En travaillant au magasin familial et en répondant aux attentes familiales, elle sent qu’elle s’est tournée vers la non-scolarisation contre son gré. 

« Chez nous, ce n’était pas trop ouvert autour de la table à la discussion, c’était : mon père va nous dire comment ça se passe la vie, il va nous décrire comment la société c’est horrible, […] et l’école c’est une prison. […] Même si j’aurais aimé [sic] mieux, au lieu de travailler dans un magasin, hum, faire une école de théâtre ou faire des trucs qui me ressemblaient plus, […] je n’aurais pas trop osé» 

D’autres participants soulèvent ce paradoxe : la non-scolarisation se veut un choix de l’enfant, pourtant les parents jouent un rôle clé dans cette décision. Est-ce qu’un enfant choisit réellement la non-scolarisation ou si, comme Dominique, répond-il plutôt aux attentes de ses parents? D’ailleurs, des opinions contradictoires au sujet de la non-scolarisation existent au sein même des familles. Ces tensions plus ou moins marquées les ont néanmoins affectés lorsqu’ils étaient enfants.

La non-scolarisation : une pratique là pour rester?

Qu’importe le contexte, aucun des anciens non scolarisés ne souhaite que la non-scolarisation soit interdite. Pour eux, avoir une diversité d’options éducatives pour les enfants est une chance. D’ailleurs, cette pratique est loin de leur avoir nui : presque tous ont un emploi dans un domaine qui les a intéressés dans leurs années non scolarisées. En revanche, tous ne s’entendent pas sur le suivi que l’État devrait assurer auprès des enfants hors du réseau scolaire. Les femmes qui ont vécu de la négligence auraient souhaité que des travailleurs sociaux interviennent dans leur famille, tandis que les autres ont plutôt vu les suivis de la Direction de la protection de la jeunesse comme un fardeau. Alors que la pratique gagne en popularité, l’État pourrait devoir se pencher, au cours des prochaines années, sur les questions de l’encadrement et du suivi auprès des familles qui optent pour la non-scolarisation.