À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Sylvie Jutras Les bénéfices associés à l’expérience du cancer pédiatrique. Le point de vue d’enfants, d’adultes guéris et de parents, publiée en 2012 dans Les cahiers internationaux de psychologie sociale, n° 93, p.159-180.

  • Faits saillants

  • Malgré la souffrance, l’expérience du cancer peut aussi avoir des retombées positives chez les personnes atteintes, y compris chez les enfants.
  • L’auteure liste dix principaux effets positifs décrits par les participants, passant par l’élévation des valeurs, le développement de certaines qualités et des changements importants dans leurs rapports aux autres.
  • Les adultes guéris identifient plus d’aspects positifs que les enfants et ces derniers soulignent davantage des avantages concrets, comme les gains matériels.

Le cancer choque et fait peur, surtout quand il s’attaque à de jeunes enfants. Il entraîne son lot de souffrances, tant physiques que psychologiques. Une vaste littérature scientifique décrit les effets négatifs et les séquelles du cancer chez les enfants, y compris lorsqu’ils ont atteint l’âge adulte. Les répercussions peuvent parfois se manifester plusieurs années après la fin des traitements. Mais la maladie peut aussi avoir un impact positif sur le développement de la personne.

La psychologie positive s’intéresse à l’épanouissement de l’être humain. Les travaux dans ce domaine explorent notamment la perception des aspects positifs qui ressortent d’expériences graves, comme le cancer. Les adultes qui ont combattu avec succès cette maladie décrivent de nombreux changements liés à cette épreuve en termes de maturité, de croissance personnelle, de valeurs et de priorités. Ils se disent plus empathiques, capables d’une plus grande compassion et notent des transformations dans leurs interactions personnelles. D’autres rapportent une ouverture sur le plan spirituel ou religieux et perçoivent de nouvelles opportunités de vie.

Les retombées bénéfiques du cancer chez les adultes guéris sont assez bien documentées. Par contre, aucune étude, jusqu’à maintenant, n’avait sondé le sujet auprès d’enfants et de leurs parents.

La recherche de Sylvie Jutras s’intéresse au point de vue de 52 enfants (de 7 à 17 ans) ayant souffert de leucémie, 18 adultes guéris d’un cancer pédiatrique et 47 parents d’enfants diagnostiqués. Les participants devaient répondre à la question suivante, ou une variante adaptée: « Le cancer amène toutes sortes de difficultés. Malgré tout, certaines personnes disent avoir retiré des choses positives de leur expérience. Qu’est-ce que tu en penses ? »

Les effets positifs de la maladie

L’expérience du cancer pédiatrique a eu un grand impact chez les participants des trois groupes. Le courage, l’humanité, la transcendance, la sagesse et la connaissance, la tempérance, le soi adaptatif, l’amélioration des habitudes de vie, l’élévation des valeurs, les gains matériels ainsi que le soutien reçu, sont autant de points positifs qui sont ressortis des entretiens. (Tableau 1).

Le sens des bénéfices

Chaque groupe exprime son rapport à l’expérience de la maladie de façon particulière, mettant en avant certains points plus que d’autres. L’ « humanité » est la seule à figurer parmi les vertus les plus citées par les trois profils.

« Ça m’a fait connaître le milieu des enfants malades […] Tu sais, ça m’a amené dans le milieu de tout ce qu’ils pouvaient vivre, ça m’a fait comprendre ce que c’était, parce qu’avant, ça ne me préoccupait pas vraiment, je me disais, bien, il y a quelqu’un d’autre qui va le faire. » (Enfant 34)

« Mon cancer, il m’a ouvert d’autres portes, on dirait que ça m’a permis d’être plus éveillé, d’être plus conscient de mon entourage, […] On dirait que c’est un sixième sens, là, je suis rendu que quand quelque chose va pas chez quelqu’un, je le sais. (Adulte Guéri 09)

« L’amour qu’on a, les uns envers les autres, sur toute la terre entière, même avec le poisson rouge, tu sais… On est vraiment des êtres sensibles à n’importe quoi, on ramasse des chats égarés dans la rue […] on va les porter. » (Parent 48)

En plus de l’humanité, les enfants se démarquent en étant plus nombreux à parler de bénéfices manifestes, comme le soutien et les gains matériels.

« J’ai eu plus d’attention, là, pendant les dernières années, aujourd’hui encore ils me demandent ce qui s’est passé. » (Enfant 19)

Ils évoquent également la sagesse et la connaissance.

« Je voulais tout le temps savoir quelle chose ils vont me faire, parce que je voulais apprendre beaucoup sur comment ils fonctionnent avec ça. Je leur demandais tout le temps : ‘qu’est-ce que vous allez me faire?’. » (Enfant 59)

Pour les parents, l’élévation des valeurs et la transcendance constituent les principaux bénéfices, lesquels se traduisent par un changement dans leurs priorités de vie et un sentiment de gratitude.

« Parfois des chicanes ou des choses comme ça, il n’y a pas de raison [de s’en faire] pour ça. Les maladies et la mort, je trouve que c’est ça [qui compte]. Quand on disait, ah, j’ai mal à la tête, on donnait beaucoup d’importance à ces choses-là, maintenant, je trouve, tu sais, c’est rien ces petites affaires.» (Parent 40)

« Le positif dans tout ça, c’est qu’elle est guérie, que les séquelles c’est pas grave, elle est en vie, elle réussit bien à l’école, on s’en est sorti toute la famille, on est pas séparé, on s’est rapproché au contraire» (Parent 57)

Comparativement aux autres groupes, tous les adultes guéris rapportent au moins un bénéfice, évoquent un nombre plus élevé de bénéfices et se démarquent pour trois d’entre eux : la sagesse et la connaissance, le courage et la tempérance.

« Ceux qui ont jamais été malades, il y a des choses qu’ils peuvent pas comprendre, ou qu’ils peuvent pas nécessairement accepter, qu’ils trouvent banales, tandis que toi, quand tu l’as vécu, tu le sais c’est quoi. Puis vice-versa, il y a des choses que les gens trouvent tellement terribles ou importantes que, toi, qui as été malade, tu fais comme, c’est rien ça, ou tu sais, c’est pas si grave que ça. » (Adulte Guéri 13)

« Peut-être que ce qui m’est arrivé, ça m’a préparée pour tout ce que je vis en ce moment, mon accident, puis toutes les choses qui sont arrivées dans ma vie, peut-être que je ne serais pas aussi forte ou que je n’aurais pas passé au travers aussi facilement. » (Adulte Guéri 16)

« Avant de faire n’importe quelle niaiserie, dans la vie, bien, tu y penses à deux fois, puis, tu te dis, tu sais, j’ai été malade, il faudrait pas que, ça, ça arrive. » (Adulte Guéri 14)

Des transformations à long terme

La perception des bénéfices associés à un événement traumatique varie grandement selon l’acteur qui en fait l’expérience. L’auteure invite donc à poursuivre son travail d’exploration en élargissant les échantillons et en prenant en compte d’autres facteurs fondamentaux de l’expérience; culture, système de santé, situation socio-économique des participants… Elle souligne, tout particulièrement, l’intérêt d’entreprendre une étude plus étalée dans le temps, qui permettrait de rendre compte des transformations à long terme dans la vie de ces personnes ayant vécu et vaincu la maladie.