À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Françoise-Romaine Ouellette et Carmen Lavallée, « La réforme proposée du régime québécois de l’adoption et le rejet des parentés plurielles », McGill Law Journal, vol. 60, no 2 (janvier, 2015), p. 11-38.

  • Faits saillants

  • La loi est claire : l’enfant a un ou deux parents, jamais plus.
  • En cas d’adoption, la rupture obligatoire avec le(s) parent(s) biologique(s) ne sert pas nécessairement l’intérêt de l’enfant.
  • L’adoption additive, qui permet à l’enfant adopté de conserver les liens avec la famille d’origine, pourrait être une option plus appropriée dans certains cas.

Familles homoparentales, familles recomposées, familles dont l’enfant est née d’une mère porteuse… Les modèles familiaux sont de plus en plus variés. En 2002, certaines réformes du Code civil ont permis de prendre en compte ces nouvelles réalités. Mais le travail est loin d’être terminé. En 2006, les législateurs ont montré un intérêt à modifier les dispositions entourant l’adoption. Pour certains acteurs du milieu, il y avait là une occasion en or d’introduire le concept « d’adoption additive », permettant à l’enfant adopté d’avoir plus de deux parents (pluriparentalité) et de conserver ainsi les liens avec sa famille biologique. Trois propositions de projet de loi plus tard (2007, 2012 et 2013), cet objectif semble loin d’être atteint, au grand dam de l’intérêt de l’enfant.

C’est du moins ce qu’en concluent Françoise-Romaine Ouellette, professeure à l’INRS et Carmen Lavallée, professeure à la faculté de droit de l’Université Sherbrooke. Les deux professeures sont membres du Groupe de travail sur l’adoption, un comité d’experts mis sur pied pour formuler des recommandations sur la réforme de l’adoption. D’après elles, les différentes moutures du projet de loi évacuent le sentiment d’appartenance familiale de l’enfant.

Adoption plénière : C’est la forme d’adoption en vigueur, aujourd’hui, au Québec. On l’appelle aussi « adoption par rupture », puisqu’elle implique une rupture totale entre l’enfant adopté et le(s) parent(s) biologique(s). La filiation est obligatoirement transférée aux parents adoptifs. L’adoption plénière ne reconnait donc pas la pluriparentalité.

Adoption additive : Plutôt que de forcer la rupture entre l’enfant adopté et le(s) parent(s) biologique(s), cette forme d’adoption permet que l’enfant conserve son lien de filiation originel. Il est ainsi « reconnu comme appartenant simultanément à deux familles, à deux réseaux de parentés », bien que « les droits reliés à l’autorité parentale (soient) transférés aux adoptants ».

La pluriparentalité : pourquoi pas?

Les modèles familiaux sont de plus en plus variés, mais la position de l’État à l’égard de la parentalité demeure inflexible : « l’enfant québécois peut à la rigueur n’avoir qu’un seul parent légalement reconnu, ou encore avoir deux parents de même sexe, mais pas un de plus ». L’idée de la pluriparentalité est systématiquement évacuée. Pourtant, selon les auteures, certains contextes d’adoption mériteraient qu’on reconsidère cette position au profit de l’adoption additive. Par exemple, dans le cas de l’adoption de l’enfant d’un conjoint.

« À la suite d’un consentement spécial à l’adoption donné en faveur du conjoint du père ou de la mère d’un enfant, l’adoption préserve le lien entre ce parent et son enfant. Elle rompt, par contre, celui qui relie l’enfant à son autre parent d’origine et aux autres membres de sa parenté, y compris les grands-parents et d’éventuels demi-frères et demi-sœurs. Elle fait coïncider la filiation légale avec les relations qui se tissent au quotidien en remplaçant le parent d’origine par le parent psychologique et social. L’intérêt de l’enfant n’est cependant pas toujours servi au mieux par ce procédé. »

Le deuxième exemple est celui d’une adoption intrafamiliale.

« À titre d’exemple, si les grands-parents maternels deviennent les parents adoptifs, l’enfant acquiert le statut de frère ou de sœur de sa mère d’origine et d’oncle ou tante des autres enfants que celle-ci a pu avoir. L’adopté se retrouve exclu de sa famille paternelle d’origine, peu importe l’implication antérieure de celle-ci auprès de l’enfant et son désir de continuer à s’investir auprès de lui. De telles adoptions plénières créent des situations familiales d’autant plus complexes qu’elles se modifient au fil des années. »

Le troisième exemple concerne une adoption alors que l’enfant est plus âgé. Cet enfant a souvent tissé des liens concrets et profonds avec sa famille d’accueil, sans pour autant rejeter son appartenance à sa famille d’origine.

« Si [l’enfant] a vécu ses premières années avec ses parents ou d’autres proches parents et s’il a gardé des contacts avec eux, il s’identifie généralement à sa famille d’origine. Or, la famille d’accueil qui veut l’adopter représente, elle aussi, sa famille, une famille en plus, qui a pris le relai de ses parents défaillants sans toutefois la remplacer entièrement aux yeux de l’enfant. Ainsi, certains enfants qui gagneraient à être adoptés ne sont pas considérés cliniquement adoptables ou refusent de consentir à leur adoption. »

Un modèle bientôt désuet?

L’intégration du concept d’adoption additive à la réforme de la loi, tel que proposé par le Groupe de travail sur l’adoption, est bien loin d’être atteinte. Les auteures constatent qu’en dix ans, de mouture en mouture, le projet de loi a bel et bien évacué l’intérêt réel de l’enfant.

Avoir le droit de connaitre l’identité de ses parents d’origine : voilà le seul lien que l’État semble pour l’instant prêt à accepter entre l’adopté et ses parents biologiques. Or, tel que décrits par les exemples ci-dessus, la réalité s’avère plus complexe, et la rupture complète n’est pas toujours la meilleure option possible.

D’autant plus que, dans un monde où les modèles familiaux sont de plus en plus diversifiés, une conception aussi stricte de la parentalité pourrait bientôt s’avérer complètement désuète. Introduire l’idée de la pluriparentalité dans un contexte d’adoption pourrait être l’occasion de paver la voie à une nouvelle façon de voir les choses, et ainsi placer l’intérêt de l’enfant au cœur de l’enjeu.