À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Doris Chateauneuf et Julie Lessard « La famille d’accueil à vocation adoptive : enjeux et réflexions autour du modèle québécois. », publié en 2015, dans Service social 61, 1, pp. 19–41.

  • Faits saillants

  • Le programme d’adoption par Banque mixte, ou planification concurrente, permet de placer un enfant en famille d’accueil avant qu’il ne soit légalement adoptable. C’est aujourd’hui la forme d’adoption la plus répandue au Québec, devant les adoptions internationales.
  • Au Québec, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les gouvernements encouragent la planification concurrente en instaurant de courts délais de placement, qui forcent les intervenants à jauger très vite la situation.
  • Il est parfois difficile de juger si l’enfant devrait, ou non, rester en contact avec ses parents biologiques. Au Québec, aucune structure n’encadre ou n’assure le suivi des rencontres.

Depuis une vingtaine d’années, l’adoption québécoise change de visage. Au siècle passé, elle se faisait surtout charitable, destinée à recueillir les enfants illégitimes abandonnés par leur mère.

Avec les transformations familiales et institutionnelles de la Révolution tranquille, les préoccupations ont changé. La majorité des adoptions réalisées au Québec sont aujourd’hui gérées par les services de protection de l’enfance (Centres jeunesse), même si ce fait est relativement peu connu du grand public. Lorsque des parents sont jugés inaptes à s’occuper de leur enfant, celui-ci est placé dans une famille d’accueil, éventuellement prête à l’adopter.

Au Québec, aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’adoption par la famille d’accueil, si nécessaire contre le gré des parents biologiques, est perçue comme la meilleure façon d’assurer sécurité et stabilité pour l’enfant.

Les auteurs se penchent sur les enjeux du modèle mis en place par le service public québécois, en le comparant aux versions similaires des États-Unis et du Royaume-Uni. Ils ont analysé les articles scientifiques parus sur le sujet entre 2000 et 2014, à partir des banques de données « PsycNet », « Social Service Abstracts », « Social Work Abstract » et « Francis ».

Parer l’abandon

Au Québec, le programme de Banque mixte existe depuis 1988. Les Centres jeunesse maintiennent une liste de personnes qui acceptent d’être évalués à la fois comme famille d’accueil et comme candidats à l’adoption. Ce programme permet de placer les enfants de parents jugés inaptes par les services de protection, le plus tôt possible, dans une famille stable. L’objectif est d’éviter la multiplication des placements temporaires. Au moment où il rejoint une famille d’accueil Banque mixte, l’enfant n’est pas encore adoptable et les intervenants du programme ne peuvent pas garantir aux parents de substitution que l’enfant deviendra le leur. L’idée est de travailler sur deux fronts à la fois. Les intervenants essaient d’assurer le retour de l’enfant auprès de ses parents biologiques, mais ils amorcent en même temps un projet permanent avec une autre famille, au cas où le retour à la maison s’avèrerait impossible. Cela dit, 90 % des enfants placés deviennent admissibles à l’adoption[1].

Aux États-Unis, les services de protection de l’enfance emploient un système similaire depuis les années 1980. On parle de « planification concurrente de la permanence » (concurrent permanency planning). En parallèle, depuis 1997, l’adoption en contexte de protection de l’enfance est régie par l’Adoption and Safe Families Act (ASFA), qui limite les délais de placement.

Le Royaume-Uni, confronté aux mêmes problèmes de déplacements fréquents des enfants suivis par les services de protection, adopte en 2002 l’Adoption and Children Act (ACA). Les couples homosexuels et non mariés peuvent dorénavant adopter. Les contacts post-adoption avec les parents biologiques, s’ils sont dans l’intérêt de l’enfant, sont encouragés. En 2014, le Children and Families Act vient également réduire les délais de placement et favoriser le recours à la planification concurrente, fondé sur les mêmes principes que le modèle américain.

Des familles en concurrence

L’adoption en contexte de protection de l’enfance échoue rarement, surtout si le placement se fait en bas âge[2]. Les parents d’accueil sont profondément engagés dans la procédure, qui permet d’obtenir les droits et les privilèges légaux d’une famille conventionnelle. À première vue, ces conditions permettent d’obtenir un environnement particulièrement sécurisant pour l’enfant.

En réalité, ce n’est pas si évident.

Les délais imposés par les autorités pour le placement font subir une grande pression aux parents biologiques. S’ils souhaitent récupérer leur enfant, ils ont très peu de temps pour prouver qu’ils en sont capables. Les intervenants, poussés à régler rapidement la question, sont également moins enclins à favoriser la réunification. Ils doivent effectuer un travail complexe, à la fois auprès de l’enfant, de sa famille biologique et de sa famille d’accueil.

Comment évaluer clairement et rapidement les aptitudes de la famille d’origine, ainsi que les probabilités d’abandon de l’enfant? Les outils précis manquent cruellement. Le « pairage » de l’enfant avec une famille d’accueil qui sache répondre à ses besoins est également crucial, puisqu’il influence en grande partie l’issue du processus.

Les parents biologiques ne bénéficient que rarement d’un soutien adéquat, particulièrement lorsque l’adoption est validée contre leur gré. Les parents d’accueil, quant à eux, doivent gérer la frustration et l’insécurité de leur situation ambiguë : ils tissent des liens d’attachement avec un enfant qui n’a aucun lien de filiation officiel avec eux, sans savoir quelle sera la décision finale du juge.

Couper les ponts ?

Lorsque l’enfant est placé, il est difficile de prévoir s’il vaut mieux qu’il garde contact ou non avec sa famille d’origine. Dans un contexte de planification concurrente, l’enfant est souvent placé très jeune. Selon son stade de développement, rencontrer la famille biologique peut lui permettre de dresser un portrait honnête de ses parents et l’aider dans la construction de son identité. À l’inverse, ces rencontres peuvent être source de beaucoup de stress et d’émotions. De nombreux facteurs font que chaque cas est particulier : l’âge de l’enfant, son vécu avec ses parents, les motifs du placement…

Certaines familles passent des accords sur les visites, les types d’échanges possibles (lettres, photos, cadeaux, etc.) et leur fréquence. Mais ce type d’entente reste rare, n’est pas reconnu juridiquement ni même encouragé par les services de protection de l’enfance. Il n’existe aucune structure qui permette d’encadrer et d’effectuer le suivi de ces accords.

Face à ces lacunes, les auteures ont certaines suggestions. Elles considèrent que, dans certains cas, l’intérêt de l’enfant justifie le maintien des liens de filiation avec sa famille biologique.

Selon elles, il devrait être possible de formuler des ententes entre les familles, reconnues et encadrées par la loi, durant le placement et après l’adoption.

Les auteures affirment que « depuis la publication du rapport du « Groupe de travail interministériel sur le régime québécois de l’adoption  », en 2007, une réflexion est en cours quant à la nécessité de moderniser la législation en matière d’adoption ». Depuis 2016, un projet de réforme du Code civil québécois en matière d’adoption est d’ailleurs étudié par l’assemblée nationale. La reconnaissance des liens préexistants de filiation pour l’adopté est l’une des propositions majeures du projet[3].

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[1] Noël et al. 2001, Goubeau et Ouellette 2006, Carignan, 2007

[2] McDonald, Propp et Murphy, 2001, Festinger, 2002, Triselotis, 2002, Harden, 2004, Cushing et Greenblatt, 2009, Vinnerljung et Hjern, 2011

[3] Une proposition de réforme est en ce moment à l’assemblée nationale, le projet de loi 113 : http://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-113-41-1.html