À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Karine Gauthier et al. « Communication Patterns between Internationally Adopted Children and Their Mothers: Implications for Language Development »,  publiée en 2013 dans Applied Psycholinguistics, vol. 34, p. 337-359.

  • Faits saillants

  • Au tout début de l'étude, les enfants adoptés à l’étranger n’accusaient pas de retard langagier significatif par rapport aux enfants non adoptés.
  • Bien que plusieurs facteurs puissent expliquer les écarts observés plus tard entre enfants adoptés et non adoptés, le rôle des parents s’avère primordial pour le développement du langage des enfants.
  • Les mères adoptives et les mères biologiques utilisent des stratégies d’enseignement de la langue qui sont différentes.

Ma-man! Pa-pa! Le petit commence à parler! Les premiers mots des enfants restent souvent gravés dans la mémoire des parents, comme un moment d’émotions. Ce sont des mots simples, qu’ils ont beaucoup entendus durant les premiers mois de leur vie. Par la suite, leur vocabulaire va se complexifier : syllabes plus difficiles à prononcer, mots plus longs, etc.

Pour les jeunes enfants exposés dès leur naissance à une même langue, apprendre à parler est un exercice déjà difficile. Et pour les enfants adoptés à l’étranger? Ils ont vécu les premiers temps de leur vie en entendant parler une langue totalement différente de celle qu’ils vont finalement apprendre quelques mois plus tard. Même si la plupart d’entre eux s’ajustent très bien à leur nouvel environnement et apprennent aisément la langue de leur pays d’accueil, certains présentent toutefois des retards de langage. Pourquoi? De quelle façon les parents peuvent-ils faciliter cet apprentissage? Quelles sont leurs stratégies? L’étude menée par Karine Gauthier et ses collègues propose une explication, en se fondant sur une analyse des interactions mères-enfant.

Les chercheurs ont organisé deux rencontres d’observation avec des mères francophones et leur enfant. Dix mères adoptives et leur enfant d’origine chinoise ainsi que dix mères biologiques et leur enfant ont participé à cette étude. La première rencontre a lieu alors que les enfants étaient âgés de 14 à 17 mois; la deuxième, trois mois plus tard. Lors des rencontres, on a demandé aux mères de jouer et d’interagir normalement avec leur enfant durant 30 minutes. Les rencontres ont été filmées. Les chercheurs ont ensuite analysé le contenu de ces interactions pour produire cette étude.

Accompagnement et redirection

Les mères utilisent deux types de stratégies pour enseigner la langue à leur enfant : « l’accompagnement » (following strategies) et « la redirection ». Les stratégies d’accompagnement se développent à partir du point de vue de l’enfant; elles réfèrent donc aux objets et événements auxquels l’enfant porte déjà attention. Les stratégies de redirection (redirecting strategies) dévient plutôt l’attention de l’enfant vers des objets ou des événements auxquels il n’est pas en train de s’intéresser.

La réponse de l’enfant aux stratégies de redirection est un bon indicateur de sa future capacité langagière, selon des études précédentes. C’est ce qu’on appelle la capacité d’attention conjointe des enfants (joint attention skill), la capacité de porter son attention sur un objet ou un événement signalé par autrui. Or, on a observé, chez certains enfants adoptés, une plus faible capacité d’attention conjointe, ce qui pourrait notamment s’expliquer par le placement en institution à la naissance, qui implique généralement des interactions plus limitées avec les adultes.

Au départ, peu de  de retard

Dans un premier temps, les chercheurs ont voulu savoir si les enfants adoptés accusaient un retard dans le développement de leur capacité d’attention conjointe. L’étude révèle que ces enfants ne souffrent pas de retard significatif par rapport aux enfants non adoptés.

On note toutefois que les épisodes d’attention conjointe sont beaucoup plus courts chez les enfants adoptés que chez les non-adoptés. Malgré cet écart, les enfants adoptés comprenaient et produisaient autant de mots que les autres lors de la première rencontre. Les enfants adoptés émettent leurs premiers mots aux alentours d’un an, tout comme les enfants non adoptés.

Par contre, lors de la deuxième rencontre, on a constaté une différence significative dans l’évolution du langage. Les enfants adoptés ne maîtrisaient pas autant la langue que les autres; par exemple, ils utilisaient moins souvent de mots combinés. Pourquoi? Selon les chercheurs, les premiers mots, issus d’expressions communes, de jeux ou de sons, sont relativement faciles à apprendre. Le vocabulaire se complexifie par la suite. L’absence d’exposition à la langue française avant l’adoption pourrait ralentir donc le développement langagier ultérieurement.

Des mères adoptives plus loquaces

Dans un deuxième temps, les chercheurs se sont demandé si les mères adoptives interagissaient différemment avec leur enfant, ce qui est le cas. Les mères adoptives parlent beaucoup plus à leur enfant et se répètent davantage que les mères biologiques. Elles cherchent à maintenir l’attention de leur enfant en utilisant des stratégies de redirection plus fréquemment.

Ces stratégies sont-elles efficaces? D’après les données de l’étude, elles conduisent en effet à de meilleures performances langagières chez l’enfant adopté, notamment pour l’apprentissage du vocabulaire. À l’inverse, chez les enfants non-adoptés, ce sont plutôt les stratégies d’accompagnement qui sont associées à de meilleurs résultats.

Et les enfants venus d’ailleurs?

Cette étude met en valeur le rôle primordial du parent adoptif dans le développement du langage de l’enfant. Comme cette étude s’est penchée spécifiquement sur le rôle des mères adoptives d’enfant d’origine chinoise, il serait souhaitable de s’intéresser aussi à l’influence des pères et aux enfants adoptés provenant d’autres pays, afin de pouvoir en généraliser les résultats.