À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Gabrielle Pelletier et Raphaële Noël, «Jargon médical : marqueur et médiateur du vécu des couples en procréation médicalement assistée», publié en 2021 dans Enjeux et société, vol. 8, n° 1, p. 84-114. 

  • Faits saillants

  • Un nombre grandissant de couples infertiles se tournent vers la procréation médicalement assistée (PMA) pour fonder une famille.
  • Au fil de leur parcours en clinique de fertilité, les couples adoptent les termes utilisés par le personnel soignant, ou « jargon médical », afin de s’adapter à leur nouvelle réalité.
  • L’usage du jargon médical permet aux couples en clinique de fertilité de garder un sentiment de contrôle sur leur situation et de mettre à distance leurs émotions dans les moments difficiles.

L’infertilité est plus répandue qu’on ne l’imagine : environ un couple sur six en fait l’expérience. Dans l’espoir de fonder une famille, de plus en plus de couples se tournent vers la procréation médicalement assistée (PMA). Ce processus, souvent long et éprouvant, plonge les futurs parents dans l’univers médical, si bien que plusieurs finissent par employer les termes utilisés par le personnel soignant, ou « jargon médical ». Cet usage du vocabulaire technique leur permet non seulement de s’adapter à leur nouvelle réalité, mais aussi de garder un sentiment de contrôle sur leur situation en dépit des embûches. 

Gabrielle Pelletier et Raphaële Noël, chercheures au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal, veulent comprendre la manière dont l’usage du jargon médical influence le parcours des couples en clinique de fertilité. Pour ce faire, elles recueillent les témoignages de huit couples hétérosexuels ayant eu recours à la PMA avec don d’ovules dirigé (donneuse connue) ou anonyme (donneuse inconnue).  

S’adapter à un nouvel univers, un terme à la fois 

Rapide et intense : voilà comment les couples décrivent leur introduction à l’univers médical et aux techniques de PMA. Plusieurs se questionnent sur les ressources qui seront nécessaires pour mener à bien ce long et coûteux périple, puisqu’un seul cycle de PMA est financé au Québec.  

« Parfois les gens jugent jusqu’où on est prêts à aller parce que c’est sûr que l’infertilité, tu sais un don d’ovules c’est cher, 15 000 dollars tu sais, parce qu’il faut que je paye pour ma donneuse, il faut que je paye pour moi, il faut payer le sperme… ce sont toutes des affaires qui reviennent cher, c’est six ans. » (Carole) 

Le corps des deux partenaires, mais surtout celui de la femme, est considéré de manière technique, à l’image d’un produit dont les « pièces » doivent bien fonctionner. Les couples adoptent donc peu à peu les mêmes termes que le personnel médical pour désigner le corps et sa « qualité » (ex. : « col incompétent », « endomètre suffisant pour accueillir », etc.). Pour eux, maîtriser le jargon médical est une manière de mieux comprendre l’univers technique de la clinique de fertilité et de s’adapter à cette situation peu évidente.   

« Mes ovules étaient friables, la membrane cellulaire se brisait quand l’ICSI [injection intracytoplasmique de spermatozoïde] était faite, c’est ça donc c’est inexpliqué c’est… on n’est pas à l’abri de concevoir par nous-mêmes, mais euh… (rire) on ne suffit pas pour créer notre famille. » (Catherine) 

Après avoir traversé plusieurs tentatives infructueuses, les couples interrogés ont tous fait appel à une donneuse d’ovules. Ils examinent minutieusement le passé reproductif de cette dernière pour garantir le succès de leur projet parental.  

« Elle avait eu recours à l’insémination une fois pour sa deuxième grossesse parce que c’était les spermatozoïdes, ceux du conjoint, qui n’étaient pas très bons. Au final, elle a eu une insémination et puis elle est tombée enceinte tout de suite. […] Et puis après, malgré ça, elle est retombée enceinte. Elle a 3 enfants. […] Elle a eu 4 grossesses. » (Béatrice) 

L’émotivité camouflée sous un discours aseptisé 

Même si le couple s’est longuement préparé avant d’entamer ce projet, la planification a ses limites ! Aucun ne peut prévoir l’issue du processus ni même avoir la certitude que les démarches porteront fruit. Résultat ? L’épuisement engendré par l’attente et les échecs successifs ont tôt fait de nuire au moral des troupes et de menacer l’harmonie entre les partenaires.  

« Ça fait huit ans qu’on est ensemble nous autres pis j’avais juste peur de perdre mon couple, de perdre ma femme, de la perdre au niveau santé, mais aussi au niveau émotif… juste que le couple explose parce que, à un moment donné c’est tellement de stress […]. » (Yvan) 

La solution ? Pour garder un sentiment de contrôle sur la situation et mettre à distance leurs émotions, les partenaires parlent des interventions en termes très techniques (ex. : « traitement par induction », « hyperstimulation ovarienne », etc.) et de leurs chances de réussite sur le plan des probabilités (ex. : « six embryons de qualité AA », « 95 % de réussite sans complication », etc.). Comme le soulignent les chercheures, derrière cet apparent contrôle se cache une grande émotivité.  

« À défaut de pouvoir intégrer affectivement l’intensité du vécu en PMA, ils racontent concrètement leur expérience, c’est-à-dire de manière technique. » (Gabrielle Pelletier et Raphaële Noël, chercheuses au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal) 

La fin du périple ?  

Un beau jour, le vent tourne : bébé est en route ! Mais attention : la naissance ne signifie pas que les angoisses s’évaporent pour autant. Bien souvent, les craintes de perdre l’enfant persistent bien au-delà de l’accouchement, notamment à la découverte de problèmes de santé comme une « plagiocéphalie » ou une « cardiopathie congénitale ». Ici encore, les parents pensent en termes de probabilités pour dissiper l’angoisse de perdre leur bébé.  

« On a décidé de vivre ça comme un problème de plomberie. Ils nous ont dit que cette opération-là était bien connue. Très bien réussie dans la majorité des cas, en haut de 90 % de réussite sans complication, dans le 10 % restant ça peut être des complications mineures jusqu’à majeures jusqu’à entrainer la mort […]. » (Catherine) 

Un parcours qui laisse des traces 

Système reproducteur, interventions, probabilités que la grossesse survienne, état de santé de leur enfant : les parents s’approprient le jargon médical afin de s’adapter au mieux et de garder un sentiment de contrôle tout au long du processus en clinique de fertilité.  

Comme le soulignent les chercheures, les personnes interrogées continuent d’employer des termes spécialisés bien au-delà de la naissance du bébé et la fin du suivi en PMA, signe que l’intensité de leur parcours les a fortement marquées. Comment soutenir les couples infertiles tout au long de leurs démarches ? L’association Infertilité Québec met diverses ressources à leur disposition, dont des groupes de soutien et un service d’accompagnement.