À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Milaine Alarie, « Parentalité et pérennité des relations intimes hypogamiques en termes d’âge », publié en 2017, dans Cahiers de recherche sociologique, n° 63, p. 133-154.

  • Faits saillants

  • La question de la parentalité a un effet sur la durée des relations intimes hétérosexuelles où la femme est plus âgée.
  • Les femmes qui désirent être mères craignent de s’investir à long terme avec un homme plus jeune, car elles ne le croient pas assez mûr pour être père.
  • Les femmes qui ne peuvent ou ne veulent plus avoir d’enfants ne s’investissent pas sérieusement avec leur partenaire plus jeune, de peur qu’il veuille un enfant un jour ou qu’il leur demande de s’occuper de ses enfants actuels.
  • Certaines femmes en âge d’avoir des enfants aiment se lier avec un homme plus jeune, car cela leur permet de résister à la pression sociale de devenir mère.

Symboles de l’émancipation sexuelle des femmes, figures confiantes et entreprenantes, ou alors « cougars » hypersexuelles et agressives : les femmes qui ont des relations intimes avec des hommes plus jeunes font réagir. Objets de nombreux stéréotypes, leurs relations ne seraient que passagères et vouées à l’échec. Comment vivent-elles ces relations? Quelle place l’idée d’être parent prend-elle? La plupart estiment que la parentalité est un obstacle à la survie de leurs engagements amoureux, mais d’autres considèrent tout de même qu’elle la favorise.

C’est l’observation faite par Milaine Alarie, chercheuse postdoctorale à l’Institut national de la recherche scientifique, qui s’intéresse aux facteurs qui influencent la durée des relations intimes de ces femmes. Quelque peu hors norme, elles doivent souvent faire face aux jugements, à leur désir ou leur refus de maternité, mais aussi aux attentes familiales de leur partenaire plus jeune. Autant de freins qui peuvent nuire à la stabilité d’une relation. L’auteure s’entretient donc avec 55 femmes, âgées de 30 à 60 ans, avec enfants pour la plupart, mais sans conjoint et qui ont, ou ont eu récemment, au moins un partenaire plus jeune.

La peur de « rater le bateau de la maternité »

S’investir émotionnellement et à long terme, c’est parfois faire une croix sur l’idée de devenir mère. Rater le bateau de la maternité : voilà une peur partagée par plusieurs des femmes dans la trentaine qui ne sont pas encore mères et qui s’investissent avec un partenaire plus jeune…

En effet, la majorité des femmes interrogées dans la trentaine ou début quarantaine et sans enfants savent qu’elles en voudront un jour. Or, pour elles, les hommes dans la vingtaine ou la trentaine traversent une période de développement de soi, d’exploration sexuelle et d’aventures! À leur avis, être papa n’est donc pas un projet qu’ils peuvent envisager de partager avec elles, car ils ne seraient tout simplement pas assez mûrs.

« Je ne me voyais pas avoir des [enfants avec lui] … J’avais l’impression de lui enlever sa jeunesse, aussi, en faisant ça. J’avais l’impression qu’il n’était pas conscient de ce que ça allait impliquer avoir un enfant à 23-24 ans avec une femme plus vieille. […] c’est beaucoup trop de responsabilités pour un jeune garçon, je trouve. » (Louise, 32 ans, sans enfant)

Elles entretiennent donc l’idée que l’homme plus âgé est aussi plus mûr et responsable que celui dans la vingtaine, qui aurait « besoin » de plus de liberté sexuelle. Ces deux qualités conjuguées seraient, d’après elles, à l’origine de la popularité des relations dans lesquelles l’homme est plus âgé.

Ainsi, pour la plupart des femmes, leur relation avec un partenaire plus jeune ne saurait être plus qu’une courte aventure satisfaisante sur le plan sexuel. Et si relation sérieuse il y a, la question des enfants demeure problématique.

La peur de « l’appel de la paternité »

Fréquenter un homme plus jeune, c’est prendre le risque qu’il ait l’appel de la paternité, crainte que partagent les participantes dans la quarantaine et la cinquantaine qui ne veulent plus avoir d’enfants.

Comment satisfaire, alors, son éventuel désir de paternité ? La majorité des participantes doutent de la durabilité d’une relation si leur partenaire n’a pas encore d’enfant ou s’il envisage d’en avoir.

Et s’il leur assure qu’il ne veut pas d’enfant ? Pour elles, cette réponse n’est qu’une stratégie pour les convaincre d’entreprendre une relation intime. Elles restent persuadées qu’il changera d’idée en vieillissant. Les femmes croient parfois influencer leur partenaire et se sentent coupables de le faire.

« Lui, il en voulait. Puis je lui disais « moi, j’aimerais mieux que tu en aies, c’est la plus belle affaire qui peut t’arriver dans la vie. Puis, moi je ne veux pas te barrer là-dedans. Écoute, c’est sûr que je m’attache à toi, mais ça me fait de la peine de savoir que peut-être que tu perds des occasions [de rencontrer une femme de ton âge] », tsé? Fait que, comme, je l’envoyais rencontrer quelqu’un d’autre. » (Béatrice, 56 ans, mère)

Malgré ces réticences, plusieurs s’investissent dans leur relation, tout en sachant qu’elle ne sera pas éternelle.

Le rôle de belle-mère ? Non merci!

Pour les femmes qui ont déjà élevé leurs propres enfants, développer une relation intime sérieuse avec un partenaire plus jeune, mais déjà père, est inconcevable. Pas question de s’impliquer rapidement auprès de ses enfants. Élever la progéniture d’un autre les ferait retomber dans une routine qu’elles ne veulent plus connaître.

« Quand j’ai entendu ‒ après avoir couché avec lui ‒ qu’il avait une puce de 6 mois, je l’ai mis en garde : « On ne sera jamais amoureux ensemble. J’adore mes enfants, j’ai joué avec eux à quatre pattes en masse ! Mais c’est autre chose que je veux vivre dans ma vie ». Ok, sexuellement, oui [on peut se voir]. » (Hélène, 53 ans, mère)

Bouclier contre la maternité

Ces femmes sont-elles des victimes? Non! Elles sont, en partie, satisfaites de pouvoir entretenir des relations intimes sans trop d’investissement émotionnel. Toutes les femmes ne courent pas toujours après une relation amoureuse à long terme, et certaines d’entre elles, en âge d’avoir des enfants, ne veulent tout simplement pas en avoir, souligne la chercheuse.

En effet, pour plusieurs femmes, décider d’avoir une relation avec un homme plus jeune, c’est résister à la pression sociale de devenir mères. Alors que les hommes de leur âge ou plus âgés ont souvent des enfants ou veulent en avoir, elles trouvent apaisant de savoir que leurs partenaires plus jeunes n’ont ni enfant ni désir d’en avoir. Fonder une famille : un discours toujours d’actualité qui érige les femmes au statut de mère avant tout ; un sujet sensible duquel elles essaient de se soustraire, ce qui n’est pas évident lorsqu’elles envisagent une relation intime à long terme.

 « C’est le fun qu’il soit plus jeune ; il ne me mettra pas de pression pour avoir des kids (rire)! J’ai une autre amie, elle, elle a 31, pis vois-tu, elle, elle vient de laisser son copain à cause de ça, entre autres, là. Parce que lui, il mettait beaucoup de pression pour avoir des enfants maintenant et elle, elle n’était pas prête. » (Jackie, 30 ans, sans enfant)

Le dating, mais après ?

Au-delà de l’image sexiste de la « cougar », ces femmes veulent mettre à profit leur expérience de vie. Qu’elles aient connus des échecs amoureux ou non, elles sont à une étape de leur vie où elles maîtrisent leurs sentiments, sont à l’écoute de leur corps et de leurs désirs, et souhaitent s’épanouir. Si la relation avec un homme plus jeune peut lever bien des barrières à cet accomplissement, les divergences concernant la parentalité peuvent en planter de plus solides.

À ce stade de l’étude, impossible de déterminer si leurs relations dureront malgré les obstacles perçus, souligne la chercheuse. Et si elles durent et deviennent plus sérieuses, qu’en sera-t-il des dynamiques conjugales? Chez les femmes interrogées, que leur partenaire gagne moins leur importe peu, puisqu’elles se considèrent indépendantes. Reste à savoir, toutefois, si le statut socioéconomique des hommes plus jeunes prendrait plus d’importance si le couple venait à cohabiter, partager ses dépenses ou avoir des enfants à charge, par exemple. La répartition des dépenses affecte différemment les hommes et les femmes : même si elles ont un travail rémunéré, l’autonomie financière des femmes demeure plus précaire au sein d’un couple hétérosexuel.