À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré de l’article de Danielle Gauvreau et Patricia Thornton, « Marrying ‘the Other’: Trends and Determinants of Culturally Mixed Marriages in Québec, 1880-1940 », publié en 2015 dans la revue Canadian Ethnic Studies, vol. 47, no 3, p. 111-141.

  • Faits saillants

  • Les communautés vivant dans des milieux ethnoculturels homogènes, comme dans le Québec rural, étaient moins portées que d’autres vers les mariages mixtes.
  • À l’opposé, celles qui étaient en contact avec plusieurs autres communautés, comme dans les grands centres urbains, acceptaient plus facilement les unions entre différentes communautés.
  • Un déséquilibre homme-femme au sein des communautés et une décroissance démographique favorise les mariages mixtes, comme ce fût le cas chez les Irlandais de Montréal.

Aujourd’hui, le mariage entre une Québécoise francophone catholique et un anglophone protestant n’a rien de spectaculaire. Mais il y a un siècle, ces unions mixtes étaient beaucoup plus rares. Pourtant, certains groupes ethniques et religieux avaient plus tendance que d’autres à se marier hors de la communauté. Pour comprendre le phénomène, il faut regarder du côté des facteurs contextuels : vivre en milieu rural ou urbain, équilibre homme-femme dans la communauté, milieu de vie homogène ou hétérogène.

C’est ce qu’affirment Danielle Gauvreau, professeure au département de sociologie et d’anthropologie de l’Université Concordia, et Patricia Thornton, professeure de géographie dans le même établissement. En se basant sur les microdonnées des recensements canadiens de 1881, de 1911 et de 1941, une période marquée par une forte immigration, les auteures analysent les facteurs qui ont favorisé les unions mixtes au Québec. Les groupes à l’étude sont les francophones catholiques, les Britanniques catholiques, les autres groupes catholiques, les Britanniques protestants, les autres groupes protestants, et les Juifs.

Du sang neuf dans la communauté

À l’époque, les personnes ayant la plus forte propension à se marier hors de la communauté sont les catholiques britanniques, en grande majorité des Irlandais. Après de grandes vagues d’immigration due à la famine des années 1840 et 1850, le nombre d‘arrivants irlandais baisse radicalement. Les populations irlandaises déjà installées au Québec stagnent. La communauté perdant en importance, plusieurs de ses membres se marient alors avec des francophones catholiques et des anglophones protestants.

À l’opposé, les francophones catholiques présentent à cette époque le plus bas taux d’unions mixtes, puisque le bassin de cette communauté est suffisamment grand. Les francophones catholiques qui habitent dans des milieux urbains avec une grande diversité ethnique sont ceux qui ont le plus tendance à « sortir » de leur communauté, bien que cette tendance reste peu populaire pour ce groupe.. Lorsqu’ils s’engagent dans un mariage mixte, plusieurs d’entre eux le font avec des membres d’autres communautés catholiques, en particulier les Irlandais.

Milieux homogènes et hétérogènes

Les microdonnées montrent que le fait d’habiter ou non dans un milieu où l’on peut entrer en contact avec des membres d’autres communautés influence grandement la possibilité d’union mixte. Ainsi, les personnes des milieux ruraux, où la population est relativement homogène, avaient peu tendance à se marier hors de la communauté. À l’inverse, on retrouve les plus hauts taux de mariages mixtes dans les centres urbains comme Montréal, où, même à l’époque, on retrouvait une grande diversité. Les quelques francophones catholiques qui ont trouvé un partenaire hors de leur communauté habitaient des quartiers culturellement très hétérogènes. Seule la communauté juive, bien qu’en contact avec d’autres communautés ethnoculturelles, connaissait alors un très faible taux de mariages mixtes.

Ratios hommes-femmes et langue

La proportion hommes-femmes dans une communauté favorise aussi les mariages mixtes. Chez les Irlandais, une communauté qui peine à se renouveler tout au long du début du XXe siècle, on compte 1,25 homme pour chaque femme en 1941. Cette même année, 50 % des femmes irlandaises se marient avec des membres d’autres communautés catholiques. La langue est une importante caractéristique pour favoriser, ou non, les mariages mixtes. Les auteures remarquent que ceux et celles qui parlent français et anglais sont plus nombreux à se marier en dehors de leur communauté. À l’inverse, ne parler ni l’anglais ni le français correspond au plus faible taux de mariages mixtes.

Des frontières pas si étanches                                                                                                                            

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, dans le Québec d’antan, les frontières entre les différentes communautés n‘étaient pas complètement fermées. Plusieurs facteurs ont favorisé les mariages entre membres de différentes communautés ethnoculturelles : la décroissance démographique de certaines communautés, les ratios homme-femme à l’intérieur de ces communautés,  la diversité ethnoculturelle des milieux. Par exemple, le monde rural, très homogène, laisse peu de place aux mariages entre membres de différentes communautés. Qu’en est-il un siècle plus tard ? Par le biais de certains programmes d’intégration, le gouvernement du Québec incite aujourd’hui les nouveaux arrivants à s’installer dans les régions du Québec. Observerait-on alors une plus grande ouverture envers les mariages mixtes?