À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sylvanie Godillon et Marie-Soleil Cloutier, « Sur le chemin de l’école : perceptions de parents et d’enfants du primaire face au risque routier lors de la mise en place d’un Trottibus au Québec », publié en 2018, dans Enfances Familles Générations, volume 30.

  • Faits saillants

  • Le Trottibus, un « autobus » pédestre où enfants et adultes marchent ensemble vers l’école, permet aux élèves de bouger avec leurs amis tout en diminuant leur empreinte écologique.
  • Les parents sont plus frileux que leurs enfants à l’idée se rendre à l’école à pied, même s’ils participent au Trottibus.
  • Les parents apprécient le Trottibus pour le partage de certaines responsabilités avec d’autres parents, comme le trajet vers l’école, facilitant la conciliation famille-travail.
  • Les parents ou les bénévoles impliqués dans le Trottibus peuvent apprendre aux enfants le bon comportement du piéton.
  • Même les enfants qui utilisent le Trottibus vont plus souvent à l’école en auto qu’à pied.

Certains nostalgiques se plaisent à le répéter : « Dans mon temps, à l’école, on y allait à pied! » On ne peut plus en dire autant maintenant, alors que la marche ne cesse de perdre du terrain au profit de la voiture pour les déplacements vers l’école. Sommes-nous devant une génération d’enfants plus paresseux qu’auparavant? Que nenni! Selon une étude, c’est plutôt les parents qui deviennent de plus en plus frileux à l’idée de laisser leur progéniture prendre seule le chemin de l’école.

Comment augmenter la sécurité des enfants et rassurer le cœur des parents? En utilisant le Trottibus, concept implanté dans une centaine d’écoles à travers la province. De quoi s’agit-il? Créé en 2010 par la division québécoise de la Société canadienne du cancer, le Trottibus vise à intégrer la marche et l’activité physique chez les jeunes et les moins jeunes, une composante essentielle aux saines habitudes de vie pour réduire le risque de cancer. Sorte « d’autobus pédestre », il est constitué de parents ou de bénévoles qui font le tour du quartier pour prendre au passage les enfants et les conduire à l’école. Est-ce que les enfants sont plus en sécurité? Les parents et leurs petits ont des points de vue différents!

Respectivement post-doctorante et professeure au centre Urbanisation Culture Société de l’Institut national de la recherche scientifique, Sylvanie Godillon et Marie-Soleil Cloutier répondent à cette question en interrogeant 189 parents, en plus de leurs enfants inscrits à un Trottibus. L’objectif : évaluer la perception de tout un chacun sur la sécurité routière lors de la mise en place du projet.

Pour les enfants, ce n’est pas sorcier de marcher!

Les enfants, dans les jupons de leur mère? À en croire les résultats, ce serait plutôt l’inverse! Les parents se montrent plus craintifs que leurs enfants pour les déplacements à pied. Par exemple, 57 % des parents jugent que traverser une intersection à un arrêt est dangereux, contre 47 % des enfants. Si ladite intersection a un feu pour piéton allumé, les parents la considèrent comme bien moins dangereuse, à 17 %, mais c’est encore moins chez les enfants, avec 12 % seulement!

Les usagers de la route respectent-ils le code de sécurité routière? Cela dépend à qui vous posez la question. Les enfants voient les choses de façon plus optimiste que leurs parents : ils répondent positivement à 89 % pour les automobilistes, à 91 % pour les cyclistes et à 97 % pour les piétons. Les parents sont un peu moins confiants : ils sont positifs à 63 % pour les automobilistes, 71 % pour les cyclistes et 76 % pour les piétons.

Et concernant la vitesse des voitures dans leur quartier? Là, c’est une tout autre histoire! Si quatre parents sur dix estiment que les autos roulent trop vite, c’est plus du double chez les enfants! Résultats? Les occasions de traverser la rue sont plus difficiles pour les enfants que pour les parents.

Trottibus : une promenade aux bénéfices insoupçonnés

Amélioration de la sécurité, diminution de l’empreinte écologique, augmentation de l’activité physique : c’est facile de trouver des avantages au Trottibus. D’ailleurs, les trois quarts des enfants disent avoir hâte de prendre cet autobus pédestre. Et s’ils raffolent de leur marche matinale, c’est d’abord pour aller retrouver leurs amis! C’est d’ailleurs la raison la plus populaire auprès des enfants (76 %), suivi des avantages pour la santé (72 %) et pour la planète (45 %).

Les parents constatent aussi un certain apprentissage social pour leur enfant, et plus encore! Lorsque leur enfant marchait déjà pour se rendre à l’école, être avec ses amis est le plus important des bienfaits (88 %), suivi de marcher de façon plus sécuritaire (74 %). Et chez les parents dont l’enfant n’allait pas à l’école à pied? Le fait de bouger davantage (86 %) surpasse le côté social de l’activité (81 %).

On parle des avantages pour les enfants, mais en existe-t-il pour les parents? Bien sûr! Peu importe si leur enfant marchait ou pas avant l’implantation du Trottibus, beaucoup remarquent qu’ils peuvent mieux concilier famille et travail. Ils apprécient pouvoir reconduire leur enfant vers l’école en alternance avec d’autres parents plutôt que d’avoir à le faire chaque jour (80 %). Pour ceux dont l’enfant ne marchait pas, c’est surtout l’apprentissage des bonnes pratiques du piéton (70 %) qui est partagé avec les autres parents et les bénévoles.

L’auto toujours chouchou

Même auprès des parents dont au moins un enfant est inscrit au Trottibus, l’automobile reste le mode de transport le plus populaire pour le trajet vers les classes. Tendance observée également parmi les enfants, qui préfèrent la voiture (40 %) à la marche (35 %). Pas étonnant, selon les auteures, quand on remarque que 96 % des familles questionnées possèdent une voiture.

Mais pourquoi continuer de conduire son enfant en voiture à l’école? À cause de son âge : 40 % des parents estiment leur petit trop jeune pour marcher vers l’école. D’autres apprécient pouvoir déposer les enfants lorsque l’école est sur le chemin du travail (21 %). Les auteures avancent ainsi que l’utilisation de l’auto pour le travail incite les parents à l’utiliser aussi pour l’école.

Cette forte motorisation des familles n’est pas anodine, soulignent les auteures. Une des conséquences les plus préoccupantes? L’augmentation du trafic autour des écoles. De là, un cercle vicieux s’installe. Le sentiment d’un risque d’accident augmente, ce qui nuit à la marche des enfants vers les classes. Que ce soit la peur engendrée par ce trafic aux abords de l’école, ou pour leur côté pratique, plus de voitures entraînent toujours plus de voitures. La sécurité routière et l’activité physique chez les enfants s’en trouvent compromis, de conclure les auteures.

Mieux aménager pour mieux marcher

Avec seulement trois écoles en 2010, dont une toujours active qui fête ses dix ans de Trottibus, le programme de la Société canadienne du cancer a connu un vif succès. Dix ans plus tard, un peu plus de 115 écoles sont actives chaque année, pour 2240 enfants inscrits. Malgré l’engouement pour le programme, les parents craignent toujours que leur enfant se rende à l’école à pied. Comment les rassurer? Les auteures suggèrent que l’amélioration des aménagements urbains doit être intimement liée aux Trottibus. Augmenter le nombre de brigadiers scolaires, ou encore créer davantage de traverses pour les piétons, constituent des pistes de solutions pour rendre les déplacements pédestres plus sécuritaires. Il faut aussi penser à l’étape après les Trottibus, soit celle où les enfants marchent seuls pour se rendre à l’école, ou ailleurs. Se déplacer seul, rappellent les auteures, est le meilleur moyen de devenir un bon piéton et de se familiariser avec sa ville.