À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Doris Châteauneuf et de Françoise Romaine Ouellette, « Kinship Within the Context of New Genetics: The Experience of Infertility From Medical Assistance to Adoption », publié en 2015, dans Journal of Family Issues, vol. 38, n° 2, p. 177-203.

  • Faits saillants

  • Le fait d’abandonner les traitements de fertilité pour se tourner vers l’adoption affecte les parents différemment; les femmes trouvent difficile de faire le deuil de la grossesse, et les hommes, de ne pas pouvoir transmettre leurs gènes.
  • Qu’ils optent pour la procréation assistée ou l’adoption, les parents infertiles considèrent tout autant les liens de sang que les liens affectifs lorsqu’ils décident d’avoir un enfant.
  • Certains pères infertiles voient une ressemblance entre concevoir un enfant via un le don de sperme et l’adoption, puisqu’ils doivent bâtir un lien d’attachement avec un enfant auquel ils ne sont pas liés génétiquement.

Autrefois, les couples infertiles désirant un enfant se tournaient presqu’unanimement vers l’adoption, la seule option alors disponible. Avec l’avènement des techniques de procréation médicalement assistée (PMA), une variété de possibilités s’offre maintenant aux parents. Dans ce contexte, l’adoption a-t-elle la même signification qu’auparavant, alors qu’elle était le seul choix possible?

Les auteures ont tenté de comprendre comment les couples ayant tenté la procréation assistée en sont venus à choisir l’adoption, ainsi que la manière dont ils perçoivent le lien avec leur enfant. Des entrevues ont été réalisées auprès de 45 personnes en couple ayant adopté un enfant au cours des cinq années précédentes, après avoir tenté des traitements de fertilité.

Hérédité et attachement

On pourrait croire que les parents qui tentent la procréation assistée accordent davantage d’importance au lien génétique avec leur enfant, alors que ceux qui choisissent l’adoption privilégient le lien émotif. Pourtant, la réalité est plus complexe! Qu’ils optent pour la procréation assistée ou l’adoption, les parents considèrent tout autant les liens de sang que les liens affectifs.

Les études démontrent que, pour plusieurs parents qui choisissent la procréation médicalement assistée, le lien affectif avec l’enfant est aussi important que le lien biologique. Par exemple, les couples faisant appel à un donneur de sperme minimisent souvent l’héritage du donneur et accordent une grande importance à l’attachement émotionnel entre le père et l’enfant.

Les parents adoptifs, quant à eux, considèrent aussi le rapport au biologique. Par exemple, certains adopteront deux enfants ayant les mêmes parents biologiques, afin de favoriser leur lien fraternel. De plus, certains parents adoptifs font un parallèle entre l’adoption et la grossesse, ce qui renforce leurs liens avec l’enfant.

« Cependant, les parents adoptifs ont tendance à s’inspirer du modèle biogénétique pour la reproduction et la famille. Par exemple, certains compareront la longue période d’attente avant de rencontrer leur enfant à une grossesse, tout comme le font de nombreux professionnels du domaine de l’adoption. Ils comparent aussi cette première rencontre à l’accouchement. Par ces métaphores, ils normalisent leur expérience et revendiquent des liens aussi forts et durables avec leur enfant que s’ils étaient liés par le sang. » (Traduction libre)

Transmettre ses gènes

Pour quelles raisons les couples interviewés ont-ils tenté la procréation assistée en premier lieu? Plusieurs participants mentionnent avoir eu, au départ, le désir de transmettre leurs gènes à leur enfant. D’autres invoquent le désir d’avoir un enfant qui soit une fusion des deux époux.

« Bien entendu, nous aurions aimé avoir notre propre enfant biologique pour savoir de quoi il aurait eu l’air; quel type d’enfant nous aurions eu. Une petite part de chacun de nous. [Traduction libre] » (Pier-Louis)

Le don de sperme permet aussi à la femme de transmettre ses gènes. Ainsi, certains couples infertiles décident d’y recourir pour permettre à la mère de vivre une grossesse et d’avoir un enfant biologique. Certaines femmes hésitent toutefois à recourir au don de sperme pour cette même raison; elles ressentent de la pression à être le seul parent biologique. Elles craignent de devoir s’occuper seules de l’enfant en cas de rupture.

« Le jour où les choses tournent mal dans ta relation amoureuse, l’autre peut te dire « C’est ton enfant. Arrange-toi. » Je n’étais pas prête à entendre cela; nous ferons cet enfant ensemble ou nous trouverons une autre solution, ensemble. [Traduction libre] » (Annie)

Pourtant, dans le cas d’un don de sperme, les pères insistent sur le lien émotionnel avec l’enfant. Plusieurs des pères interviewés voient donc une ressemblance entre ce type de PMA et l’adoption puisque « de toute façon, l’enfant ne viendrait pas d’eux ».

Le deuil de l’enfant biologique

Après avoir vécu des tentatives infructueuses avec la procréation assistée, certains participants ont attendu un long moment avant de se tourner vers l’adoption. D’autres ont décidé d’effectuer les procédures d’adoption et de procréation assistée simultanément.

Comment expliquer ces différences de parcours? D’après cette étude, plus les liens de sang sont importants pour les parents, plus ils attendent longtemps avant de choisir d’adopter. Certains ne se tourneront donc vers l’adoption qu’une fois terminé le deuil d’avoir un enfant biologique. D’ailleurs, cette période de deuil est souvent plus longue chez les hommes.

Santé et personnalité

Le fait d’abandonner les traitements de fertilité affecte les femmes et les hommes différemment. Les femmes doivent surtout faire le deuil de la grossesse, de l’accouchement et de l’allaitement, alors que les hommes trouvent difficile de renoncer à la continuité de leur lignée de sang.

Les parents adoptants ont souvent des préoccupations liées à la santé de leur enfant puisqu’ils ne connaissent pas son historique génétique.

« Nous ne le savons pas. Nous n’avons aucune façon de savoir si, dans leurs familles, il y avait des maladies sérieuses qui pourraient être transmises. [Traduction libre] » (Juliette)

Lorsqu’il est question du développement de la personnalité de leur enfant, les participants insistent sur les traits acquis plutôt qu’innés. C’est encore plus vrai pour les parents ayant de très jeunes enfants ou un enfant unique. Ceci dit, les parents reconnaissent aussi l’existence d’une partie héréditaire au tempérament de leur enfant. Par exemple, les parents ayant plus d’un enfant ou dont les enfants sont maintenant plus âgés (4-5 ans) remarquent davantage les traits qu’ils n’auraient pas pu transmettre à leur enfant, et sont donc plus ouverts à parler d’hérédité.

« Je vois qu’en lien avec l’intelligence et les habiletés, il y a des choses qui ne viennent pas de nous. Si elle est bonne en dessin, ça ne vient sûrement pas de nous, c’est donc déterminé à un niveau génétique, oui. [Traduction libre] » (Martin)

Deux options pas si éloignées!

Les techniques de procréation médicalement assistée sont relativement nouvelles et sont de plus en plus accessibles. Même si, à l’instar des participants de cette étude, les couples infertiles tentent en général cette option en premier lieu, il ne faut pas croire qu’ils privilégient seulement les liens de sang. En effet, les liens affectifs sont primordiaux pour tous les parents. Selon les auteures, l’adoption et la procréation assistée ne sont donc pas deux options opposées, mais font plutôt partie d’un même continuum.