À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie-Pier Petit, Danielle Julien et Line Chamberland, « Negotiating Parental Designations Among Trans Parents’ Families: An Ecological Model of Parental Identity », publié en 2017, dans Psychology of Sexual Orientation and Gender Diversity, vol. 4, n° 3, p. 282-295.

  • Faits saillants

  • Les personnes trans qui deviennent parents avant leur transition conservent souvent la même désignation parentale par la suite. Celles qui ont eu un enfant après la transition préfèrent que le terme employé corresponde à leur identité de genre.
  • La majorité des parents trans laissent leurs enfants choisir la manière dont ils veulent les appeler (ex. : « papa », « maman », par le prénom, etc.). Le bien-être et les préférences de l’enfant sont alors au cœur de leur choix.
  • Pour éviter de vivre de la transphobie, certains parents trans préfèrent que leur enfant les appelle par un nom qui correspond à leur identité de genre lorsqu’ils sont dans des lieux publics.

Papa est un homme, maman est une femme… Cette affirmation, si simple soit-elle, ne décrit pourtant pas la réalité de tous les parents. Dans le contexte actuel qui offre seulement deux options d’identité parentale (père/homme, mère/femme), les parents trans sont laissés pour compte.

Que se passe-t-il lorsque ces catégories ne correspondent pas au vécu et au ressenti des parents ? Comment ces derniers évoquent-ils les désignations parentales (1) avec leur enfant ? Le choix dépend de plusieurs facteurs, tels que les préférences, le bien-être et la sécurité de chacun des membres de la famille.

C’est ce que rapportent Marie-Pier Petit et Danielle Julien, chercheures en psychologie, et Line Chamberland, chercheure en sexologie à l’UQAM. Pour en arriver à ces conclusions, elles ont rencontré des parents trans aux parcours diversifiés. Leur objectif? Comparer les expériences des personnes trans qui sont devenues parents avant et après le début de la transition, et brosser le portrait des désignations parentales et de leur évolution au fil du temps. Sur les 24 personnes interrogées, dix-sept ont eu leur enfant avant d’amorcer leur transition (prétransition), alors que les sept autres sont devenus parents après leur transition (posttransition).

Les parents prétransition : l’enfant au cœur des décisions

Le lien biologique avant tout

Plusieurs personnes qui amorcent leur transition après être devenues parents continuent de remplir le même rôle. Autrement dit, ces femmes trans se définissent toujours comme des pères, et ces hommes trans comme des mères. Par ailleurs, elles soulignent que le lien biologique avec l’enfant a façonné la manière dont elles se perçoivent en tant que parents.

« Je pense que ça a beaucoup à voir avec le fait que j’ai accouché avant la transition. Pour moi, c’était vraiment une expérience “féminine”, “maternelle” d’accoucher et d’allaiter, et ça n’a pas changé. » (Traduction libre)
— Kessy, genderqueer.

Cela dit, même si la plupart des parents ne nient pas leur rôle dans la conception et la naissance de l’enfant, certains d’entre eux n’accordent que peu d’importance à cet aspect pour se définir. Autrement dit, un homme trans reconnaît son lien biologique de mère, tout en étant un père.

Et l’opinion de l’autre parent ?

Dans cette étude, tous les enfants sont nés dans une famille composée d’un père et d’une mère, ou encore d’un chef de famille monoparentale. Les personnes participantes, qui sont majoritairement séparées de l’autre parent, expliquent que le choix des désignations parentales dépend donc aussi de leur ex-partenaire. Par exemple, certains parents trans préfèrent conserver le même rôle parental à la suite de leur transition, pour éviter de « voler » celui de l’autre parent ou de créer des conflits. D’autres soulignent l’importance de conserver les rôles de père et de mère dans la famille et leurs représentations symboliques, même si leur identité de genre a évolué.

« Puisque [les enfants] ont déjà une mère, je ne peux pas dire que je prendrai le rôle de la mère. Il n’y a que deux catégories, et c’est un fait. Je reste leur père génétique et biologique. » (Traduction libre)
— Marilyne, femme trans.


Le choix des désignations parentales dépend également de l’arrivée de l’enfant. S’ils avaient un autre enfant après leur transition, certains parents ne se définiraient pas de la même manière.

« Je n’ai jamais pu être une mère, du moins pour ma fille. […] Le cours normal des choses, si j’ai un autre enfant, c’est que l’homme soit le père et que je sois la mère. […] La différence, c’est que je commencerais dès le début. Il n’y aurait pas de changement en cours de route. » (Traduction libre)
— Lisa, femme trans.

Conjuguer transition et bien-être de l’enfant

Et l’opinion des enfants dans tout ça ? Leur bien-être et leurs préférences sont au cœur des préoccupations des parents. En fait, la majorité priorise le choix de leur progéniture, et ce, même s’ils ne s’identifient pas de la même manière.

« Je pense que c’est plus important pour lui en tant qu’enfant que pour moi en tant qu’adulte. Si c’est encore important pour lui, je ne veux pas le nier. » (Traduction libre)
— Maria, femme trans.

L’âge de l’enfant au moment de la transition est aussi un facteur important. Par exemple, certains parents d’enfants plus âgés préfèrent garder le même statut parental pour éviter de les déstabiliser.

« C’est son point d’ancrage, et lui dire qu’il ne peut plus m’appeler comme ça, c’est comme s’il perdait sa mère. Parce qu’il avait 8 ans, ce lien était déjà assez fort. […] J’ai essayé de lui donner au moins ce point de référence stable, même si j’allais changer physiquement. » (Traduction libre)
— Kessy, genderqueer.

D’autres participants, notamment les parents d’enfants plus jeunes ou ceux ayant amorcé leur transition récemment, croient que leur désignation parentale pourrait évoluer dans le temps.

Une transition familiale oui, mais en toute sécurité

Si les personnes trans sont flexibles quant au choix des désignations parentales employées à la maison, la situation se corse hors du cocon familial. Elles font face à des défis particuliers dans les lieux publics, puisque la majorité de leurs enfants continuent de les appeler d’une manière qui correspond à leur genre attribué à la naissance (ex. : « maman » pour un homme trans). Pour éviter d’être victimes de transphobie, la moitié des parents interrogés développent des stratégies pour limiter la visibilité de leur statut trans, comme l’appellation par un nom neutre ou un surnom. Ils habituent aussi leurs jeunes enfants à différencier les espaces sécuritaires (ex. : à la maison ou avec des amis proches) de ceux qui ne le sont pas (ex. : vestiaires, salles de bains publiques).

Les parents posttransition : l’identité de genre avant tout

Les parents posttransition ne rapportent pas la même expérience. La plupart d’entre eux préfèrent des désignations conformes à leur identité de genre : ces hommes trans sont des pères, ces femmes trans, des mères, et toute la famille (enfants, ex-partenaire, etc.) les perçoit ainsi. Comparativement aux parents prétransition, ils sont moins à l’aise à l’idée de se faire appeler par un nom qui ne leur correspond pas.

« Je suis un père. Si ma fille m’appelait “maman”, ça ne marcherait pas du tout. […] J’ai échappé à ça toute ma vie. Ce serait très douloureux. C’est pour ça que c’est papa, c’est monsieur. Je ne me vois pas autrement. » (Traduction libre)
— Mark, homme trans.

Des obstacles juridiques importants

Quatre parents posttransition ont fait face à des obstacles juridiques dans leur reconnaissance. Ils ne pouvaient pas ou n’avaient pas changé la mention de leur sexe avant l’accouchement, et vivent à présent avec un statut parental qui ne correspond pas à leur identité de genre. Résultat : un aspect privé de leur vie est révélé sur leurs papiers, ce qui complique leurs rapports avec les établissements fréquentés par leurs enfants (ex. : école, garderie).

Vers une meilleure intégration des parents trans ?

Cette étude met en lumière la grande variabilité des désignations parentales chez les parents trans, qui prennent en compte tant la manière dont ces derniers s’identifient que le bien-être de l’enfant. Si le moment de la naissance et le contexte (ex. : sphère privée ou publique) influencent grandement ces désignations, elles peuvent également évoluer dans le temps. La plupart des parents prétransition conservent le même statut qu’avant la transition, alors que les parents posttansition choisissent plus souvent un nom qui correspond à leur identité de genre.

De nos jours, de nombreuses embûches parsèment encore le quotidien des personnes trans. Par exemple, un parent ne peut changer la désignation parentale sur l’acte de naissance de l’enfant après la transition[2]. Les questionnaires ne sont pas non plus adaptés à la réalité de tous, puisqu’ils n’offrent que deux possibilités (mère/père), sans permettre de choix neutre. D’après les auteures, les lois doivent évoluer afin d’inclure tous les parents et de faciliter leur intégration dans divers milieux. Dans un récent rapport du Comité consultatif sur le droit de la famille, ces aspects sont pourtant restés lettre morte.


[1] Les désignations parentales sont les différents termes (ex. : papa, maman) utilisés par l’entourage familial (ex. : l’enfant, l’autre parent de l’enfant) et par les institutions (ex. : école, certificat de naissance de l’enfant) pour référer et désigner le parent.

[2] En janvier 2021, la Cour supérieure du Québec a invalidé jeudi plusieurs articles du Code civil du Québec jugés discriminatoires envers les personnes trans ou non binaires. Le jugement facilitera notamment le processus par lequel les personnes trans peuvent changer leur identité dans les documents de l’état civil, ce qui représente une victoire importante pour les parents trans. La Cour supérieure du Québec donne au gouvernement jusqu’au 31 décembre 2021 pour corriger le tir. (Source : Guillaume Bourgault-Côté, « Victoire judiciaire importante pour les personnes trans et non binaires », Le Devoir, 29 janvier 2021)