À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Jacques Roy, Gilles Tremblay et David Guilmette, « Évolution des réalités masculines au Québec et transformations sociétales : un point de vue sociologique pour les pratiques », publié en 2014, dans Intervention, no 140, p. 61-67.

  • Faits saillants

  • L’identité masculine d’aujourd’hui repose sur un désir accru d’autonomie.
  • Les jeunes générations d’hommes rejettent le modèle du père pourvoyeur et adoptent plutôt celui du « père-cheval » (qui se met au niveau de l’enfant).
  • Le travail est encore une partie importante de l’identité masculine, mais il est perçu comme une source d’épanouissement.

La paternité a radicalement changé de visage au cours des dernières décennies : papa participe à l’accouchement, change les couches et prend de plus en plus soin des enfants. Mais ce n’est pas simplement l’aspect parental qui a évolué. La masculinité elle-même a subi d’importantes mutations. La solitude, l’autonomie, le déclin de l’image traditionnelle de l‘homme et un nouveau rapport au travail figurent parmi les caractéristiques de la masculinité d’aujourd’hui.

C’est le portrait que tracent Jacques Roy, Gilles Tremblay et David Guilmette, de l’équipe Masculinité et société de l’Université Laval, après une recension des écrits abordant la question des réalités masculines québécoises d’aujourd’hui. Pour mettre en perspective l’évolution des réalités masculines québécoises, les auteurs utilisent 65 études recensées dans une méta-analyse[1] incluant articles scientifiques, rapports de recherche, mémoires et thèses, et plusieurs données publiques.

Les hommes de plus en plus seuls

Les Québécois et les Québécoises sont de plus en plus nombreux à vivre seuls. En 1961, ils représentaient seulement 7 % de la population. Au tournant du siècle, cette proportion a grimpé à tout près de 30 %, et la tendance s’est accentuée dans les années suivantes (voir tableau 1). En 1981, 7,4 % des hommes vivaient seuls; ils étaient 13,4 % en 2011, soit près du double.

Pour la même année, la proportion est de 14,9 % chez les femmes, une proportion légèrement plus élevée que chez les hommes, mais qui s’explique par l’écart d’espérance de vie entre les sexes. Bien que cet écart se resserre graduellement, les femmes vivent, encore aujourd’hui, plus longtemps que les hommes.

L’analyse par tranches d’âge révèle des réalités bien différentes selon le sexe. Ainsi, chez les 30-49 ans, les hommes sont près de deux fois plus nombreux à vivre seuls, alors que la tendance s’inverse une fois le cap des 55 ans franchi.

Tableau 1. Proportion (%) de Québécois et Québécoises vivant seuls, 1961, 2001, 2011

Être auton’homme

La quête d’autonomie fait également partie des particularités de la masculinité d’aujourd’hui. Cette autonomie est, entre autres, revendiquée à travers la paternité. Une fois papa, les hommes ont tendance à se replier sur le foyer, se coupant parfois de l’extérieur (amitiés, temps libres). Ils ont aussi tendance à voir d’un mauvais œil l’influence de la famille élargie sur l’éducation de leurs enfants. Les pères accordent plus d’importance à leur expérience qu’aux opinions externes, tant celles provenant de personnes dans le cercle familial que celles des professionnels et intervenants. Une véritable « fracture » avec les générations antérieures.

Par exemple, en situation d’intervention[2], les hommes sont beaucoup plus réfractaires qu’avant à la hiérarchie bénéficiaire-professionnel.

« Les hommes rechercheraient une forme de partenariat avec les intervenants dans laquelle ils seraient considérés comme des acteurs principaux dans la détermination des services pouvant répondre à leurs propres besoins. »

Cette distance face à l’autorité professionnelle se manifeste aussi dans les rapports au travail.

Je travaille, donc je suis

Le travail est une composante importante de l’identité masculine d’aujourd’hui. Les auteurs vont jusqu’à dire que « le travail apparait clairement comme un élément central dans la définition de ce qu’est un homme ; le travail serait l’incarnation d’un idéal masculin recherché […]. » À l’inverse, ceux qui sont sans emploi évoquent la sensation de « ne pas être pleinement des hommes ». Par contre, les hommes ne voient plus le travail simplement comme un moyen de remplir leur rôle de pourvoyeur, mais plutôt comme un moyen de s’épanouir. Ce besoin d’épanouissement prime donc sur l’identité professionnelle ou sur le sentiment d’appartenance à une organisation.

« [L]e sens accordé au travail se rapprocherait plus d’une quête plus générale de qualité de vie […]. »

Place au père-cheval!

La masculinité d’aujourd’hui rompt avec la masculinité traditionnelle. Cette rupture n’est pas totale, mais les auteurs l’associent tout de même à un fossé générationnel grandissant. Par exemple, l‘homme d’aujourd’hui se veut plus soucieux de sa santé.

La paternité 2.0 remet aussi en cause le rôle du père-pourvoyeur. Les pères ont de moins en moins peur de mettre la main à la pâte lorsqu’il est question de soins aux enfants, même si l’égalité homme-femme n’est pas encore atteinte. Même son de cloche en ce qui a trait au jeu avec les enfants : nous sommes maintenant à l’ère du « père-cheval[3] ». Le père n’hésite plus à se mettre au niveau de l’enfant pour entrer en relation avec lui.

Au-delà des générations

Les caractéristiques qui définissent la masculinité dans le Québec du XXIe siècle sont donc nombreuses. Le vieux modèle s’efface de plus en plus pour faire place à une nouvelle représentation de ce qu’est « être un homme ». Mais tout n’est pas noir ou blanc. La fracture n’est pas nette et précise. Les études accordent une grande importance à l’aspect générationnel. Mais qu’en est-il du milieu de vie, du niveau de scolarité, de l’origine ethnique? Cette redéfinition de la masculinité a-t-elle le même écho chez tous les hommes, qu’ils vivent en ville, en banlieue ou dans le monde rural, qu’ils aient en poche un diplôme d’études secondaire ou un diplôme universitaire, qu’ils viennent de Tadoussac ou de Port-au-Prince? Le portrait pourrait bien être moins homogène qu’on l’imagine.

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[1] Roy, J. et al. (2014). Perceptions des hommes québécois de leurs besoins psychosociaux et de santé – Méta-synthèse. Québec : Masculinités et Société.

[2] Le mot intervention réfère ici aux nombreux professionnels et intervenants qui prennent part aux services. Il peut s’agir de travailleurs sociaux, d’éducateurs, de professeurs, de médecins, etc.

[3] Le concept de père-cheval a été proposé par François de Singly lors d’une conférence (non publiée) présentée au Laboratoire de recherches en écologie humaine en 1995. Symboliquement, le père-cheval est « un père qui est à quatre pattes par terre avec son enfant sur le dos, pour illustrer la paternité contemporaine, par opposition à celle du« père élévateur », celui qui porte l’enfant à bout de bras, le soir en rentrant du travail, qui renvoyait à la paternité traditionnelle. » (Quéniart, 2002)