À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est issu de l’étude d’Émilie Biland, Muriel Mille et Hélène Steinmetz, « Professionals’ Jurisdictions and Separating Couples’ Privacy in the French and Canadian Family Justice System », chap. dans Delivering Family Justice in the 21 st Century, sous la dir. de Mavis Maclean, John Eekelaar et Benoit Bastard, Oxford, Hart Publishing, 2015, p. 87-105.

  • Faits saillants

  • Alors que la médiation familiale gagne en popularité au Québec, elle est largement négligée en France, où seulement 3 % des couples en voie de séparation y ont recours.
  • Au Québec, la popularité de la médiation a participé à désengorger les salles d’audience, permettant aux juges de développer une expertise pour les cas de divorce plus problématiques (négligence parentale, drogue/alcool, violence).
  • Au Québec, les juges entendent en moyenne 170 cas de divorce/séparation par année, alors qu’en France, ce nombre grimpe à 885.

Lorsqu’il est question de couple, le Québec et la France se ressemblent. Tous deux comptent plus d’unions libres qu’ailleurs en Occident et ont une tradition juridique inspirée du Code civil. Toutefois, lorsqu’il est question de divorce, bien plus qu’un océan sépare les deux pays. Le recours à la médiation gagne en popularité au Québec, et non en France, bien qu’on y compte également de plus en plus de règlements en privé (à l’amiable). Cependant, cette augmentation a des impacts bien différents, selon le territoire, sur la vie privée des ex et sur les rôles des acteurs du monde juridique.

C’est le constat que font Émilie Biland (Université Laval), Muriel Mille (Centre national de la recherche scientifique) et Hélène Steinmetz (Université du Havre), chercheures spécialisées en droit de la famille. En se basant sur une série d’entretiens avec des juges, des avocats et des greffiers, ainsi que sur l’observation de plusieurs rencontres entre des clients et des professionnels en droit familial, les auteures ont analysé les différentes procédures de divorce qui ont cours des deux côtés de l’Atlantique.

Deux tendances distinctes

Les couples en instance de divorce au Québec et en France connaîtront un cheminement bien différent. Au Québec, la progression du nombre d’ententes en privé (hors cour) a eu deux conséquences directes.

La première est l’augmentation des cas de divorce sans litige. Dans ces cas, les deux parties réussissent à s’entendre sur les modalités du divorce (garde de l’enfant, pension alimentaire, partage des biens, etc.) et ne ressentent pas le besoin de porter la cause devant un juge. Les chercheures y voient ici une diminution de l’exposition de la vie privée des couples devant la cour.

La deuxième conséquence concerne la place des juges dans le domaine du droit familial. Auparavant, le juge entendait chacune des causes de divorce. Aujourd’hui, avec les ententes de divorce entre époux, seuls les cas problématiques se retrouvent devant le juge. Cette tendance est encouragée par une disposition du Code civil qui favorise le recours à la médiation. Anciennement mise de l’avant par les travailleurs sociaux et psychologues, la médiation est devenue une avenue de plus en plus populaire auprès des couples québécois, surtout que ces derniers ont droit à cinq heures de consultation gratuite. Ce sont donc avocats et notaires qui font le gros du travail pour éviter que chacune des causes ne doive être entendue par un juge.

De l’autre côté de l’Atlantique, c’est une tout autre histoire : même les ententes de divorce en privé doivent être présentées devant un juge. Devant le nombre grandissant de divorces, l’achalandage force les juges à traiter chaque cause rapidement. En moyenne, chaque cas est traité en… 18 minutes ! La présence devant juge étant obligatoire, une très faible proportion (3 %) des couples ont recours à la médiation, surtout que le système français n’offre pas d’heures de consultation gratuites. Contrairement à la tendance québécoise, les juges français voient donc une augmentation du nombre de cas traités par année. Un juge québécois traite en moyenne 170 cas par année, un juge français… 885 !

Dans l’ensemble, les auteures retiennent deux éléments importants. Premièrement, au Québec, la réussite d’un règlement à l’amiable a un lien direct avec la classe sociale des couples en instance de divorce. Les divorces à l’amiable sont principalement réalisés par les couples de la classe moyenne. À l’opposé, les divorces de couples plus riches ou plus pauvres sont plus susceptibles de se rendre devant juge pour cause de mésentente. Deuxièmement, la baisse du nombre de cas devant juge permet à ceux-ci de développer une expertise pour les cas problématiques, ce qui n’est pas le cas des juges français débordés.

Vie privée : dire ou ne pas dire ?

Alors que les cas de divorces sont de moins en moins sujets à règlement devant juge, le rôle des avocats québécois est devenu plus grand. Ceux-ci encouragent leurs clients à favoriser le règlement à l’amiable pour éviter les frais judiciaires, mais également pour éviter que la vie privée du couple ne soit exposée en cour et que des disputes familiales s’ensuivent.

« Parfois, nous favorisons l’entente hors cour pour éviter que certaines familles n’explosent »

Au Québec, lorsque les tentatives de règlement hors cour échouent, les avocats agissent plutôt comme un filtre. Ils conseillent leurs clients quant aux informations à révéler au juge, puisque le dévoilement de la vie privée peut entrainer de fortes conséquences émotionnelles chez les clients, surtout lorsqu’ils sont appelés à témoigner. Ce rôle de filtre est d’autant plus important lorsqu’il s’agit d’un cas où des enfants peuvent être victimes de négligence ou d’abus, ou lorsque l’un des époux a des problèmes de consommation. Le juge, lui, a plutôt comme rôle de s’assurer que les avocats n’étalent pas inutilement la vie privée des parties.

En France, les choses se déroulent différemment. Les époux ne témoignent pas oralement, mais par le biais de dépositions écrites. Les avocats n’ont donc pas une aussi grande implication en cour où le juge mène le bal de A à Z. Ce dernier joue un rôle beaucoup plus actif qu’au Québec puisqu’il prend connaissance des dépositions et rend son jugement sans faire intervenir les époux.

Le Québec à l’avant-garde

Bien que les systèmes de justice québécois et français découlent tous deux du Code civil, les procédures entourant le divorce sont nettement différentes. L’évolution qu’a connue le Québec diverge beaucoup de celle de la France. Le Québec a réussi à éviter un engorgement des salles d’audience comme c’est le cas de l’autre côté de l’Atlantique. Le Québec semble donc être à l’avant-garde. Cette avant-garde se traduira-t-elle dans une redéfinition des lois entourant l’union de fait ? C’est ce que plusieurs spécialistes souhaitent.