À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation est tiré du chapitre de Laura Anson Perez, « La transmission d’objets et le partage de leur signification symbolique », publié dans le livre Les rapports intergénérationnels dans la migration : de la transmission au changement social dirigé par Michèle Vatz Laaroussi, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2015, p. 121-130.

  • Faits saillants

  • Lorsqu’elles quittent soudainement leur pays natal, les femmes emportent avec elles des objets choisis avec le cœur plutôt qu’avec la tête ».
  • Ces objets permettent d’apaiser le voyage turbulent qu’est la migration.
  • La symbolique de l’objet a plus de valeur que l’objet lui-même.
  • La symbolique de l’objet évolue au fil des transmissions. La fille et la petite fille n’attribueront pas la même signification à l’objet que la femme de première génération.

« Qu’est-ce que tu voudrais apporter sur une île déserte? » C’est une question amusante à laquelle nous avons tous et toutes répondu lors de moments légers entre amis. Mais c’est également le genre de questions que se posent les femmes qui fuient leur pays à la hâte. Des objets sont choisis parmi tant d’autres. Des objets porteurs de sens. Lequel? Quelle signification celles qui fuient attribuent-elles à ces objets? Quel est leur rôle dans le grand voyage qu’est la migration? Les réponses à ces questions deviennent encore plus complexes lorsque vient le temps de transmettre ces objets de génération en génération. Qu’est-ce qui est transmis? Beaucoup plus qu’un simple objet.

Pour mieux comprendre le phénomène, Laura Anson Perez, chargée de cours à la maîtrise en médiation culturelle à l’Université de Sherbrooke, s’est entretenu avec 25 trios (grand-mère, mère, fille) de femmes immigrantes. Originaires d’Europe de l’Est, d’Afrique ou d’Amérique latine, ces familles sont installées dans les régions de Montréal, Joliette et Sherbrooke depuis moins de 15 ans. Les entretiens ont été menés individuellement, avec chaque membre du trio, puis avec la triade complète. L’auteure constate que ce sont des valeurs, des souvenirs et des symboles qui sont transmis de mère en fille, et non de simples objets, et que ces objets adoucissent souvent la grande traversée.

 Des objets chargés de signification

Les femmes de la première génération ont choisi d’emporter avec elles différents types d’objets : pour certaines, des photos; pour d’autres, des bijoux, une machine à coudre, une bible ou une image de la Vierge du Carmen. Le dénominateur commun?  « Ces objets sont choisis avec le cœur plutôt qu’avec la tête ».

Ces objets sont, en effet, empreints d’une signification bien précise aux yeux de ces femmes. Certaines y voient un souvenir du pays d’origine et de sa culture. D’autres y associent plutôt la mémoire d’un être cher qu’elles ne veulent pas oublier. Dans tous les cas, ce n’est pas la valeur matérielle de l’objet qui compte, mais bien sa valeur symbolique.

Du réconfort pendant le long voyage

Pour plusieurs des femmes rencontrées, ces objets leur permettent de mieux traverser la période que l’auteure nomme « entre l’ici et l’ailleurs ». Ces objets allègent le sentiment d’incertitude qui anime l’expérience migratoire de ces femmes; elles se sentent dépossédées de leurs repères et doivent tout réapprendre dans un nouveau contexte culturel. Selon les auteures, c’est un peu comme si ces femmes devaient traverser une nouvelle enfance. Cette renaissance peut donc être apaisée par la présence de ces objets, symboles du connu, en apportant un réconfort.

« Ainsi, il semblerait que certains objets pourraient représenter ‘l’aire intermédiaire d’expérience’ […]. Ce sont des objets qui permettent de créer un espace imaginaire dans lequel les femmes vont créer une ‘réalité’ moins angoissante, même parfois idyllique. »

Transmission ou héritage?

Lorsque ces objets passent de mère en fille, on parlera alors de transmission plutôt que d’héritage Ce n’est pas l’objet lui-même qui est légué, mais bien un symbole, une signification ou des valeurs. Par exemple, pour une des répondantes de la première génération, c’est une partie de l’histoire de sa vie qui est transmise à travers un objet. « La valeur symbolique empiète sur l’objet en tant que tel », observe l’auteure. Comme l’écrivait Antoine de Saint-Exupéry, « l’essentiel est invisible pour les yeux ».

Cet héritage symbolique sera transmis d’une génération à l’autre, et la signification de l’objet évoluera au fil du temps: « les femmes personnalisent l’objet en voulant transmettre des caractéristiques de la personne à qui il appartenait. » Ainsi, une fois entre les mains de la fille, l’objet portera non seulement l’histoire de la grand-mère, mais aussi celle de la mère. Comme l’explique l’auteure, « chaque femme interprète et donne une signification particulière à l’objet hérité. »

Et chez les hommes?

Les femmes qui quittent soudainement leur pays dans un contexte de guerre ou de persécution emportent avec elles divers objets empreints de signification. Ces objets sont différents, tout comme leur signification. Souvent, ils apportent réconfort dans la difficile épopée qu’est la migration. De génération en génération de femmes, la symbolique des objets évolue et s’enrichit. Les objets transmis de mère en fille sont associés à de plus en plus de souvenirs et de symboles à mesure qu’ils passent de mains en mains. Ce phénomène est-il propre aux triades de femmes immigrantes? Qu’en est-il de la transmission de valeurs et de symboles chez les hommes?  Observerait-on le même phénomène?