À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume le mémoire d’Isabelle Magnan, «Être parent d’un fils adulte détenu : conséquences et soutien social», publié en 2011 à l’Université du Québec à Chicoutimi, Département de travail social.

  • Faits saillants

  • Les parents sont profondément affectés par l’incarcération de leur enfant, tant psychologiquement que physiquement. Leurs vies personnelles et professionnelles sont affectées.
  • Dans certains cas, face à cette épreuve, les membres d’une même famille deviennent plus solidaires et se soutiennent mutuellement.
  • Dans d’autres cas, le sujet est difficile à aborder et crée des tensions, surtout lorsque le détenu a déjà un passé turbulent. Certains parents se disent même soulagés par l’emprisonnement de leur fils.

Voir son enfant être en prison, quel que soit son âge, est un grand choc dans la vie d’un parent. Malgré l’importance reconnue du rôle de soutien joué par la famille dans une telle situation, peu d’études se sont penchées sur l’expérience personnelle des proches qui, à de nombreux égards, partagent les conséquences de la sentence.

L’auteure de cette recherche de maîtrise a rencontré dix parents (3 hommes et 7 femmes) d’hommes majeurs (entre 19 et 43 ans) incarcérés depuis au moins deux mois afin de comprendre les répercussions d’une peine de prison sur la vie des familles des détenus.

Le mémoire poursuit trois objectifs, soit de comprendre 1) comment l’incarcération change la vie des parents; 2) les manières dont les parents soutiennent leur enfant durant et après sa condamnation; et 3) quelles ressources les parents utilisent afin d’être eux-mêmes mieux accompagnés durant cette épreuve.

En état de choc

Dès l’annonce de l’arrestation, c’est le choc. La plupart des participants témoignent d’effets psychologiques, mais aussi physiques.

« J’étais malade, je vomissais tous les jours. Ah ! C’était moral, physique… Viscéral ! » (Caroline)

Les parents se sentent tristes, désemparés et parfois coupables. Cette détresse émotionnelle peut aller jusqu’à la manifestation de symptômes dépressifs.

« Ils appellent ça inadaptation au travail, les docteurs, sur le papier. […] Trop de chagrin, insomnie dans la nuit. Ça ne fait pas vraiment longtemps que ça s’est apaisé un peu. » (Anaïs)

Si le fils n’en est pas à sa première incarcération, les troubles ressentis sont atténués. Certains parents ressentent une forte déception envers leur enfant, mais les expériences passées leur permettent de rester plus calmes.

Solidarités familiales

Les parents interrogés décrivent deux cas de figures : le rejet du membre incarcéré de la fratrie ou, au contraire, le resserrement des liens familiaux.

« Ce que je trouve le plus dur, c’est avec ses frères… Je ne peux pas en parler. […] parce que je ne veux pas de chicane, je me tais. » (Élyse)

Les réactions négatives semblent se produire plus souvent lorsque le détenu est un récidiviste ayant déjà un long historique derrière lui, ou lorsque son crime est d’une nature particulièrement choquante (dans le cas d’une agression sexuelle, par exemple).

« Il [le frère du détenu] m’a dit qu’il ne prenait pas un hostie de drogué pour être le parrain de son fils […] Ça, ça fait mal là ! » (Élyse)

« Parce que tu as un fils qui décède, tu vas en parler, ils vont dire… pauvre toi, c’est ton fils… […] tandis que moi, ils ne peuvent pas sympathiser avec moi là-dessus. C’est sûr qu’en attaquant une petite fille comme ça, mettons que le monde, ils ne sont pas friands de lui, hein. » (Hélène)

À l’inverse, certaines familles se rapprochent pour affronter l’épreuve ensemble et ainsi se soutenir mutuellement.

« Bien, il me semble qu’on est plus proche, mes frères, mes sœurs […] Depuis qu’il est incarcéré, on dirait qu’on s’est rapprochés. C’est positif quand même. » (Hélène)

Concilier emploi et soutien

L’incarcération du fils a eu de fortes conséquences sur la vie professionnelle de la plupart des participants. Plusieurs ont eu des difficultés à concilier leur emploi et le soutien qu’ils souhaitent apporter à leur enfant. Certains se sont sentis incapables de poursuivre leurs activités, d’autres soupçonnent leur employeur de les avoir renvoyés à cause de ces évènements. Dans tous les cas, leur travail en prend souvent un coup.

« Même une fois, j’ai eu un doute quand je me suis fait « clairer » de ma job parce que mon garçon avait passé dans le journal et mon boss avait vu ça. […] c’est peut-être à cause de lui que j’ai perdu ma job et… je ne lui en ai pas voulu directement sauf que… » (Denis)

« Comme vendredi, j’ai manqué un chiffre pour y aller! Bien, un chiffre, c’est 100 quelques dollars clairs. Et je me disais… je lui ai dit que j’irais et quand je dis quelque chose, je le fais. » (Élyse)

Le soulagement

Malgré les difficultés, certains parents se disent soulagés de savoir leur fils en prison. Ils préfèrent le savoir dans un environnement contrôlé que d’être constamment anxieux devant une situation précaire et potentiellement dangereuse. Les relations entre parent et enfant sont parfois difficiles, marquées par la manipulation. Certains deviennent violents envers leurs parents. La détention est alors perçue comme une période de répit.

« Et là je peux vous dire… je vais vous dire la franche vérité… quand il est incarcéré là, j’ai la paix, vous comprenez ? […] Je vais être honnête… je vais passer des belles vacances. […] Moi, ma réaction, ça l’a été ça… je vais avoir la paix un bout de temps. » (Irène)

Soutenir son enfant

Les parents des détenus expriment tous à quel point il est important pour eux de montrer leur présence, leur soutien et leur amour à leur fils, malgré le délit commis. Ils maintiennent le contact par courrier, téléphone et des visites régulières, pour ceux qui le peuvent. La plupart assistent aux comparutions à la Cour.

« […] je lui fais des petites lettres des fois encourageantes, avec des petits collants… et mon petit parfum pour la lettre… pour faire voir que je suis là. » (Anaïs)

Les parents aident aussi leur fils en lui apportant des effets personnels, des livres, ou en contribuant à ses dépenses quotidiennes. Dans la plupart des cas, les parents ont de la difficulté à assumer ces coûts supplémentaires, ce qu’ils font souvent au détriment de leurs propres besoins.

« Si vous saviez comment ça coûte cher. […] Je travaille et mes paies vont à lui… au moins le quart de ma paie va à lui. » (Guylaine)

Partager l’expérience

Malgré le soutien émotionnel qu’ils peuvent recevoir de leur entourage, plusieurs parents ressentent le besoin de parler avec des personnes qui ont affronté les mêmes défis.

« Et ma grande amie, bien, elle m’écoute… elle est passée par le même bout alors elle me comprend. […] Elle, son fils est allé à la maison de thérapie et aujourd’hui, il s’est repris en main, et ça va super bien, et il travaille… Elle me comprend. » (Élyse)

L’auteure souligne l’intérêt de créer des groupes de soutien pour parents de détenus, qui permettent d’échanger des conseils et de partager ses peines et ses victoires.

Organiser la réinsertion

Inquiets pour l’avenir de leurs enfants, les parents souhaitent que plus de programmes de soutien à la réinsertion professionnelle soient disponibles. Par exemple, deux pères mentionnent que leur fils allait sortir de prison, selon eux, sans aucun acquis supplémentaire.

Les parents dénoncent également le manque d’informations sur la situation de leur fils, notamment sur les procédures judiciaires et les processus de réhabilitation sociale. Dans le cas d’une première incarcération, les parents se retrouvent face à un univers totalement inconnu. Ils ne savent pas nécessairement à qui se référer. Les conseillers en milieu carcéral ne peuvent pas divulguer d’informations confidentielles (l’enfant est majeur). Il devient alors difficile pour ces parents de s’engager comme ils le souhaiteraient dans la vie de leur fils. Ce manque d’emprise sur la situation a tendance à augmenter leurs inquiétudes.

Prendre en compte les besoins des parents

L’incarcération d’un individu a un lourd impact sur la vie de ses parents, tel que le décrit cette étude. Leur santé, leurs relations familiales et professionnelles, ainsi que leur organisation quotidienne, sont profondément affectées.

Cette recherche fait émerger un besoin crucial de soutien émotionnel pour ces parents qui peuvent se sentir isolés et jugés par leur famille ou leurs collègues. Apprendre à aider un proche en situation difficile demande beaucoup d’adaptations et de résilience. Certains ont exprimé le désir de rencontrer d’autres parents de détenus, pour se sentir mieux entourés et s’échanger des conseils. Ils souhaiteraient aussi que l’information sur les procédures judiciaires soit plus accessible.

D’après la chercheure, il serait pertinent de prolonger cette étude jusqu’à la période de réinsertion des détenus. On a pu voir que les parents sont particulièrement angoissés par la sortie de prison de leur enfant. Ils se demandent si leur fils sera capable de repartir du bon pied et ne savent pas toujours comment l’y aider. Une étude sur le processus de réinsertion sociale des détenus, du point de vue de leurs parents, permettrait d’en savoir plus sur les enjeux du système pénal contemporain.