À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Karène Proulx-Boucher, Mylène Fernet, Martin Blais et al., « Stigma Management Trajectories in Youth with Perinatally Acquired HIV and Their Families: A Qualitative Perspective », publié en 2017 dans AIDS Behav. vol. 21, no 9, p. 2682-2692.

  • Faits saillants

  • En raison du silence et des cachoteries entretenues par leur famille, les jeunes nés avec le VIH développent des idées préconçues au sujet de leur maladie.
  • Certaines mères et leur enfant développent une forme de complicité à travers le VIH, maladie qu’ils partagent.
  • Plusieurs jeunes atteints du VIH qui évoluent dans un environnement difficile - parents décédés, hébergements en familles d’accueil - s’isolent et gardent le silence au sujet de leur maladie, faute d’un soutien adapté à leur réalité.

« J’essaie de parler à ma grand-mère. […] J’essaie de lui dire gentiment que quelque chose ne va pas, mais quand je lui parle, elle s’énerve. Elle ne comprend pas que j’essaie de lui parler. C’est difficile de parler à quelqu’un qui ne veut rien à voir avec ça. » Pricilly, 17 ans, est née avec le VIH. Sa maladie pèse sur ses épaules, d’autant plus qu’elle n’a pas l’oreille de ses proches pour l’écouter. Elle se sent seule et incomprise. La famille joue un rôle central dans la perception que les jeunes nés avec le VIH ont de leur maladie. Si des liens familiaux plus forts entraînent une plus grande solidarité, l’inverse mène plutôt à un grand sentiment de solitude.

Une équipe de dix chercheurs du département de sexologie de l’UQAM, du Centre maternel et infantile sur le SIDA de Sainte-Justine et de l’École de service social de l’Université Laval s’intéressent aux enfants nés avec le VIH. Ils se questionnent sur l’impact de la famille, des secrets et du silence sur la façon que les jeunes vivent avec leur maladie. Ils ont rencontré 18 jeunes âgés de 13 à 22 ans, recrutés à leur clinique de traitement pédiatrique du VIH. La majorité d’entre eux vivent avec au moins un parent biologique à la maison, et la moitié a perdu au moins un parent touché par le SIDA.

Quelque chose qui cloche…

Sentiment de non-dits, de traitements différents, de tabous : les jeunes qui vivent avec le VIH s’imprègnent tranquillement d’idées préconçues. Plusieurs parents choisissent de cacher la maladie : beaucoup de jeunes ignorent donc qu’ils sont atteints du VIH. Pourtant, ils peuvent remarquer que quelque chose cloche. Ils prennent des médicaments régulièrement, font plusieurs suivis chez le médecin, certains sont plus fragiles et souvent malades… Quelques-uns sentent qu’on ne leur dit pas tout. L’idée de révéler la maladie préoccupe certains parents : ils craignent la colère, les blâmes et les questions sur la façon dont ils ont contracté la maladie.
Vient ensuite la grande annonce, vers l’âge de 11 ans en moyenne : les enfants apprennent qu’ils sont atteints du VIH. Pour plusieurs, les souvenirs de cette révélation sont flous. Certains décrivent de la tristesse, de la peur, de l’inquiétude ou encore de la colère. Pour d’autres, c’est enfin le moment de mettre un nom sur les symptômes qu’ils subissent depuis leur plus jeune âge.

« Je dirais que ça va de mieux en mieux. Auparavant, ça n’allait pas très bien avec ma mère. »

– Cassandra, 18 ans

Que se passe-t-il ensuite? À ce stade, plusieurs jeunes ont déjà assimilé les fameux préjugés qui entourent la maladie. Deux chemins complètement différents se dessinent alors, l’un qui mène vers la complicité et l’autre, vers la solitude. Les chercheurs remarquent que l’environnement familial pèse beaucoup sur la façon dont les adolescents séropositifs répondent aux stigmates entourant leur maladie.

Les deux dans le même bateau

Plusieurs jeunes voient leurs liens familiaux renforcés à la suite de l’annonce de leur maladie. Ils vivent en majorité avec au moins un membre de leur famille immédiate ou élargie. Au cœur de ces liens : la stabilité de l’environnement familial et la liberté que leur accordent leurs proches, même si cela entre en concurrence avec leurs valeurs.

« Elle a grandi à Haïti et moi, au Canada. Parfois, elle fait un effort pour comprendre la mentalité ici au Canada. Je remarque que plus je vieillis, plus elle me donne de la liberté. »

– Bianca, 17 ans

Qui dit VIH infantile dit souvent parent séropositif. Lorsque la relation familiale est solide, le jeune sent qu’il peut avoir une discussion franche. Plusieurs adolescentes notamment sentent qu’elles peuvent développer une plus grande complicité avec leur mère, comme si leur maladie commune est un peu leur petit secret.

« Parfois, on va prendre notre médication ensemble. Parfois, on discute. Comme on prend la même médication, ça crée une sorte de complicité. »

– Cindy, 17 ans

Les enfants qui entretiennent un support mutuel avec leur famille apprivoisent plus facilement le VIH, et luttent de façon positive contre ses conséquences. Ils se sentent moins seuls et isolés grâce à cette expérience commune.

« Elle me regarde prendre ma médication autant que je la regarde prendre la sienne. On les prend ensemble (rires). Et voilà, on cuisine ensemble, on fait tout ensemble. »

– Marie, 19 ans

Naviguer en eaux troubles

S’ils doivent déjà composer avec les conséquences de leur maladie, les adolescents séropositifs peuvent vivre d’autres drames qui les amènent dans une tout autre direction. Plusieurs perdent un parent atteint du SIDA, d’autres vivent en famille d’accueil ou en centre jeunesse. D’autres encore ressentent un profond sentiment d’injustice face à la maladie transmise par leur parent.

« Je ne lui parle plus. À ma mère. C’est fini avec elle. Nous [Katarina et sa sœur] avons coupé les ponts avec ma mère [à cause de sa consommation] »

– Katarina, 16 ans)

Pour ceux-là, les liens familiaux ont plutôt tendance à se flétrir, ou à disparaître. Ils ressentent alors une plus grande solitude. Ils s’imposent le silence et s’isolent, ou se sentent incompris, ne sachant pas vers qui se tourner pour parler de leur maladie.

« Je vis dans une famille d’accueil. […] Tu ne te sens jamais à la maison. Ce n’est pas plaisant. Et quand tu prends ta médication et que tout le monde te dit :  » Tu dois prendre tes médicaments  », ça m’ennuie. »

– Katarina, 16 ans

Dans certaines familles, ce sont plutôt les proches qui refusent de parler ouvertement de la maladie, renforçant les traumatismes déjà associés au VIH.

« Si je parle du [VIH] avec ma mère, elle dirait quelque chose du genre : « Oh! Pourquoi tu parles toujours de ça? » Ça l’agace beaucoup, parce qu’elle ne veut pas en entre parler. Elle ne veut pas entendre le mot. […] Elle dit :  » Je m’en suis occupée, je m’en suis débarrassée, c’est parti.  » Oh, mais c’est toujours là! »

– Lilo, 18 ans

Les adolescents qui ont un parcours plus solitaire trouvent souvent que le soutien qu’ils reçoivent tourne autour de leurs traitements, une situation qui ne répond clairement pas à leurs besoins. L’impression d’abandon se faire ressentir, et plusieurs disent préférer gérer la maladie de leur propre chef.

De l’aide pour garder le cap

Comment faire pour soutenir convenablement les jeunes souffrant du VIH et leur famille? Transformer le silence en dialogue pourrait les aider, croient les chercheurs. Pour ce faire, ils proposent que les soignants rencontrent aussi bien les familles que les jeunes pour leur traitement, afin de développer la communication. Éduquer les familles au sujet de la maladie permettrait aussi de réduire les stigmates autour du VIH. Reconnaître les signes d’une famille hostile ou des non-dits pourrait fournir en amont le soutien nécessaire à ces jeunes. Le CHU Sainte-Justine a fait un premier pas dans cette direction en 2018, en créant le premier centre d’infectiologie qui rassemble aussi bien les spécialistes du VIH qui traitent la mère que l’enfant. Finalement, et si la maladie était plus souvent abordée dans l’espace public, comme à la télévision ou sur le web? Voir des modèles positifs de personnes dans la même situation améliorerait peut-être l’estime de soi de ces adolescents.