À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Sophie Doucet et Line Chamberland, « Relations familiales et non-binarité : parcours de vie de jeunes adultes non binaires au Québec », publié en 2020 dans Enfances Familles Générations, n° 35.

  • Faits saillants

  • Les jeunes adultes non binaires vont se former une famille choisie pour combler le manque de soutien de la part de leur famille d’origine, qui fait parfois preuve d’incompréhension ou de jugement face à la non-binarité.
  • La longévité des amitiés, la distance physique avec la famille d’origine et le désir d’aider les autres sont des facteurs qui entrent en ligne de compte pour les jeunes adultes non binaires qui choisissent de se fonder une famille choisie.
  • La famille d’origine apporte du soutien matériel aux jeunes non binaires, alors que la famille choisie leur offre surtout du soutien émotionnel.

« Quand j’ai dit à mes parents que j’étais non binaire, ils n’ont pas compris. Je ne pense pas que c’est quelque chose qu’ils étaient prêts à entendre, à accepter », explique Noé. Son cas n’est pas isolé : plusieurs jeunes non binaires se heurtent à l’incompréhension de leurs parents au moment de leur coming out. Vers qui se tourner pour obtenir du soutien dans un tel contexte ? La famille choisie, souvent composée d’amis de longue date, leur offre le soutien émotionnel qui fait parfois défaut dans leur famille d’origine, et les aide à accepter pleinement leur identité. 

Dans le cadre d’une étude exploratoire, Sophie Doucet et Line Chamberland, du Département de sexologie de l’UQAM, interrogent 10 jeunes adultes montréalais âgés de 20 à 29 ans qui s’identifient comme non binaires. Leur objectif ? Comprendre l’évolution des relations familiales des jeunes adultes ayant une orientation sexuelle ou une identité de genre non binaire. En tout, sept personnes participantes ont une orientation sexuelle non binaire[1] (ex. : queer, pansexuel.l.e) et neuf expriment une identité de genre non binaire (ex. : queer, au genre fluide).  Bien que le nombre de personnes interrogées soit limité, cette recherche exploratoire permet de comprendre le vécu d’une partie de la population très peu étudiée. 

Choisir une famille pour combler le rejet de l’autre

Incompréhension, jugement et absence de soutien de la part des parents : c’est ce que traversent bien des jeunes adultes non binaires à la suite de leur coming out. Soit leur famille d’origine tolère tout juste leur identité, soit elle entretient des préjugés envers la diversité sexuelle et de genre, ou tient carrément des propos homophobes ou transphobes. Par exemple, certains parents demandent à leur enfant de ne pas s’afficher ouvertement et vont même jusqu’à dire qu’ils ne voudraient pas d’un enfant trans. Une participante explique que sa mère ne sait pas qu’elle est pansexuelle, mais que le fait qu’elle soit en couple avec une femme a terni sa relation avec elle.  

« J’ai su par après que ma mère a eu beaucoup de misère quand j’ai apporté [ma blonde], au premier party de famille. […] Quand je suis arrivée là-bas avec ma blonde, c’était tout un saut. Je l’ai su par après, parce que j’étais pas au courant, mais supposément, elle est allée pleurer et sa famille est allée la consoler. Parce qu’elle avait tellement honte de moi. » (Marianne, 23 ans, femme pansexuelle)

Face au manque d’ouverture de leurs parents, plusieurs se tournent donc vers leur famille choisie pour obtenir soutien et compréhension. Comme elle est beaucoup plus ouverte à la diversité sexuelle et de genre que la famille d’origine, elle offre une épaule sur laquelle se reposer et une présence sur laquelle compter en cas de besoin (problèmes de santé mentale, ruptures amoureuses, difficultés avec la famille d’origine, etc.). 

« Des fois, ç’a été de me faire à manger quand je ne suis pas capable, d’autres fois de parler avec moi au téléphone pendant que je fais une crise suicidaire. […] Les personnes dont je suis proche, au moins je peux leur parler de ces affaires-là et ils vont comprendre. » (B1, 24 ans, personne non binaire trans masculine et queer)

La famille choisie, source de soutien et d’ancrage 

Une parenté lointaine ne vaut pas un voisinage proche : certains jeunes adultes ayant migré au Québec, éloignés de leur famille restée au pays, fondent une famille choisie pour partager avec elle un parcours semblable au leur. Ces amitiés de longue date qui perdurent en dépit de nombreux changements s’apparentent donc à des relations familiales.

« Ça s’est renforcé progressivement. On était très proches déjà et au fur et à mesure des épreuves qui nous arrivent, on est là et puis, au bout d’un moment, on se dit les choses : ‘Ah, mais je suis ta famille en fait, et tu es ma famille’. Maintenant, on essaie de se le dire le plus souvent possible parce que ça compte vraiment pour nous et c’est important de le faire savoir, qu’on est toujours là. » (Frédérique, 28 ans, non binaire et queer)

« Être là pour les autres » : cette dimension humaine est aussi au cœur de leur choix. Filomena, une personne genderfluid et lesbienne d’origine autochtone d’Amérique du Sud, explique qu’elle souhaite être présente pour sa famille choisie, composée d’autres personnes racisées de la diversité sexuelle et qui n’ont pas une bonne relation avec leur propre famille.

Parents et fratrie : un soutien (in)conditonnel ?

La famille d’origine est-elle absente pour autant ? Pas exactement. Même si leur soutien émotionnel se fait rare, les parents offrent généralement une aide matérielle non négligeable (ex. : paiement des frais de scolarité, prêt d’outils, aide lors d’un déménagement, etc.). Cependant, cet appui n’est pas inconditionnel et peut être réduit après le coming out.  

« Depuis mon coming out, j’essaie moins [d’avoir de l’aide de mes parents]. […] C’est vraiment comme [si mon coming out] a été un peu le [virage]… Ça m’a forcée à devenir autonome dans un sens. Je vais être plus hésitante avant de leur demander de l’aide. » (Charly, 23 ans, non binaire et queer)

Et la fratrie dans tout ça ? Elle peut agir comme alliée, que ce soit en prenant la défense du jeune face aux parents, en tentant de les convaincre d’accepter les personnes non binaires ou en jouant l’intermédiaire entre les deux parties.

Parents sensibilisés, jeunes accompagnés 

Peu importe la qualité de la relation avec leurs parents, les jeunes adultes non binaires se forment une famille choisie pour diverses raisons, notamment pour se sentir compris.e.s et pour soutenir leurs pairs. Elle joue un rôle clé dans le développement de leur identité, puisqu’elle les encourage à se questionner et à aller de l’avant dans leur cheminement identitaire. 

La plupart des personnes interrogées affirment que leur famille d’origine ne comprend pas ou n’accepte pas totalement leur identité non binaire. Bien qu’il existe des ressources éducatives à l’intention des établissements d’enseignement et des milieux de travail, encore très peu de ressources sont dédiées aux parents d’enfants trans et non binaires. Pour mieux les préparer à comprendre et accompagner leur enfant, d’autres initiatives comme Jeunes identités créatives gagneraient à être développées. 


[1] Une orientation sexuelle non binaire exclut les personnes hétérosexuelles, homosexuelles, bisexuelles. Il peut s’agir de personnes queer ou pansexuelles, par exemple.