À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Janet E. Rennick, Isabelle St-Sauveur, Alyssa M. Knox et Margaret Ruddy, « Exploring the Experiences of Parent Caregivers of Children with Chronic Medical Complexity during Pediatric Intensive Care Unit Hospitalization: An Interpretive Descriptive Study », publié en 2019 dans BMC Pediatrics, vol. 19, n°1, p. 272-282.

  • Faits saillants

  • Certains enfants avec une santé critique demeurent à la maison entre les hospitalisations, mais ont besoin de soins 24h/24 : les parents se transforment en spécialistes-soignants.
  • À chaque hospitalisation, les parents d’enfants aux prises avec d’importants problèmes de santé doivent ajuster leurs attentes, besoins et implication face à la nouvelle équipe médicale en place.
  • Les parents identifient quatre préoccupations dans leurs relations avec les équipes soignantes : la confrontation des expertises, la reconnaissance de leur rôle, leurs limites et la création d’un lien de confiance avec les professionnels de la santé.

Imaginez que vous ayez un enfant avec une condition médicale complexe. Depuis son plus jeune âge, vous faites des allers-retours aux soins intensifs pédiatriques. Une fois que son état est stable et qu’il retourne à la maison, vous devenez le médecin de votre enfant ! Cette description correspond au quotidien de nombreux parents qui vivent avec une inquiétude constante, apprennent à prodiguer des soins médicaux et doivent faire valoir leur utilité auprès des équipes médicales. Certes, ils sont en quelque sorte les experts de leur enfant, mais cela s’accompagne de quelques défis.

Quatre chercheures[1] de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé de McGill se questionnent sur l’expérience de ces parents pendant la période d’hospitalisation de leurs petits. L’objectif : comprendre la dynamique parent/équipe médicale. Pour ce faire, les chercheures réalisent une série d’entrevues avec 17 parents, connus de l’hôpital depuis au moins un an et ayant un enfant hospitalisé au moment de l’entrevue. Force est de constater que les parents se retrouvent souvent dans une position délicate, quelque part entre le statut d’expert et de simple parent. 

Parmi l’ensemble des préoccupations parentales, certaines ressortent à tel point du lot qu’elles influencent grandement la qualité des soins et du séjour à l’hôpital. Les parents estiment ainsi être les experts de leur enfant; par conséquent, ils confrontent leur expertise avec celles des médecins. En dépit de leurs connaissances, leur importance peine parfois à être reconnue par l’équipe médicale et le milieu hospitalier. Et comme tout engagement, celui-ci nécessite des limites claires et des réponses concrètes. 

De parent à « expert », une transition pas toujours évidente

Être parent d’un enfant à la santé fragile, c’est développer des compétences parentales, empathiques, mais aussi médicales ! Parlez-en aux parents d’enfants en soins critiques, qui vous diront qu’ils développent une expertise particulière face aux besoins de leurs enfants. Certains doivent être nourris ou gavés, ou encore, assistés par un respirateur. Ces mesures, certes lourdes, sont indispensables aux enfants qui peuvent ainsi espérer vivre plus longtemps et déjouer les pronostics.

Le retour à la maison : passage obligé lorsque l’état de l’enfant se stabilise. Cette étape marque un changement dans la dynamique familiale, puisque les parents sont alors les « donneurs de soins » et s’approprient la routine médicale, jusqu’au prochain séjour à l’hôpital.

Le risque ? Voir leur charge mentale et émotionnelle s’alourdir au fil des hospitalisations. Mais ils sont prêts à y faire face, et ont même tendance à la diminuer et à la normaliser. Le parent s’efface peu à peu au profit de « l’expert ».

« On normalise. Les soins que nous donnons sont extrêmes. On se dit qu’on a déjà vu pire. Certains enfants ont des besoins encore plus grands, alors tu te dis que ce que tu vis ce n’est pas grand-chose. Mais ce n’est pas vrai. C’est énorme. » (Mère d’un enfant hospitalisé)

Experts de leur enfant

Le parent comme expert de son enfant, mais encore ? Loin de vouloir remplacer le corps médical, les parents veulent surtout agir comme « valeur ajoutée », et non être un fardeau ! Les soins qu’ils donnent, les besoins qu’ils comblent et cette compréhension toute particulière qu’ils ont de leur enfant rendent l’environnement familial plus sécuritaire. Reconnaître et traduire les expressions faciales de son enfant devient essentiel pour répondre à la bonne demande, au bon moment. Ils sont aussi les seuls à avoir un portrait global de la situation puisqu’ils connaissent l’historique médical. À leurs yeux, donc, rien de plus normal que l’on considère leur expertise comme complémentaire à celle de l’équipe médicale. 

Les grands esprits se rencontrent, les grandes frustrations aussi 

Parents et médecins, rivaux ou collaborateurs ? Le partage des connaissances mène à l’amélioration des soins, mais aussi à la confrontation si les avis divergent. Les parents ne baissent jamais leur garde, continuent de surveiller leur enfant et de veiller à son confort. La plupart du temps, ils restent à son chevet, en rappelant au personnel ses besoins particuliers. Quant à l’équipe médicale, elle a le même objectif bien sûr, mais elle omet parfois de consulter les parents pour des modifications de soins. Certains constatent aussi que les préférences de leur enfant ne sont pas prises en compte :

« On se fait souvent dire “C’est moi le professionnel, vous êtes seulement le parent”. Nous n’avons peut-être pas la formation professionnelle, mais nous faisons cela 2 à 3 fois par jour avec notre enfant .» (Père d’un enfant hospitalisé)

Comme dans bien des situations de conflit, la communication est le nerf de la guerre. Lorsque l’enfant change de secteur, d’équipe médicale et que les dossiers ne suivent pas, le manque d’échanges et de partage peut être frustrant pour les parents. Le travail d’équipe entre les services hospitaliers est généralement vu de façon positive et rassurante, mais certains remarquent que le roulement d’employés nuit grandement à l’uniformité des pratiques. 

Trouver l’équilibre entre implication et limites

Établir un lien de confiance entre le personnel médical et les parents prend du temps, et ceux-ci considèrent que leur présence et leur implication aident à sa création. En revanche, l’irritation est palpable chez plusieurs, car ils doivent établir leurs limites et leur rôle à chaque nouvelle hospitalisation et changement de personnel. 

« C’était un combat d’établir nos limites entre ce qu’on voulait faire et ce qu’ils nous permettaient de faire. » (Mère d’un enfant hospitalisé)

D’autres ont décidé de s’adapter aux exigences du personnel en mettant de côté leurs besoins, et la preuve de leurs aptitudes. Même si l’équipe ne prend pas soin de leur enfant exactement comme eux le feraient, ils adoptent une forme de lâcher-prise qui leur permet d’envisager un moment de répit. 

La relation de confiance ? Entre pouvoir et vouloir

En somme, les parents trouvent apaisant d’arriver en terrain familier. Ils aiment être connus de l’équipe médicale et surtout de l’infirmière attitrée à leur enfant, ce qui leur permet de construire une relation de confiance. Cette relation particulière avec l’infirmière est rassurante lors des rencontres d’équipe ou lorsque leur enfant reçoit des soins plus intrusifs. Les parents souhaitent que leur rôle et expertise soient reconnus dans cette collaboration avec le monde médical. Si l’hospitalisation peut agir comme répit momentané pour les parents, encore faut-il que ces derniers se sentent en confiance avec les personnes qui s’occupent de leur enfant. La confiance, le dialogue et l’écoute : tels sont les axes de travail sur lesquels chacun doit se concentrer.


[1] Janet E. Rennick, Isabelle St-Sauveur, Alyssa M. Knox et Margaret Ruddy