À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’essai de Marilyn Steinbach, Michèle Vatz-Laaroussi et Maryse Potvin, « Accueillir des jeunes réfugiés en région : la formation générale aux adultes comme alternative scolaire? », publié en 2015, dans Patrimoine et interculturalité, vol. 5, n° 2.

  • Faits saillants

  • Les besoins particuliers des élèves réfugiés sont plutôt méconnus : leur parcours chaotique, marqués notamment par les séparations familiales, peuvent entraîner certaines difficultés à l’école.
  • S’ils présentent un profil à risque, les jeunes réfugiés font néanmoins preuve de résilience et s’appuient sur les ressources à leur disposition pour atteindre leurs objectifs.
  • Ces jeunes apprécient particulièrement le suivi individualisé offert en centre d’éducation aux adultes. Ils peuvent reprendre leur formation à la base, selon leurs besoins particuliers et sans être stigmatisés.

Ils arrivent du Rwanda, du Bouthan ou de l’Afghanistan. La moitié des personnes réfugiées au Québec a moins de 24 ans. De plus en plus d’entre eux s’établissent maintenant en région; le gouvernement favorise leur établissement hors de la métropole depuis le début des années 1990. Les plus jeunes sont inscrits en classe d’accueil à l’école primaire ou secondaire; ils y apprennent, notamment, le français pour ensuite rejoindre une formation régulière. À partir de l’âge de 16 ans, ils peuvent entrer en formation générale aux adultes (FGA), dispensée dans les centres d’éducation des adultes (CEA).

Beaucoup de jeunes réfugiés affichent un grand retard scolaire, certains sont même considérés en « échec ». Leur parcours de vie chaotique est fait de multiples déplacements, traumatismes et séparations familiales qui affectent leurs capacités de concentration et d’apprentissage. Mais sont-ils pour autant des décrocheurs, qui n’ont plus le goût d’aller à l’école? Les outils dont ils disposent pour rattraper leur retard sont-ils adaptés à leur profil particulier?

À partir d’une étude menée auprès 21 CEA dans six commissions scolaires du Québec, les auteures ciblent, dans cet article, le cas des jeunes réfugiés qui fréquentent le CEA de Sherbrooke. Douze jeunes âgés de 16 à 24 ans, provenant d’Afrique, de Colombie et d’Afghanistan, racontent, en entrevue individuelle, leur expérience du programme de formation générale aux adultes. Les chercheures ont également rencontré dix intervenants de CEA, une intervenante d’Emploi-Québec et une directrice d’école secondaire. Ces derniers partagent leurs points de vue sur le parcours de ces jeunes adultes.

Des jeunes en échec scolaire?

Beaucoup de familles réfugiées ont dû se séparer à plusieurs reprises durant leur parcours et peuvent mettre des mois, voire des années, à se retrouver dans un même pays d’accueil. Ces familles, aux ressources limitées, connaissent peu de gens et ne parlent pas la langue locale. Les parents, déjà stressés par leur situation difficile, ont généralement du mal à comprendre les attentes du système éducatif et peinent à soutenir leurs enfants dans leur parcours scolaire.

Les jeunes réfugiés ont souvent fréquenté plusieurs systèmes scolaires, très différents les uns des autres. Certains, comme les jeunes Congolais et Bhoutanais, n’ont connu que l’école des camps de réfugiés : des classes de 200 élèves et des cours irréguliers dans des bâtiments insalubres.

Leur situation familiale, leur histoire et leurs difficultés particulières constituent autant de ralentisseurs dans leur trajectoire scolaire. À la formation générale aux adultes, ces jeunes auront donc à rattraper d’importants retards d’apprentissage.

Étudier en région

À Sherbrooke, le nombre d’immigrés a doublé entre 2000 et 2010, pour atteindre 7 % de la population totale, en 2012. Environ la moitié de ces familles immigrées à Sherbrooke étaient réfugiées.

Seulement un centre d’éducation offre les programmes de FGA. En 2010, le quart des étudiants du centre étaient d’origine étrangère et provenaient de Colombie, d’Afghanistan, d’Irak et d’Afrique centrale (Burundi, Rwanda, RDC). Les membres du personnel d’origine étrangère sont, eux, très peu nombreux. Ils ne connaissent pas toujours les difficultés spécifiques aux jeunes immigrants, particulièrement ceux ayant un parcours de réfugié.

D’après les auteures, en région, les intervenants en FGA ont souvent des approches pédagogiques « classiques ». Ils sont peu formés aux approches pédagogiques interactives, participatives et coopératives, comme le tutorat entre pairs, qui seraient les plus pertinentes et les plus appréciées des jeunes.

Un service personnalisé

Les programmes offerts en FGA offrent tout de même un accompagnement personnalisé, selon le profil et les besoins des étudiants.

Des intervenants aident les candidats à dresser leur profil d’orientation professionnelle. Les étudiants en difficulté sont orientés vers le service de soutien à l’apprentissage avant de pouvoir s’inscrire dans un programme de formation spécifique. Les intervenants rencontrés estiment que cet accompagnement permet aux jeunes adultes d’accéder à des parcours variés, qui correspondent mieux à leurs ambitions.

Le CEA de Sherbrooke propose dix programmes de FGA, adaptés à différents niveaux : cycles du secondaire, intégration sociale, préparation à la vie professionnelle… La majorité des étudiants étrangers est en programme de francisation, destiné aux adultes non francophones.

« Nous, en francisation, quand l’étudiant a terminé sa francisation, on connaît l’étudiant. On peut faire le suivi. […] on sait qu’ils ont telle problématique, telle difficulté d’apprentissage […] on les rencontre individuellement. Chaque étudiant a un tuteur. »

– Enseignant en francisation.

Des jeunes motivés

Les étudiants interrogés disent apprécier le fait que les parcours soient individualisés, qu’ils puissent progresser à leur rythme.

« En individualisé, c’est mieux. On va selon le rythme de chacun; ça retient personne. »

– P., Colombienne, 19 ans

« Je le vois bien maintenant (…) si tu veux réussir, tu as la clé, mais c’est toi, toi seule. »

– O., Colombienne, 18 ans

Plusieurs aimeraient avoir plus de soutien en langue française (plus d’enseignement magistral et un meilleur suivi de la part des enseignants). Le plus difficile pour eux semble être le français écrit.

« Le français, ça s’améliore pas mal, mais c’est quand même compliqué. Parler, c’est facile, mais écrire… Ouf! J’ai pas mal de difficultés, mais ça s’améliore. »

– A., Congolais, 18 ans

Un potentiel inexploité

Les auteures remarquent la résilience dont ces jeunes font preuve. Ils ont rarement l’occasion de parler de leurs difficultés familiales, économiques ou psychologiques, que ce soit avec les intervenants ou les autres étudiants d’origine québécoise. Avant d’arriver en CEA, la moitié des jeunes interrogés est passée par une classe de « cheminement particulier », destinée aux étudiants ayant d’importants troubles d’apprentissage. Ils sont convaincus qu’ils ont été mal évalués.

« Tu sais qu’en cheminement, les profs ne vont pas t’apprendre à faire grand-chose, à part faire des stages, couper du bois, faire un peu de français […] tu n’apprends absolument rien. »

– A., Congolais, 18 ans

Dans l’évaluation de leurs dossiers, on valorise peu leurs connaissances informelles, comme le fait de parler plusieurs langues. Ils souhaiteraient que leurs compétences soient mieux reconnues, d’abord à l’école, puis sur le marché de l’emploi.

Renverser le stéréotype

Les étudiants rencontrés voient le CEA comme une chance de se libérer du sentiment d’échec vécu à l’école. En FGA, ils ont la possibilité de reprendre leurs apprentissages à la base sans être stigmatisés.

Les témoignages rendent compte d’une autre réalité que celle qui est le plus souvent véhiculée. Les jeunes rencontrés ont un profil d’élève en difficulté ou à risque. Ils ont un parcours de vie souvent chaotique et peu de gens vers qui se tourner, puisque leurs familles ne parlent pas la langue locale et connaissent peu le fonctionnement du système scolaire québécois. Mais, non, ce ne sont pas des décrocheurs; ils font face à leurs difficultés et s’appuient sur les ressources du CEA pour avancer.

Les auteures suggèrent d’amener les intervenants en FGA à suivre les formations données à Montréal, pour mieux cerner les particularités des profils de leurs étudiants et adapter leurs approches pédagogiques. Elles recommandent aussi de décentrer les lieux de formation vers les villes moyennes comme Sherbrooke, où arrivent de plus en plus de jeunes réfugiés.