À propos de l'étude

Cette fiche résume l’étude de Myriam Simard, « Quand la famille pèse dans la balance… lors de la décision de venir vivre en milieu rural ou de le quitter », publié dans Enfances, Familles, Générations, no. 15, automne 2011, p.131-157.

  • Faits saillants

  • Les familles qui décident de quitter la ville pour déménager dans un milieu rural ne le font pas seulement par des raisons professionnelles ou financières.
  • Il y a des facteurs moins visibles qui pèsent aussi dans la balance.
  • Le type d’accueil du milieu, les facteurs reliés aux enfants et aux conjoint(e)s, des liens plus solidaires, l’origine rurale des individus et l’amour pour la nature sont aussi des motifs invoqués par les personnes interviewées.

Pourquoi décide-t-on de déménager à la campagne? De partir en région éloignée? Quels sont les facteurs qui incitent une famille à s’établir en milieu rural? À s’y ancrer ou, encore, à revenir en ville après quelques années? Les recherches menées par Myriam Simard depuis une vingtaine d’années permettent de mettre en lumière cinq grandes catégories de motifs invoqués par les familles : l’accueil du milieu, les facteurs reliés à la famille, des liens plus solidaires, l’origine rurale des individus et l’amour pour la nature.

Pour arriver à cette synthèse, la chercheure a compilé les résultats de plusieurs de ses études portant sur différentes populations vivant dans 14 régions du Québec (voir la carte ci-dessous) :

  • entrepreneurs agricoles d’origine européenne
  • travailleurs agricoles saisonniers
  • jeunes d’origine immigrantes ayant grandi en région
  • médecins pratiquant dans les régions éloignées
  • néo-ruraux : des personnes ayant quitté la ville pour s’établir à la campagne.

Un accueil chaleureux

Les facteurs professionnels et financiers sont les premiers mentionnés par les populations interrogées. L’importance du premier contact professionnel est un élément clé qui ressort des études sur les médecins et sur les entrepreneurs agricoles immigrants, en particulier si ce premier contact s’effectue lors d’un voyage exploratoire ou d’un séjour réalisé avec la ou le conjoint(e). Un accueil chaleureux, tant des collègues que de la population, apparaît comme l’un des éléments décisifs, car il permet d’avoir une idée éclairée et globale du milieu et d’éviter les mauvaises surprises.

L’exemple des médecins est évocateur. L’esprit d’entraide au sein de l’équipe médicale, la reconnaissance de leur expertise, la polyvalence et la qualité du travail médical en région, incluant le suivi personnalisé des patients, ainsi que de bonnes conditions d’emploi, sont des facteurs décisifs pour demeurer en milieu rural. De manière symétrique, lorsque les conditions de travail se détériorent – par exemple, quand la pénurie de médecins entraîne de longues et épuisantes heures de travail –, et mettent en péril l’équilibre entre la vie professionnelle, familiale et personnelle, cela devient déterminant dans les motifs de départ. Cette exigence « d’équilibre » est fondamentale pour ces médecins et traduit un nouveau rapport au travail de la jeune génération, à l’opposé des médecins de campagne d’antan qui travaillaient jour et nuit,  les 7 jours de la semaine.

Les facteurs financiers influencent aussi énormément le choix des travailleurs de s’établir en région, ou de la quitter. S’il y a adéquation entre la formation, les compétences et le salaire, les personnes seront généralement satisfaites de leur travail en milieu rural. Par contre, s’il y a déqualification d’emploi, bas salaire ou peu de chances d’avancement, elles auront tendance à quitter pour trouver de meilleures conditions ailleurs, principalement en ville. La garantie de pouvoir revenir librement en ville après un séjour régional serait donc un moyen efficace d’attirer davantage de travailleurs en milieu rural, notamment les médecins qui craignent parfois d’être « enfermés » dans une situation irréversible engendrée par d’éventuelles restrictions gouvernementales.

Mon conjoint, mes enfants, mes parents

Les facteurs reliés à la famille sont très importants dans la décision de rester ou non en milieu rural : la réalisation professionnelle des conjoint(e)s, la conciliation travail-famille, l’accueil, la qualité de l’éducation pour les enfants, de même que les possibilités de contacts avec les grands-parents, sont au cœur des préoccupations des migrants en milieu rural.

À ce titre, les différentes recherches démontrent que l’inactivité professionnelle est généralement mal supportée, notamment pour les conjoint(e)s qualifié(e)s, ce qui peut constituer un frein à un enracinement durable et un facteur décisif de départ. Les néo-ruraux contournent souvent les difficultés de trouver un emploi en démarrant leur propre entreprise, parfois avec leur conjoint(e) : ce travail autonome répond bien souvent à leur aspiration à un mode de vie où existe un équilibre entre l’épanouissement professionnel et les valeurs familiales.

La question de la conciliation travail-famille est aussi présente dans la décision de s’installer en région, en particulier chez les jeunes trentenaires, précisément lors de la constitution d’une famille. Ils veulent élever leurs enfants dans un milieu de vie sécuritaire et  ‘santé’ et pour avoir un rythme de vie moins effréné. Parfois aussi pour se rapprocher des grands-parents.

L’accueil et l’intégration socioculturelle des conjoint(e)s et des enfants sont importants pour ces familles, tout comme la qualité de l’école des enfants. Les médecins demeurés en régions éloignées après leur premier contrat soulignent généralement qu’un accueil personnalisé et un soutien spécial à long terme aux conjoint(e)s et aux enfants ont été cruciaux à la fois pour l’intégration et pour l’attachement de leur famille à la région. Les néo-ruraux affirment pour leur part que la qualité des liens sociaux pour leurs enfants, en milieu rural, est un facteur important de rétention de la famille, du moins jusqu’aux études secondaires ou postsecondaires. Quelques répondants – médecins et néo-ruraux – déplorent cependant un manque d’activités et de services culturels pour les familles dans l’espace rural. Certains envisagent de retourner en ville, souvent à Montréal, avec leurs enfants dès le secondaire afin de favoriser leur contact avec le multiculturalisme montréalais, de faciliter l’apprentissage de l’anglais et de leur faire vivre de nouvelles expériences. Dans le même sens, un dilemme se pose lors du passage des enfants aux études secondaires ou postsecondaires : les parents doivent alors décider s’ils restent en région sans les enfants ou s’ils déménagent pour les accompagner en ville.

Des liens plus solidaires… ou pas

Les facteurs socioculturels et communautaires sont une autre dimension essentielle du processus d’installation et d’ancrage en région. Des témoignages des médecins restés en région, il ressort l’importance d’un accueil chaleureux et des relations de solidarité et d’entraide dans le voisinage.

Bien que les médecins déplorent parfois le peu d’offre culturelle locale (cinéma, théâtre) par rapport à celle de la ville, ils compensent cette lacune par des activités de plein air. Ils ajoutent que le rythme de vie plus simple et lent contribue à créer un cadre de vie idéal non seulement pour élever une famille, mais également pour tisser plus facilement des liens. À l’inverse, les médecins qui avaient quitté la région au moment de l’enquête signalent une certaine distance sociale et culturelle avec la population locale, des divergences dans les intérêts et systèmes de valeurs respectifs, une certaine fermeture des mentalités, un manque d’intimité et de vie privée. Cette absence d’attache serait plus grande chez certains médecins immigrants, qui se sentent perçus comme des « étrangers » en plus d’être des « urbains ». Cependant, plus du tiers des médecins immigrants restent en région au-delà de leur premier contrat de travail, en raison de rapports  socioculturels satisfaisants.

Quant aux jeunes ruraux d’origine immigrée, s’ils retournent après leurs études dans le territoire régional où ils ont grandi, c’est principalement pour la vie communautaire et la qualité de vie. Pareillement, les néo-ruraux déménagent en campagne pour vivre dans un lieu dynamique où ils pourront s’engager dans les activités locales et la vie associative. Leur désir de vivre dans un milieu où ils pourront améliorer leur qualité de vie globale revient sans cesse dans leurs propos.

De l’origine et de la liberté

Deux facteurs personnels sont susceptibles d’intervenir dans la rétention en milieu rural : d’une part, l’origine rurale des individus et d’autre part, leur goût du défi et leur envie d’une plus grande liberté. Ceci est bien démontré par les entrepreneurs agricoles européens qui migrent au Québec dans le but de réaliser un nouveau projet et pour leur relève, par exemple en poursuivant leur métier d’agriculteur dans des conditions moins précaires. Pour ce qui est des médecins omnipraticiens, leur origine rurale ou, du moins, leur fréquentation antérieure de la campagne ainsi que leur satisfaction à l’égard du mode de vie rural, sont mentionnées comme facteurs d’attraction et de rétention. La même affinité avec l’espace rural se remarque chez les néo-ruraux étudiés puisque la campagne n’était pas toujours un milieu totalement étranger pour eux.

Pour les mêmes raisons, l’origine rurale des conjoint(e)s a un impact sur l’installation en région.  La probabilité de s’installer à long terme en région sera d’autant plus grande que les deux conjoints aspirent à élever leur famille à la campagne et partagent un même intérêt pour la nature, les activités de plein air, les liens personnels plus satisfaisants, le rythme et la qualité de vie en région.

Nature : beauté et difficultés

Des facteurs liés aux caractéristiques physiques du territoire rural et à son cadre naturel peuvent également avoir un poids dans l’attraction, la rétention ou le départ des populations rurales.

Pour les néo-ruraux les jeunes régionaux d’origine immigrée ou les médecins qui ont renouvelé leur contrat de travail, les attraits liés au milieu naturel des territoires ruraux sont multiples et remarquables : beauté des paysages, tranquillité, air pur, accès facile à la nature, possibilités de pratiquer des sports extérieurs. Mais pour ceux qui considèrent ce cadre « bucolique » comme une source de stress  – grandes distances à parcourir, rigueur du climat, routes dangereuses en hiver -, ces facteurs environnementaux s’inscrivent plutôt comme un motif de départ.

Des solutions pour repeupler les régions?

Pour attirer et retenir les familles dans les milieux ruraux, l’auteur suggère, entre autres, améliorer les possibilités d’emploi, diversifier les programmes scolaires – tant pour les enfants que pour les adultes désireux de se perfectionner-, faciliter l’intégration à la communauté et renforcer les infrastructures et activités culturelles. La culture est souvent identifiée comme le parent pauvre de la vie en milieu rural. Il faudrait également, et surtout, tenir compte de l’exigence d’équilibre entre la vie professionnelle, familiale et personnelle, puisqu’elle figure comme une condition décisive de rétention en milieu rural.

Certaines municipalités ont déjà mis en place diverses mesures de repeuplement, par exemple des politiques familiales, culturelles, d’emploi et d’accès au logement, des programmes de dons de terrains et d’exemptions de taxes foncières ou, encore, des plans d’intégration des nouvelles familles (soirées de bienvenue avec trousses d’accueil, parrainage par des familles anciennes).

Contrairement à ce qui est généralement avancé dans les écrits sur le sujet, les facteurs d’attraction et de rétention en région ne se limitent pas à l’emploi, mais touchent les différentes sphères de la vie régionale. Par conséquent, le rôle de l’État, des municipalités, des associations locales ainsi que des différents organismes responsables du développement régional est décisif. Ces instances doivent mettre en place les conditions qui encourageront l’intégration et l’installation durable des nouvelles populations rurales. La présente synthèse se veut autant de pistes de réflexion en ce sens.