À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Hicham Raïq et Charles Plantes, « Trajectoires de pauvreté et monoparentalité : le Québec dans une perspective comparative », publié en 2011, dans Sociologie et sociétés, n° 45, automne, p. 67-90.

  • Faits saillants

  • Le Québec a réalisé des progrès remarquables sur le plan de la lutte à la pauvreté chez les familles. Durant la dernière décennie, ses taux de pauvreté étaient souvent plus faibles que ceux du reste du Canada.
  • Toutefois, lorsque les familles subissent une situation de pauvreté de longue durée, la pente à remonter est presque la même quelque soit la province de résidence.
  • La situation des familles monoparentales est plus alarmante que celle des familles biparentales, quel que soit l’indicateur retenu.
  • Cette étude démontre, que le Québec se démarque des autres provinces canadiennes notamment en ce qui concerne la pauvreté des familles monoparentales. Les nombreuses mesures mises en place par les gouvernements tels que les garderies à contribution réduite, le congé parental et le soutien aux enfants ont nettement contribué à améliorer les conditions de vie des familles.

Le Québec semble s’en sortir mieux que le reste du Canada sur le plan de la pauvreté des familles. Mais est-ce que cette exception se confirme aussi dans une analyse longitudinale de la pauvreté ? L’étude présentée ici s’appuie sur les données provenant de l’Enquête sur la dynamique du travail et des revenus (EDTR) de Statistique Canada. Les auteurs effectuent une « analyse des séquences » visant à décrire les entrées et les sorties d’une situation de pauvreté[1] des familles ayant des enfants de moins de 18 ans.

Les familles monoparentales, caractérisées par la présence d’un seul adulte et d’au moins un enfant dans le ménage, figurent parmi les populations les plus touchées par la pauvreté au Canada. Cette situation pose de sérieux problèmes, d’autant plus que la proportion de familles monoparentales parmi les ménages avec enfants a augmenté de 8,9 % en 1979 à 25,6 % en 2004.

Les études transversales montrent que le Québec serait en meilleure situation que les autres provinces canadiennes sur le plan de la pauvreté des familles monoparentales en raison du développement constant de politiques s’appuyant sur un idéal de justice sociale : le « modèle québécois ».

Toutefois, ces analyses ne nous informent pas sur la nature – est-elle permanente ou intermittente ? – de la pauvreté. Cet aspect est d’une grande importance car les familles qui subissent une situation de pauvreté de longue durée auront plus de difficultés que les autres à s’en sortir. Une analyse longitudinale permet donc de savoir quelle est la proportion des familles qui demeurent plus longtemps dans cette situation. Est-ce que l’exception québécoise se confirme lorsque nous examinons la dimension longitudinale de la pauvreté ?

Évolution de la pauvreté des familles canadiennes entre 2000 et 2009 : l’exception québécoise

Comme le montre le graphique 1, la pauvreté des familles monoparentales semble avoir évolué différemment d’une province à l’autre. En 2000, le Québec montrait un taux de pauvreté des familles monoparentales semblable à celui de la moyenne canadienne tandis qu’en 2009, le Québec enregistrait un taux de pauvreté des familles monoparentales de 22,9 %, contre respectivement 34,1 % en Ontario, 36,4 % en Alberta et 33,5 % en Colombie-Britannique. Il était de 32,4 % au Canada.

Graphique 1: Taux de pauvreté des familles monoparentales entre 2000 et 2009

Graphique 1: Taux de pauvreté des familles monoparentales entre 2000 et 2009

À titre indicatif, les taux de pauvreté des familles biparentales entre 2000 et 2009 ont eux aussi chuté beaucoup plus au Québec qu’ailleurs au pays, terminant à environ 5 %, ce qui est largement en deçà de ceux observés ailleurs au Canada. Ces analyses montrent une évolution distinctive du Québec qui s’expliquerait par les politiques familiales plus généreuses. Selon ces analyses, l’exception québécoise semble bien réelle, mais ces résultats se confirment-ils dans une approche à long terme, longitudinale, de la pauvreté ?

Les familles subissent-elles une situation de pauvreté sur de longues périodes ?

Vivre au moins une année de pauvreté

Les familles monoparentales sont plus susceptibles que les familles biparentales (Figure 1) de vivre au moins une année de pauvreté, tant au Canada dans son ensemble que pour chaque province en particulier. Le Québec reflète la même tendance, bien que les pourcentages soient plus faibles qu’ailleurs au pays : près la moitié des familles monoparentales québécoises ont vécu au moins une année sous le seuil de pauvreté entre 2002 et 2007 contre 17 % des familles biparentales.

Figure 1. Pourcentage des familles ayant vécu au moins une année de pauvreté ou qui n’ont jamais vécu en situation de pauvreté entre 2002 et 2007

a) Familles monoparentales

Figure 1 : Pourcentage des familles ayant vécu au moins une année de pauvreté ou qui n’ont jamais vécu en situation de pauvreté entre 2002 et 2007

b) Familles biparentales

Vivre six années consécutives en pauvreté

Au Canada, ce sont surtout les familles monoparentales qui ont vécu de façon continue en situation de pauvreté entre 2002 et 2007 (Figure 2). Au Québec, cette proportion est plus faible, mais atteint quand même 7,1 % des familles monoparentales.

Figure 2. Pourcentage des familles ayant vécu six années consécutives en situation de pauvreté entre 2002 et 2007

La Figure 3 présente le pourcentage des familles ayant vécu en alternance en situation de pauvreté et de non-pauvreté entre 2002 et 2007. Au Canada et dans l’ensemble des provinces étudiées, les familles monoparentales ont deux fois plus de chance de vivre ces transitions comparativement aux familles biparentales. Au Québec, 42,2 % des familles monoparentales ont connu ce type de transitions. Cela montre que les familles monoparentales ont des trajectoires plus instables que les familles biparentales.

Figure 3. Pourcentage des familles ayant vécu des transitions entre la pauvreté et la non-pauvreté (ou vice versa) entre 2002 et 2007

La difficulté à sortir de la pauvreté

Dans toutes les provinces analysées, l’incidence de pauvreté des familles biparentales est plus faible que celles des familles monoparentales (Figure 4). En d’autres termes, la durée moyenne (en mois) de la situation de pauvreté dans une période donnée est moins longue pour les familles biparentales que pour les familles monoparentales.

Figure 4. L’incidence de pauvreté entre 2002 et 2007 (en mois)

Une autre manière d’appréhender ce phénomène est d’examiner le temps qu’il faudrait à une famille pour se sortir de la pauvreté. Quel que soit leur statut familial, les familles qui viennent de tomber en situation de pauvreté ont tendance à y rester deux ans ou plus avant d’améliorer leur sort (Figure 5). On constate également que, dans toutes les provinces étudiées, les familles monoparentales mettent plus de temps à améliorer leur sort. Tout comme pour l’incidence de pauvreté, le Québec et l’Alberta présentent des situations très semblables avec une durée moyenne plus faible que l’Ontario et la Colombie-Britannique.

Figure 5. La persistance de la pauvreté entre 2002 et 2007 (en mois)

Le Québec se porte mieux que le reste du Canada

Cette étude confirme que la situation des familles monoparentales est plus alarmante que celle des familles biparentales lorsqu’il est question de pauvreté, et cela, quel que soit l’indicateur retenu. Elle démontre aussi que le Québec se distingue à plusieurs égards, et de manière positive, des autres provinces canadiennes étudiées en ce qui a trait à la pauvreté chez les familles monoparentales. Les nombreux programmes mis en place tels les garderies à sept dollars, le congé parental et les prestations pour enfants semblent avoir favorisé un certain niveau d’égalité sociale dans cette province.

Cette étude nous rappelle l’importance de continuer à lutter contre la pauvreté puisque, plus la durée de pauvreté s’allonge, plus les familles ont de la difficulté à s’en sortir. Les familles qui y demeurent plus longtemps auront tendance à cumuler d’autres difficultés liées à la marginalisation, à l’isolement et à l’éloignement du marché du travail. Cela montre que l’événement de pauvreté pèse lourdement sur le parcours de vie des familles, quelle que soit leur province de résidence.

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[1] La pauvreté des familles est mesurée par rapport au seuil de faible revenu de chaque province calculé par Statistique Canada. Ce seuil représente la médiane des revenus après taxes et transferts.