À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Ève Dubé, Maryline Vivion, Chantal Sauvageau, Arnaud Gagneur, Raymonde Gagnon et Maryse Guay, « “Nature Does Things Well, Why Should We Interfere?” : Vaccine Hesitancy Among Mothers », publié en 2016 dans Qualitative Health Research, volume 26, n. 3.

  • Faits saillants

  • Du plus convaincu au plus réfractaire, le choix des mères de faire vacciner son enfant est un spectre avec de nombreuses nuances.
  • Chez les mères qui hésitent à faire vacciner leur enfant : exit la santé publique, seuls les effets sur l’enfant comptent.
  • Bonne ou mauvaise, l’expérience d’un proche ou d’un parent face à la vaccination d’un enfant influence le choix des mères qui hésitent.
  • Les professionnels de la santé influencent la décision de la mère quand vient le temps de vacciner un enfant : leur attitude peut les rassurer ou, au contraire, les braquer.
  • Certaines mères méfiantes face à la vaccination consultent des praticiens de médecine alternative pour les guider dans leur choix. Soi-disant neutres, ils ont pourtant tout à gagner à vendre leurs services.

Quand il est question de santé, les mères sont unanimes : elles veulent le meilleur pour leur progéniture. Cette volonté prend toutefois différentes formes. Question vaccination notamment, certaines suivent avec diligence le calendrier prescrit, tandis que d’autres refusent les vaccins en bloc. Au centre de ce spectre, l’hésitation est de mise : vacciner ou ne pas vacciner ? Donner tous les vaccins selon le calendrier recommandé ou retarder les échéances? Telles sont leurs interrogations. Et l’information qu’elles reçoivent des professionnels de la santé et les expériences vécues dans leur entourage influencent grandement leur décision.

Une équipe composée de spécialistes en anthropologie, en médecine et en pratique de sage-femme interroge 56 femmes pour comprendre ce qui les pousse à faire vacciner ou non leur enfant. Pour bien comprendre leurs hésitations, l’équipe recrute principalement dans les maisons de naissance, expliquant que les naissances qui y ont lieu sont plus souvent associées à une vaccination incomplète ou à une absence de vaccination. Les mères se confient sur leur rapport à la vaccination et à la santé, mais aussi sur l’influence de leur entourage, des professionnels de la santé et des soins de santé alternatifs.

Mon enfant, prunelle de mes yeux

« Qu’est-ce qui est le mieux pour mon enfant? » Ce questionnement tout simple – et sain – est à la base de l’hésitation des mères face à la vaccination. Subira-t-il des effets secondaires? Quels sont les risques s’il n’est pas vacciné? Ces mères, surtout celles qui en sont à leur premier enfant, sentent qu’elles ont besoin de plus d’informations pour prendre la décision qui leur convient le mieux.

Pour nourrir ce besoin de compréhension, les femmes hésitantes examinent chaque vaccin indépendamment. Leur position est moins tranchée que celles qui sont favorables aux vaccins et celles qui les rejettent en bloc. Les nouveaux vaccins, comme celui du rotavirus, suscitent plus d’inquiétudes :

« Comme c’est un vaccin vivant, je pensais que le risque d’être contaminé par les outils était plus grand que celui d’attraper la gastroentérite. Et le fait que c’est aussi un nouveau vaccin, je sais qu’ils mènent des études, mais j’étais inconfortable malgré tout. » – Une mère de plusieurs enfants

Ces préoccupations sont centrées sur leur enfant… et uniquement sur lui. L’impact sur la santé publique est évacué, constatent les chercheurs. Or, les vaccins sont aussi une façon de prévenir la propagation de maladies contagieuses et dangereuses dans la population, grâce à l’immunité collective. 

L’hésitation de ces femmes perdure même après la vaccination, remarque l’équipe de recherche, si bien que deux enfants d’une même famille n’ont pas nécessairement les mêmes vaccins. Ces mères sont aussi plus tracassées après coup, se demandant si elles ont fait le bon choix.

Néanmoins, malgré leurs réticences, plus de la moitié des 25 mères hésitantes ont choisi de donner tous les vaccins, tandis que le tiers en ont refusé quelques-uns ou ont retardé le calendrier. Seulement trois mères hésitantes les ont tous refusés. 

Encouragement ou pression des pairs?

Vers où et vers qui se tourner quand l’hésitation prend le dessus? Pour plusieurs mères, la famille et les proches sont une source de conseils pour prendre une décision éclairée. Que les témoignages viennent de leur partenaire, de leurs amis, ou encore d’autres membres de la famille, ces femmes racontent avoir ressenti une influence positive et un soutien plus qu’apprécié.

À l’inverse, les expériences négatives – par exemple, des effets secondaires importants chez l’enfant d’une voisine – attisent plus souvent la réticence, le report, voire l’abandon de toute vaccination. C’est particulièrement vrai quand les conseils viennent d’une personne que la mère respecte ou encore une à laquelle elle s’identifie. 

La pression sociale reste quant à elle un couteau à double tranchant : certaines femmes racontent avoir vacciné leur enfant parce qu’elles se sentaient jugées ou honteuses. Cependant, elles ne sont pas pour autant rassurées : doutes et craintes subsistent. À un point tel qu’elles pourraient bien les refuser pour un autre enfant.

« Ne vous en faites pas, je suis un professionnel! »

Choix ou obligation? Maintenant ou plus tard? À chaque professionnel de la santé son approche face à la vaccination, et cela se reflète dans la décision des mères hésitantes. Par exemple, les sages-femmes discutent de vaccination dès la fin de la grossesse. Ces professionnelles rappellent que le choix appartient aux parents. Leur approche plus neutre renforce le choix des mères hésitantes à retarder la vaccination, remarque l’équipe de recherche. Plusieurs femmes racontent avoir reçu de la documentation, comme des pamphlets officiels de la santé publique, mais aussi d’autres documents pesant le pour et le contre de la vaccination, ou encore des livres de naturopathie. 

C’est plutôt lors du rendez-vous pour le premier vaccin de deux mois que les discussions avec le médecin ont lieu. L’expérience de celles qui ont reçu des conseils d’une infirmière ou d’un médecin varie : certaines ont apprécié l’écoute et les informations partagées, tandis que d’autres se sont senties poussées ou jugées. 

Plusieurs mères qui se questionnent ou qui refusent les vaccins se montrent méfiantes envers les prescriptions du gouvernement et de la santé publique, les trouvant trop biaisées en faveur des vaccins. À l’inverse, les praticiens de médecines alternatives, soi-disant neutres, gagnent plus facilement leur confiance. C’est oublier qu’ils vendent des produits ou des services à leur clientèle, ce qui ne les rend pas si « désintéressés ». Devant tant de sources, de la plus sérieuse à la plus discutable, pas étonnant que le doute et la confusion soient si présents.

« D’une façon ou d’une autre, quand mon homéopathe me dit que ma fille va avoir un cancer – parce qu’il semble que nous allons avoir un cancer à cause de la vaccination – […] ou des gens ou le gouvernement me disent que les gens continuent de mourir parce qu’ils n’ont pas été vaccinés… tout ça, pour moi, d’un côté ou de l’autre, j’ai vraiment un problème avec ça et c’est pour ça que je n’ai pas encore pris de décision, j’ai du mal à accepter cette information. » – Une mère d’un enfant

Mieux comprendre, mieux accompagner

Les réticences face aux vaccins ont des conséquences réelles. Rappelons-nous les éclosions de rougeoles sur le territoire québécois au cours des dernières années, alors que la maladie est pourtant considérée comme éradiquée depuis 2002. À l’origine de sa recrudescence? La réticence aux vaccins qui a repris de plus belle. Tordre le bras ou juger les décisions parentales sont toutefois loin d’être des solutions idéales pour calmer les inquiétudes, constatent les spécialistes. Que faire alors pour rassurer les parents tout en privilégiant tant la santé des enfants que la santé publique? Nourrir la quête d’information avec des données viables et une approche bienveillante semble être un premier pas prometteur pour diminuer l’hésitation et encourager le dialogue.