À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article d’Aurélie Fillod-Chabaud, « Les usages du droit par le mouvement des pères séparés : une comparaison France-Québec », publié en 2016 dans Genre, sexualité & société, vol. 15, p. 1-21.

  • Faits saillants

  • En France comme au Québec, les groupes de pères séparés de type « militant » considèrent le droit de la famille comme sexiste et injuste. Ils encouragent leurs membres à s’engager dans de longues procédures judiciaires pour obtenir la garde de leurs enfants.
  • Ces groupes militants ont aussi un fort caractère lobbyiste; ils souhaitent que la garde partagée devienne le mode de résidence par défaut (lorsqu’au moins un des parents en fait la demande).
  • Les groupes « institutionnels », exclusifs au Québec, ont une approche diamétralement opposée : ils encouragent les pères à chercher du soutien psychologique et à recourir à la médiation pour régler les conflits.

19 septembre 2005. En pleine heure de pointe, un homme se hisse au sommet du pont Jacques-Cartier et paralyse complètement la circulation. Toutes les caméras sont rivées sur lui lorsqu’il déroule une banderole affichant les mots « Papa t’aime ». Ce coup d’éclat, mené par le coordonnateur de Fathers 4 Justice, voulait sensibiliser la population à la situation des pères séparés. Selon cette association, le système judiciaire favorise les femmes lorsqu’il est question de garde d’enfants.

Vérité ou préjugé? Qu’en est-il de la situation ici, au Québec, par rapport à celle de la France? Comment les groupes de pères perçoivent-ils et utilisent-ils le droit? De quelles façons soutiennent-ils leurs membres? Il semble que l’approche des groupes de pères séparés diffère grandement de part et d’autre de l’océan!

C’est ce que constate Aurélie Fillod-Chabaud, sociologue, après une enquête menée entre 2008 et 2012 auprès de divers groupes de pères séparés. En tout, elle interviewe 25 membres d’associations (présidents, militants, bénévoles) et observe une dizaine de réunions de groupe dans les deux régions. Elle analyse également le fichier des adhérents de l’association française SOS papa, ce qui lui permet de connaître le statut socioéconomique de près de 11 000 membres.

Pour quoi militent les pères séparés?

Ce que revendiquent ces mouvements : l’égalité formelle entre les sexes et que la garde partagée devienne la norme. À leurs yeux, les pères sont victimes d’un système judiciaire qui accorde majoritairement la garde des enfants aux mères et qui les « condamne » à payer une pension alimentaire.

Au Québec, la plupart du temps, ce sont les mères qui ont la garde exclusive des enfants à la suite d’une rupture conjugale[1]. Seulement un enfant sur quatre (dont les parents sont séparés) vit en garde partagée. Le système de justice favorise donc les mères? Pas si vite! Ce qu’il faut savoir : dans la très grande majorité des cas, le mode de garde a été décidé hors cours, i.e. sans recours aux tribunaux[2]. Autrement dit, le plus souvent, ce sont les couples eux-mêmes qui s’entendent à l’amiable sur l’une ou l’autre de ces formules (garde exclusive à la mère ou garde partagée).

Les hommes qui rejoignent le mouvement des pères séparés font partie de la minorité de pères qui ont demandé la résidence alternée ou paternelle, mais qui ne l’ont pas obtenue, souligne l’auteure.

Judiciarisation ou médiation?

Les séparations conjugales sont traitées différemment en France et au Québec. En France, tous les divorces doivent être réglés devant un juge. Au Québec, le nombre d’ententes hors cour augmente année après année, et la médiation familiale gagne en popularité. Les pères français ont donc beaucoup plus tendance à recourir au droit que les pères québécois.

À la lumière de ses observations, la chercheure a classé les associations de pères séparés en deux catégories : les ressources militantes et les ressources institutionnelles.

Les ressources militantes : « Se battre jusqu’au bout »

Pour les associations militantes, le droit de la famille est sexiste et injuste, et restreint la liberté d’interprétation des juges. L’auteure note que les pères militants ont généralement un statut socioéconomique supérieur à celui de leur ex-conjointe, ces dernières ayant souvent cessé de travailler plusieurs années pour s’occuper des enfants.

Les groupes militants poussent les pères à s’engager dans une judiciarisation toujours plus forte. À l’association française SOS papa, par exemple, on incite les pères à tout conserver, jusqu’à devenir de véritables « archivistes », dans le but d’influencer la décision des juges.

« Tout document devient une potentielle preuve que les pères pouvaient être amenés à mobiliser. Les enquêtés que nous avons rencontrés sont ainsi devenus des bibliothécaires de leur propre vie, obsédés par la récolte et le classement de preuves : ils concluent leurs échanges avec l’instituteur de leur enfant en demandant une attestation, ils gardent les dessins réalisés au centre de vacances, demandent à ce que leurs proches fassent des photos d’eux avec leurs enfants lorsqu’ils jouent dans la piscine ou font du sport. »

– Aurélie Fillod-Chabaud, sociologue.

En France comme au Québec, les ressources militantes ont un caractère lobbyiste. Leur objectif : faire de la garde partagée le mode de résidence par défaut si au moins un parent en fait la demande. Les pères y trouvent également des conseils juridiques, mais, pour le soutien psychologique, ils doivent chercher ailleurs. En effet, le soutien émotionnel y est peu présent, voire carrément dévalorisé.

« Y’en a qui me trouvent trop direct, qui voudraient parler plus de sentiments. Moi je viens bien écouter, mais arrête de déblatérer contre ton ex, je sais que vous ne vous entendez plus. […] Moi je suis pas psychologue! Je suis pas là pour écouter leur peine de cœur! »

– Le président de l’Après-rupture, une ressource militante québécoise.

Les ressources institutionnelles : combiner le droit et le soutien psychologique

Le deuxième modèle, que l’auteure nomme « institutionnel », est majoritaire au Québec. En France, ce type de ressource n’existe tout simplement pas. Cette approche est diamétralement opposée à celle des groupes militants.  Les pères y sont encouragés à prendre du recul par rapport à leur situation et à ne pas se battre inutilement contre le système judiciaire. Bien au contraire, la médiation familiale y est grandement valorisée.

Les ressources institutionnelles insistent sur le soutien psychologique. Elles s’assurent, notamment, que les pères qui ont des problèmes de santé mentale soient accompagnés par des organismes spécialisés. En plus d’un suivi individuel, les pères sont encouragés à participer à des cercles de discussion, où diverses problématiques en lien avec la séparation sont abordées.

« Le père, il appelle ici pour un besoin juridique important. Il dira jamais « J’ai besoin d’aide, je pleure beaucoup, ça fait trois mois que j’ai pas vu mes enfants et je pense au suicide. » […] C’est en discutant qu’on lui dit : « Et toi, comment tu vis ça? » et puis là on voit le lien qu’il a avec son enfant et à partir du moment qu’on voit ce lien qui est très fort, automatiquement, on se dévoue pour ce père-là. »

– Le président de l’association Pères séparés, une ressource institutionnelle.

Les membres de Pères séparés rencontrés en entrevue considèrent que l’association les a aidés à « lâcher prise ».

« Je cherchais sans cesse à vouloir changer mon ex et à essayer de diminuer son emprise sur ma fille. Quand je suis arrivé à Pères séparés, je voulais qu’on m’apprenne à mieux contrôler mon ex. Maintenant, je sais que ce n’est pas possible. J’essaie d’entretenir une bonne relation avec ma fille, sans lui mettre la pression pour la voir plus souvent. »

– Raymond, membre de Pères séparés, une ressource institutionnelle.

Valorisation de la paternité

Tant au Québec qu’en France, les groupes militants encouragent les pères à se battre en cour pour faire valoir leurs demandes. Les ressources institutionnelles, qui n’existent qu’au Québec, incitent plutôt les pères à se prendre en main et à régler les conflits avec leur ex-conjointe par la médiation. Cette approche commence cependant à être mieux connue de l’autre côté de l’Atlantique, ce qui porte l’auteure à croire que le mouvement des pères séparés français est en voie de diversification.

Ces dernières années, on assiste à une redéfinition du rôle paternel. Séparés ou pas, les papas souhaitent s’engager davantage auprès de leurs enfants. Mais qu’en est-il du bien-être des principaux concernés? Au final, l’intérêt de l’enfant est le critère qui guide le choix d’opter pour la garde paternelle, maternelle ou partagée.

 

 

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[1] Les mères obtiendraient la garde dans 65,9% des cas. (Diversité et mouvance familiales pendant la petite enfance, Institut de la statistique du Québec, 2010)

[2] 23,2 % : Proportion des enfants québécois qui vivent en garde partagée après une séparation, établie très majoritairement établie sans recours aux tribunaux. (Diversité et mouvance familiales pendant la petite enfance, Institut de la statistique du Québec, 2010)