À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’étude de Heather Michelle Aldersey et Rob Whitley : « Family Influence in Recovery from Severe Mental Illness », publiée en 2015 dans le Community Mental Health Journal, vol. 51, p. 467-476.

  • Faits saillants

  • La famille peut être une alliée pour la personne atteinte de maladie mentale en processus de rétablissement : elle peut lui apporter un soutien moral et pratique et être une source de motivation.
  • Elle peut aussi être une adversaire, en suscitant du stress chez le malade, en le stigmatisant ou en faisant montre d’incompréhension à son égard.
  • L’hospitalisation forcée du malade par sa famille peut être favorable ou défavorable à son rétablissement.

En 1979, au États-Unis, des parents de personnes atteintes de maladie mentale fondent la National Alliance on Mental Health (NAMI). Ils font la promotion d’une compréhension de la maladie mentale basée sur ses facteurs biologiques, parce qu’ils en ont assez d’être blâmés par les psychiatres. C’est qu’à l’époque, ces derniers accordent parfois un poids démesuré aux comportements familiaux dans le développement de la maladie mentale; par exemple, ils l’associent, dans certains cas, à une mère surprotectrice. Heureusement, de telles conceptions tombent en désuétude, et aujourd’hui, la famille n’est plus considérée d’un œil aussi négatif en matière de santé mentale.

Cette étude a pour objectif d’évaluer l’influence de la famille sur le rétablissement des personnes atteintes de maladie mentale. Par « rétablissement », les chercheurs entendent « la possibilité de mener une vie satisfaisante, nourrie par l’espoir et valorisante, en dépit des inconvénients causés par les troubles mentaux et les maladies mentales[1]. » Il s’agit d’un processus continu dirigé vers l’amélioration de la qualité de vie.

Ils ont interrogé 54 individus qui avaient reçu un diagnostic de maladie mentale sévère au cours des cinq années précédentes (schizophrénie, dépression majeure, troubles schizo-affectif ou bipolaire). Ceux-ci n’étaient pas hospitalisés, mais avaient toujours recours à des services de santé mentale.

Un soutien moral et « pratique »

Plusieurs participants soulignent le soutien moral apporté par leur famille. Le simple fait de savoir qu’il y a des personnes qui se soucient de leur bien-être facilite leur rétablissement. Cela peut se traduire par des gestes concrets, comme des visites à l’hôpital ou des appels téléphoniques. Alice, 34 ans, raconte qu’elle peut passer des heures au téléphone lorsqu’elle est hospitalisée. D’autres participants évoquent les efforts de leur famille pour comprendre leur maladie ou les encouragements prodigués pour qu’ils continuent leurs traitements.

Les participants notent aussi des gestes plus « pratiques » qui contribuent à leur rétablissement. Certains reçoivent, par exemple, de l’argent de poche ou de l’aide pour accomplir les tâches ménagères. Michel, 40 ans, explique que sa famille l’a souvent amené manger à l’extérieur et qu’elle lui a acheté beaucoup de choses, ce qui l’a grandement aidé par le passé.

Une motivation

Pour un grand nombre de participants, la famille représente une motivation pour se soigner. Certains veulent s’assurer d’être disponibles pour subvenir aux besoins de la famille qu’ils ont déjà, ou désirent en fonder une. D’autres souhaitent reconnecter avec des proches qu’ils ont blessés en raison de leur maladie. Luke, 37 ans, rapporte qu’il a cessé de boire et de fumer et qu’il tente de ne pas s’attirer d’ennuis afin de rétablir ses relations avec sa famille et être présent pour elle.

Une source de stress

Ainsi, la famille peut être une alliée pour la personne atteinte de maladie mentale; mais elle peut aussi être une adversaire. Des participants parlent du stress que suscitent chez eux les comportements de leur famille. Ils sentent parfois qu’elle les juge ou qu’elle n’approuve pas leurs choix; qu’elle s’adresse à eux comme s’ils étaient particulièrement vulnérables ou naïfs. D’autres décrivent des situations qui ne sont pas nécessairement rattachées à leur maladie mais qui les préoccupent vivement, comme la maladie ou le décès de parents ou divers conflits familiaux. Marie, 58 ans, dit avoir demandé à son fils de quitter la maison parce que leur cohabitation se déroulait très mal et que cela la rendait malade. Elle s’est sentie beaucoup mieux lorsqu’il s’est trouvé un appartement.

Entre stigmatisation et incompréhension

Certains participants affirment se sentir stigmatisés ou incompris au sein de leur famille, ce qui constitue un obstacle à leur rétablissement. Francine, 61 ans, révèle que sa fille l’évite pour ne pas être associée à sa maladie. Elle a honte et ne veut pas que ses amis sachent que sa mère est malade. Anne, 34 ans, raconte qu’elle a invité son père plus d’une fois à ses rendez-vous médicaux, mais qu’il ne l’y a jamais accompagnée. Elle aimerait que sa famille s’informe davantage et n’attribue pas la cause de son trouble bipolaire à ses relations amoureuses passées, par exemple.

L’hospitalisation forcée

Enfin, les participants parlent du fait d’être hospitalisés contre leur gré par leur famille, ce qui favorise ou entrave leur rétablissement. Anne confie s’être sentie trahie lorsque son père l’a amenée à l’hôpital pour demander son hospitalisation, même s’il lui avait promis de ne pas le faire. Jean-Claude, 25 ans, exprime une impression différente : son père a provoqué son hospitalisation en appelant les services d’urgence devant son comportement agressif, mais il y a vu la première étape de son rétablissement.

Des rôles différents selon le lien familial ?

Les chercheurs identifient quelle influence peut avoir la famille sur le rétablissement d’une personne atteinte de maladie mentale, mais ils n’évaluent pas si cette influence varie selon le lien familial. Le père et la mère tiennent-ils des rôles plus importants que les frères et sœurs, par exemple ? Il s’agit là d’une voie à explorer dans des recherches futures.