À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie-Christine Saint-Jacques, Élisabeth Godbout et Hans Ivers, « Opinions de la population québécoise à l’égard de la séparation parentale », publié en 2016, dans Cahiers québécois de démographie, vol. 45, n° 2, p. 247-267.

  • Faits saillants

  • La grande majorité des Québécois (87 %) croient que les gens se séparent trop facilement, mais ils sont aussi très nombreux (60 %) à penser que cette option est la meilleure lorsque le couple ne parvient pas à régler ses difficultés.
  • De manière générale, les participants perçoivent les familles traditionnelles plus positivement que les familles monoparentales.
  • Les chefs de familles monoparentales et les personnes séparées ont généralement une meilleure opinion des ménages monoparentaux.

« Les enfants dont les parents sont séparés vont subir les conséquences négatives de la séparation toute leur vie. » Cette affirmation vous semble-t-elle exagérée? Si oui, vous serez probablement surpris d’apprendre que près de la moitié des participants à cette étude sont d’accord avec celle-ci!

Des chercheurs de l’Université Laval ont voulu connaître l’opinion de la population québécoise sur la séparation parentale, par le biais d’un sondage en ligne. Au total, 1202 personnes, dont 701 hommes et 501 femmes, ont participé à cette étude. Afin de savoir « qui pense quoi », les chercheurs ont pris en compte plusieurs caractéristiques des participants, telles que l’âge, la région habitée, l’état matrimonial, la langue maternelle, le revenu et le niveau de scolarité.

Trois grands thèmes ont été évalués : l’acceptabilité de la séparation, les conséquences perçues de la séparation pour les enfants et la valeur accordée aux familles monoparentales par rapport aux familles intactes. Pour chaque énoncé du Tableau 1, les participants devaient se positionner sur une échelle en quatre points allant de « Tout à fait en accord » à « tout à fait en désaccord ». Ils avaient également la possibilité de répondre « Je ne sais pas » ou de s’abstenir.

Tableau 1. Mesures utilisées pour évaluer l’opinion au sujet de la séparation parentale

Un portrait nuancé

D’emblée, on remarque que l’opinion des Québécois sur la séparation parentale est plutôt nuancée. La très grande majorité des répondants (87 %) pensent que les couples se séparent trop facilement, mais ils sont aussi très nombreux (60 %) à croire que cette option est la meilleure lorsque le couple ne parvient pas à régler ses problèmes.

« Les Québécois semblent considérer que les gens ne font pas assez d’efforts pour sauver leur couple et souhaiteraient que la séparation soit plus souvent évitée. Cependant, en cas d’impasse, celle-ci apparaît acceptable, voire préférable pour les enfants, pourvu qu’on les épargne des conflits. »

Lorsqu’on les questionne sur les conséquences de la séparation, les opinions sont partagées. Plus de la moitié des participants (52 %) pensent que les parents resteront en conflit longtemps après la séparation, et un peu moins que la moitié (44 %) croient que les enfants vont en subir les conséquences… toute leur vie! Ce point de vue s’observerait plus fréquemment chez les répondants âgés de 65 ans et plus (60 % contre 52 % pour les conflits, 50 % contre 44 % pour les conséquences chez les enfants).

Stressantes, les familles monoparentales?

Les chercheurs ont demandé aux participants de choisir parmi huit qualificatifs (quatre à connotation négative, quatre à connotation positive) pour décrire les familles traditionnelles[1] et monoparentales. De manière générale, la famille traditionnelle est mieux perçue que la famille monoparentale; on la dit, entre autres, « stable » et « sécurisante ».

À l’inverse, la famille monoparentale est plus souvent qualifiée de « complexe » et de « dysfonctionnelle », mais pas de façon majoritaire, sauf quand on la décrit comme « stressante ». Les participants provenant de familles traditionnelles emploient, en moyenne, près de deux fois plus d’adjectifs négatifs pour décrire les ménages monoparentaux que les autres!

Graphique 1. Descripteurs positifs et négatifs choisis parmi les répondants pour décrire les familles traditionnelles et monoparentales

Cinq profils d’opinion

Pour faciliter l’interprétation des données, les chercheurs ont classé les répondants en cinq « profils d’opinion » : les nostalgiques peu alarmistes, les modernistes, les paradoxaux, les traditionalistes et les promonoparentalité.

Graphique 2. Profils d’opinion sur la séparation parentale et les formes familiales

Les « nostalgiques peu alarmistes » (19 %)

Les nostalgiques peu alarmistes ont une vision plutôt négative de la séparation, mais ne croient pas pour autant qu’elle entraîne des conflits parentaux interminables ou des conséquences graves pour les enfants. La langue maternelle de la très grande majorité d’entre eux est le français.

Les « modernistes » (11 %)

Les modernistes ont une vision plutôt positive de la séparation, et croient que les enfants en famille monoparentale ont autant de chances d’être heureux et de bien se développer que ceux des familles intactes. Ce qui les distingue des autres? Leur très mauvaise opinion de la famille traditionnelle, qu’ils associent généralement à des qualificatifs négatifs (ex : dysfonctionnelle, conflictuelle, etc.). On retrouve une proportion plus importante de jeunes de 25 à 34 ans chez les modernistes que dans les autres groupes. Ils sont aussi plus nombreux à être célibataires et à avoir complété des études universitaires.

Les « paradoxaux » (24,5 %)

Pour les paradoxaux, la séparation est perçue comme une « bonne chose » lorsque le couple est malheureux. Selon eux, maintenir les enfants dans un climat conflictuel serait plus néfaste que la séparation elle-même. Paradoxalement, ils entretiennent une opinion plutôt négative de la famille monoparentale.

Les « traditionalistes » (23 %)

Les traditionalistes, parmi lesquels on retrouve une plus forte proportion d’hommes et de personnes mariées, s’opposent fortement à la séparation. D’après eux, les parents doivent rester unis à tout prix, sans quoi les enfants souffriront des conséquences de la séparation à long terme. Fait intéressant : ils ont rarement vécu une séparation ou un divorce.

Les « promonoparentalité » (22,5%)

Sans surprise, les « promonoparentalité » ont une vision plus positive des familles monoparentales, qu’ils décrivent le plus souvent comme « stable », « normale » et « heureuse ». Ils sont plus nombreux que les autres à avoir vécu une séparation ou à être eux-mêmes chefs de famille monoparentale. Selon les auteurs, cela pourrait indiquer une tendance à percevoir plus positivement les situations que l’on vit soi-même.

Modernistes et traditionalistes

Dans cette étude, deux profils d’opinion s’opposent tout particulièrement : les modernistes et les traditionalistes. Les premiers, qui ont une vision très négative de la famille traditionnelle, sont plus souvent jeunes, célibataires et scolarisés. Les seconds, qui valorisent fortement la famille traditionnelle et s’opposent à la séparation parentale, sont majoritairement des hommes et des personnes mariées. Ces résultats font écho à ceux d’études passées[2], qui avaient démontré que les personnes plus scolarisées et les femmes ont tendance à avoir une vision moins conservatrice de la famille.

De l’idéal à la réalité

La plupart des participants de cette étude perçoivent la famille biparentale intacte comme un modèle idéal. Pourtant, bien qu’il demeure majoritaire, ce modèle perd en popularité depuis quelques décennies. Aujourd’hui, par exemple, les ménages monoparentaux représentent plus du quart des familles québécoises avec enfant.

Selon les auteurs, il faudrait développer des représentations plus positives des familles séparées et recomposées, afin de mieux refléter la réalité. Le cinéma québécois, par exemple, offre dans plusieurs instances un portrait nuancé de la famille. De nos jours, un nombre croissant de films s’éloignent des clichés véhiculés dans la culture populaire et mettent en scène des parents veufs et des familles monoparentales épanouies.

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[1] La définition suivante a été présentée aux répondants avant qu’ils commencent à remplir le sondage : « famille composée de deux parents et de leur(s) enfant(s) biologiques ou adoptés ».

[2] Gubernskaya, 2010; Kinlaw et collab., 2015; Pew Research Center, 2011; Treas et collab., 2014.