À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie-Noëlle Bélanger-Lévesque, Marc Dumas, Simon Blouin et Jean-Charles Pasquier, « « That was intense! » Spirituality during childbirth: a mixed-method comparative study of mothers’ and fathers’ experiences in a public hospital », publié en 2016, dans BMC Pregnancy and Childbirth, vol. 16, n° 1.

  • Faits saillants

  • La spiritualité peut être une source de soutien dans les moments difficiles, mais aussi dans les plus beaux, comme la naissance.
  • La spiritualité occupe une place importante en contexte d’accouchement, tant chez les pères que chez les mères.
  • Certaines différences existent entre les parents lors de l’accouchement; par exemple, les pères ont plus de difficulté que les mères à lâcher prise.

Imaginez-vous une femme sur le point d’accoucher à l’hôpital. On vient de l’installer dans une chambre; le travail a commencé. Lorsque l’infirmière entre dans la salle, elle lui demande : « Avez-vous des croyances spirituelles que nous devrions prendre en considération? » Inutile de dire que plusieurs femmes seraient surprises d’entendre cette question!

Il est vrai que nous avons tendance à considérer que la spiritualité a surtout sa place dans des contextes plus tragiques, comme en fin de vie. En effet, peu d’études ont analysé la place qu’occupe la spiritualité chez les gens au tout début de la vie ou lors d’évènement plus heureux, tel que l’accouchement. Elles sont encore moins nombreuses à avoir comparé les perceptions des mères et des pères dans un tel moment.

Des chercheurs de l’Université de Sherbrooke ont étudié cette question à partir de questionnaires distribués à près de 400 nouveaux parents (197 couples), entre 12 et 24 heures après l’accouchement, au Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CHUS). Ce questionnaire comprenait un ensemble d’énoncés décrivant différents aspects de l’expérience spirituelle pouvant être vécue lors de l’accouchement, tels que « Je me suis rendu compte combien la vie est fragile » ou « J’ai été capable de lâcher prise dans la salle d’accouchement ». Les parents devaient noter, selon une échelle de 0 à 5 points, le degré d’importance qu’ils accordaient à ces différents aspects. Ils avaient aussi la possibilité d’ajouter des commentaires pour expliquer comment ces affirmations s’appliquaient à leur situation.

Qu’entend-on par spiritualité?

Dans la littérature scientifique, il n’existe pas de consensus quant à la définition de la spiritualité. Elle se distingue de la religion, puisqu’elle n’est pas nécessairement encadrée par une institution ou par des rites précis. Les auteurs mentionnent le caractère multidimensionnel de la spiritualité; elle concerne les pensées, les souvenirs et les expériences qui revêtent une signification particulière et s’inscrivent dans une quête de sens.

Pour mieux comprendre les perceptions des parents, les auteurs ont identifié dix thèmes spirituels : les aspects relationnels, la responsabilité envers l’enfant, l’appréciation de la beauté, la gratitude, le sentiment qu’il existe plus grand que soi, la prière, la fragilité de la vie, l’accomplissement de soi, le sens de la vie et le lâcher-prise. Le Tableau 1 comprend des exemples pour chaque thème.

Tableau 1. Dix thèmes spirituels

De manière générale, la spiritualité occupe une place importante chez les hommes et les femmes. Les futurs parents vivent des expériences spirituelles semblables, mais se distinguent légèrement sur certains aspects, comme le démontre le Graphique 1.

Graphique 1. Scores des mères et des pères pour les dix thèmes spirituels

Respect, responsabilité et beauté de la vie

Les nouveaux parents témoignent d’une expérience relationnelle forte et très positive; la majorité d’entre eux se sont sentis respectés par le personnel soignant. Par exemple, une femme, dont la partenaire accouchait, dit s’être sentie acceptée en tant que conjointe et deuxième mère.

Pour ce qui est de la responsabilité envers l’enfant, les parents considèrent que « ça va de soi ». D’ailleurs, plusieurs pères mentionnent leur rôle de protecteur. Qu’en est-il des parents qui ne se sont pas sentis interpellés par cet énoncé? Une mère, par exemple, explique que son devoir envers l’enfant était différé puisqu’il était en néonatalogie.

De manière générale, les participants considèrent que la naissance d’un enfant est un évènement magique; ils disent avoir apprécié la beauté de la vie lors du premier contact avec leur bébé.

Prier, mais pour quoi?

Les pères comme les mères se sentent rarement guidés par une force « plus grande qu’eux-mêmes » et ressentent peu le besoin de prier. Les parents interprètent cette « force » à leur manière : elle est surtout associée à une forme humaine, plutôt que divine. Par exemple, la plupart des parents disent s’être sentis guidés par une personne présente dans la salle (ex : personnel, conjoint, bébé) lors de l’accouchement.

De manière générale, les parents éprouvent très peu le besoin de prier lors de l’accouchement, sauf lorsqu’ils sont confrontés à une situation médicale dangereuse (ex : cordon ombilical autour du cou du bébé, accouchement difficile). Certains parents se sont sentis offusqués par les questions concernant la prière; un père a mentionné que « la science a résolu plus de problèmes que la foi elle-même », alors qu’un autre considérait le sujet inapproprié.

Fragilité de la vie et lâcher-prise

Généralement, les parents ont des perceptions semblables par rapport à la dimension spirituelle de l’accouchement. Toutefois, de petites différences émergent pour deux thèmes en particulier. La fragilité de la vie, par exemple, est le seul aspect qui est plus significatif pour les pères que pour les mères. En effet, les nouveaux pères éprouvent plus souvent de la peur, alors que de nombreuses mères soulignent la force de la vie plutôt que sa fragilité.

Un autre thème qui différencie les parents : le lâcher-prise. En général, les mères ont plus de facilité à lâcher prise, notamment en suivant le rythme naturel de l’accouchement. Les pères ont tendance à rester un peu plus en contrôle, puisque, selon eux, cela est inhérent à leur rôle de protecteur.

Un regain d’intérêt pour la spiritualité?

La spiritualité est peu abordée dans le monde médical. Se pourrait-il qu’elle soit un sujet tabou, puisqu’elle est souvent associée aux croyances religieuses? Pourtant, la naissance est un évènement intense, une expérience qui peut être qualifiée de spirituelle. Dans cette optique, les auteures estiment que le personnel soignant devrait être formé afin de prendre en compte la dimension spirituelle chez leurs patients.

Cette proposition pourrait aussi bénéficier à d’autres clientèles en milieu hospitalier; la spiritualité se décline de différentes façons, selon les personnes, et peut contribuer au bien-être individuel, tout particulièrement dans les moments de crise.