À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Raymonde Gagnon, « L’enfant à naître : dispositifs de contrôle dès que la vie paraît », publié en 2019 dans Enfances, Familles, Générations, n° 33.

  • Faits saillants

  • Avec les avancées technologiques, la maternité - et tous les tests et examens de surveillance qu’elle implique - commence de plus en plus tôt.
  • Les tests de grossesse, qui offrent une réponse de plus en plus précoce, amènent les futures mères à amorcer les démarches entourant la maternité (ex. : retrait préventif au travail, recherche d’une place en garderie) avant même l’apparition de signes tangibles de la grossesse.
  • Être rassurées, se créer des attentes face au bébé et rendre l’expérience plus concrète pour le futur père : voilà les principales raisons pour lesquelles les mères souhaitent passer une échographie.
  • À l’annonce de la grossesse, passer divers tests dits de « routine » fait maintenant partie de la norme. Même s’ils sont optionnels, les futures mères ressentent parfois de la pression de la part de leur entourage pour y recourir.

Tests de grossesse, échographies, tests de dépistage prénatal : au fil des ans, la technologie entourant la maternité n’a cessé d’évoluer, à un point tel qu’il est aujourd’hui possible de surveiller de plus en plus près la progression d’une grossesse. Quel est l’impact de ces nouvelles technologies sur l’expérience des futures mères ? Selon plusieurs, elles influencent la manière de vivre la grossesse et de se représenter l’enfant, et ce, dès le moment de la conception. 

C’est le constat d’une étude menée par Raymonde Gagnon, professeure au département sage-femme de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Afin d’explorer le rôle des technologies entourant la grossesse et la manière dont elles influencent le rapport à la maternité, elle donne la parole à 25 femmes âgées de 24 à 41 ans enceintes de leur premier enfant

Le test de grossesse : une réponse et des conséquences précoces

L’embryon : un petit être à protéger dès les moments de la conception ? C’est souvent l’impression des femmes, puisque les tests de grossesse offrent une réponse en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Maman!

Comme il est maintenant possible de connaître le résultat avant même un retard menstruel, les femmes peuvent amorcer les démarches en lien avec la grossesse et l’accouchement plus tôt. Par exemple, certaines procèdent à l’inscription de leur futur enfant à la garderie dès la première semaine, car les places se font rares. Pour d’autres, l’idée de l’admissibilité au retrait préventif du travail[1] germe. Elles en font parfois la demande, mais se sentent parfois pressées de s’y conformer dès le début de la grossesse pour la sécurité de leur fœtus. Non seulement cette démarche leur fait craindre la réaction de leur employeur, mais elle les oblige également à annoncer leur grossesse plus tôt qu’elles ne l’auraient voulu. 

L’enjeu ? Les futures mères se sentent parfois prisonnières face à cet enfant à protéger, alors qu’elles ne vivent encore aucun signe concret de la grossesse. Les bouleversements sur leur vie professionnelle et sociale sont parfois un coup dur à encaisser.

« J’veux revenir en arrière, j’veux ma vie d’avant, et je ne comprenais pas pourquoi je ne pouvais plus aller travailler. Je l’savais, mais en dedans d’moi j’disais : j’suis en forme, j’peux faire mes choses. J’ai été arrêtée à quatre semaines et demie. […] À la longue-là, tu sais quand qu’on a écouté l’cœur du bébé-là, ce sont toutes des affaires qui m’ont fait prendre conscience que…, là j’le fais, mais pour une raison […] là c’était concret, j’hiberne pour mon bébé. Et à partir de ce moment-là ç’a comme mieux été… » (Florence, 25 ans, suivie par un gynécologue-obstétricien)

L’échographie : s’imaginer l’enfant en devenir

Être rassurées, pouvoir se projeter dans le futur et rendre la venue de l’enfant plus concrète pour le futur père : si une technologie est concrète, c’est bien l’échographie. D’un point de vue clinique, la première sert à déterminer la date de conception et donc de naissance prévue, ou à mesurer la clarté nucale (marqueur de la trisomie 21). Or, les femmes y perçoivent plutôt « du réalisme » et de la « magie ». 

« Tu sais l’expérience de l’échographie là, c’est spécial. J’ai été surprise parce qu’aussitôt qu’elle met son bidule sur le ventre, on le voit à l’écran. […] dans l’fond ç’a mis du réalisme, ça a mis un peu plus d’amour dans l’histoire. […] Puis déjà, j’ai trouvé que notre bébé était beau puis ça te donne un peu plus hâte de l’avoir là. » (Bianca, 29 ans, suivie par un gynécologue-obstétricien)

La seconde échographie, souvent anticipée avec bonheur pour qui souhaite découvrir le sexe du bébé, est aussi celle qui permet de dépister des malformations.

Dépistage de la trisomie 21 : un choix éclairé ? 

Subir plusieurs tests dits de « routine », dont celui du dépistage de la trisomie 21, est devenu la norme. Même si celui-ci est optionnel, la grande majorité des participantes choisissent d’y recourir, car il est gratuit et non invasif. Par contre, elles vivent une tension entre leur besoin d’être rassurées et les risques de l’examen (ex. : faux-positifs), ou encore remettent en question la pertinence d’un tel test. 

« […] Je pense que la trisomie 21, ce ne sont pas des personnes qui méritent tant que ça d’être éliminées de la surface de la planète. Je pense qu’ils sont fonctionnels quand même. Oui c’est un retard, mais… je ne vois pas pourquoi que c’est eux autres qu’on met le doigt dessus puis de les éliminer, alors qu’on sauve des bébés prématurés qui vont être handicapés […] Pourquoi ? Parce qu’on peut le dépister tu me diras… mais je ne le sais pas, je suis un peu mitigée par rapport à ça. » (Chloé, 33 ans, suivie par une sage-femme)

Quelques-unes soulignent au passage avoir ressenti de la pression de la part de leur entourage à passer tous ces tests. Par exemple, les proches peuvent se montrer insistants pour connaître le sexe du bébé ou pour s’assurer qu’il ne présente aucune anomalie. 

Une surveillance étroite, dès l’aube de la vie

Tout porte à croire que le dépistage prénatal deviendra de plus en plus poussé, et qu’il sera possible de détecter davantage de conditions héréditaires ou congénitales. Plus récemment, des applications permettant de suivre le développement du fœtus ont fait leur apparition, et permettent de surveiller la grossesse de manière encore plus étroite, et ce, dès les premières semaines. 

« La précocité des tests de grossesse et de dépistage amène les femmes à se questionner dès les premiers moments de la conception et à entrer dans une mouvance d’insécurité alors qu’elles doutent même d’être enceintes. » (Raymonde Gagnon, professeure en pratique sage-femme à l’Université du Québec à Trois-Rivières)

L’importance accordée au fait d’avoir un enfant dit « normal » et le désir des parents d’être rassurés fait en sorte qu’ils adhèrent aux mesures proposées, sans toujours connaître les options qui s’offrent à eux. Qui plus est, le manque de temps et l’abondance d’informations peuvent compromettre l’autonomie des femmes, souligne la chercheuse. Comment les aider à faire un choix éclairé ? Les outils d’aide à la décision, qui fournissent de l’information à propos des options et des résultats possibles, semblent une avenue intéressante. Par exemple, ceux utilisés pour le dépistage de la trisomie 21 informent les femmes enceintes des avantages et des inconvénients du test. Petit bémol cependant : ils restent encore bien peu répandus. 

 


[1] « Programme gouvernemental québécois permettant à une femme enceinte ou qui allaite, lorsqu’elle travaille dans des conditions dangereuses pour sa santé ou celle de l’enfant à venir, d’être retirée de son milieu de travail ou réaffectée à d’autres tâches et de recevoir une rémunération (CSST, 2016). On estime à plus de 37,4 % le nombre de femmes touchées par ce programme (Gagnon, 2017). »