À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Andrée Sévigny et Danielle Lepage, « Le déploiement des maisons des grands-parents en milieu rural : l’intergénérationnalité en action », publié en 2017, dans Vie et vieillissement, volume 14, no 2.

  • Faits saillants

  • Dans les régions rurales, la majorité des interactions entre les aînés et les jeunes se font au sein de la famille.
  • Loin des centres urbains, l’isolement guette les aînés, en raison de la distance, de l’absence d’une connexion Internet ou de la perte de services.
  • Les Maisons des grands-parents (MGP) permettent de garder les personnes aînées actives, tout en les impliquant auprès des jeunes, ce qui peut dynamiser les régions rurales.

Diminution des services de santé et des écoles, accès Internet capricieux, exode des jeunes pour les études supérieures, déménagement des guichets automatiques et des épiceries : le vieillissement de la population frappe fort en région rurale, où les services viennent à manquer pour les jeunes comme pour les plus vieux. Comment dynamiser ces régions, sans oublier les aïeuls?

Et si la réponse passait par la création de nouveaux liens entre les générations? C’est ce que proposent les maisons des grands-parents (MGP). De quoi s’agit-il? Ce sont des organismes communautaires qui valorisent le rôle des aînés dans la société. Comment? À travers des activités où ils rencontrent leurs jeunes concitoyens. Les aînés sont eux-mêmes à l’origine des initiatives instaurées dans ces maisons, ce qui contribue à les maintenir actifs et engagés dans leur communauté.

Six MGP existent présentement au Québec, toutes en milieu urbain. Pour savoir si un projet semblable pourrait exister hors des grands centres, les chercheures Andrée Sévigny et Danielle Lepage se questionnent sur la vie en campagne et comment s’y manifestent les échanges entre les générations. Elles ont tenu cinq groupes de discussion, le premier avec des membres des MGP existantes, et les quatre autres avec des citoyens de régions rurales impliqués dans leur communauté. Ces discussions, tenues dans différentes régions du Québec, ont permis de recueillir les propos de 39 personnes.

Tableau 1. Les différents intervenants de l’étude

Des familles tricotées serrées

Pas toujours facile de se rencontrer entre jeunes et vieux, surtout en région rurale où les échanges sont plus limités! Et quand ça arrive, c’est principalement à travers la famille. Les chercheures remarquent que plusieurs aînés – qui sont aussi grands-parents – habitent la porte d’à côté de leur famille proche. Ils vivent ainsi auprès de leurs enfants ou petits-enfants, et vice versa.

« Les familles sont tissées serrées. […] Je voyais plus de familles qui avaient leurs enfants avec eux, dans leurs logements, ou bien ce sont des maisons à trois étages, et un des enfants habitait un étage. Donc ils voyaient leurs petits-enfants, parce qu’ils étaient à proximité. » – Une personne interrogée

C’est vrai au sein d’une même famille, mais des liens se créent aussi avec les autres familles du village. Des intervenants rapportent que les gens sont plus proches en campagne, et que les familles entre elles « se connaissent toutes ».

Quelques activités existent bel et bien, ici et là, pour favoriser les échanges hors famille, histoire de sortir du train-train quotidien. Certaines municipalités mettent en place des jardins communautaires, prétexte à de belles rencontres avec de vieux amis. D’autres créent des parcs proches des résidences pour personnes âgées où se rendent les tout-petits des services de garde éducatifs. Des activités entre les résidents et les enfants peuvent alors être organisées. Les écoles et les centres d’hébergement s’impliquent aussi, et organisent de petites fêtes lors d’occasions spéciales.

Mais, dans de telles circonstances, peut-on vraiment parler d’activités favorisant le lien entre différents groupes d’âge? Comme le fait remarquer un participant, pour parler d’échange entre les générations, il faut que la participation aille dans les deux sens.

« Ce n’est pas juste une visite dans un foyer, ou une pièce de théâtre, ou une chorale qu’on va présenter au centre d’hébergement. Moi, je n’appelle pas ça de l’intergénération, j’appelle ça plutôt de la visite. »

– Un participant

Les MGP se font un point d’honneur à faire fructifier les liens qu’entretiennent leurs bénévoles avec les jeunes. Les activités sont plus récurrentes, et se mettent en place en dehors du réseau familial.

Grands-parents dynamiques, jeunes qui s’impliquent, région unique

Aux prises avec le vieillissement de la population, plusieurs régions rurales se demandent comment redonner un éclat de jeunesse à leur patelin. Pour les partisans des MGP, ces dernières pourraient bien être une solution!

De façon très concrète, des activités plus fréquentes entre les générations aident les plus jeunes à acquérir des connaissances qu’ils utiliseront toute leur vie. Un bénévole a déjà appris à des ados à sculpter et à travailler le bois, tandis que d’autres partagent leurs recettes de cuisine secrètes. Souvent, les jeunes participants en apprennent aussi davantage sur l’histoire de leur village, leur langue et leurs coutumes. Ainsi, on favorise le sentiment d’appartenance, ce qui peut s’avérer très pratique pour encourager les jeunes à revenir s’installer dans leur village, après leurs études.

Mais ce sentiment d’appartenance, si essentiel à la santé d’une région, passe aussi par la participation à une activité positive et constructive, pour les jeunes comme pour les plus vieux. Des personnes interrogées rapportent que, dans certaines régions, faute d’infrastructures pour les animer et les occuper, les adolescents sont laissés à eux-mêmes. C’est aussi vrai chez les aînés qui souffrent d’isolement. Dans une MGP, tout le monde est gagnant, soulignent les auteures. Aînés comme ados restent actifs, motivés et engagés.

Les défis de nos campagnes

Les auteures s’entendent pour dire que vieillir en région rurale n’est pas une mince affaire. Les MGP doivent s’attendre à rencontrer bon nombre de défis avant de voir des retombées positives. Avec le vieillissement de la population, trouver des jeunes à rencontrer et à visiter peut devenir un vrai casse-tête!

Pour trouver des bénévoles, les MGP doivent se faire connaître, ce qui n’est pas non plus de tout repos. Contrairement à la ville, les régions rurales n’ont pas toutes un accès Internet fiable. Les habitations sont souvent éloignées, ce qui complique le porte-à-porte. Plusieurs services, comme les écoles, les hôpitaux, les églises, les centres communautaires, etc., sont regroupés dans un seul village, allongeant les distances et compliquant les liens sociaux entre individus. Une nouvelle MGP en région rurale devra faire preuve de créativité pour aller recruter des aînés et grossir ses rangs.

Et gare à ceux qui croient que les aînés ont la même attitude d’une région à l’autre! Il y a ceux qui ont passé toute leur vie dans le même village, et ceux qui, lors de leur retraite, choisissent de s’installer dans un coin de pays bucolique. Ces derniers sont souvent moins investis dans leur communauté. Les MGP doivent penser à rencontrer ces nouveaux retraités citadins pour leur parler de leur concept, et les amener à s’impliquer dans leur terre d’accueil.

Règle générale, les régions vieillissantes sont difficiles à dynamiser. Or, dans les MGP, les bénévoles décident des activités. Si elles sont en mesure de recruter un bassin de bénévoles conséquents, plusieurs croient qu’une MGP à saveur rurale pourrait empêcher les régions de sombrer dans le marasme. D’autant plus que l’esprit d’entraide reste omniprésent en campagne.

« Quand il y a un pépin, il y a toujours une association qui va payer […]. C’est pas structuré, mais tout le monde est ouvert quand même », remarque un participant, ce qui est encourageant pour de nouvelles MGP en zone rurale.

MGP rurale : dans un village près de chez vous?

Avec tous ces avantages et ces défis, une question subsiste : une MGP rurale, possible ou pas? Les auteures rapportent deux essais lancés au Québec, un premier dans la région de Chicoutimi et le second à Saint-Calixte, dans Lanaudière. Malheureusement, les deux projets ont avorté depuis. Qu’est-ce que ça prend pour que ça fonctionne? Des services décentralisés, qui peuvent se promener d’un village à l’autre, sont peut-être une solution pour contrer les défis liés à la distance. Un porteur du projet est également essentiel, une personne qui y croit fortement et qui peut y mettre du temps. Ça tombe bien : le gouvernement du Québec a lancé le programme des municipalités amies des aînés (MADA) afin de garder les aînés de toute la province actifs et impliqués. Le programme offre une aide financière aux municipalités pour qu’elles créent une politique et des plans d’action en faveur des aînés, puis qu’elles les mettent en œuvre grâce à l’embauche d’une ressource dédiée au dossier. La personne engagée pourrait devenir la voix dont les MGP ont besoin pour s’épanouir or des centres urbains.