À propos de l'étude

Ce texte de vulgarisation résume l’article de Marie Brien-Bérard, Catherine des Rivières-Pigeon et Hélène Belleau, « De l’idéal à la pratique : le partage d’argent de parents d’enfants ayant un trouble du spectre de l’autisme », publié en 2018, dans Recherches féministes, vol. 31, n° 1, p. 199-217.

  • Faits saillants

  • Les parents doivent souvent réorganiser leur budget commun pour répondre aux besoins particuliers de leur enfant vivant avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA).
  • Pour prendre soin de leur enfant, les mères sont plus nombreuses que les pères à quitter leur poste ou à réduire leur temps de travail, ce qui diminue leur autonomie financière.
  • Les mères d’enfants vivant avec un TSA sont particulièrement impliquées dans l’éducation des enfants et ont plus tendance que les pères à utiliser leur argent au bénéfice de la famille (ex. : pour offrir des services privés à leur enfant), plutôt que pour des dépenses personnelles.

Prendre soin d’un enfant qui vit avec le trouble du spectre de l’autisme (TSA) nécessite un investissement important en termes de temps. Puisque les services offerts sont peu accessibles et que les délais d’attente sont longs, ce sont les parents – surtout les mères – qui prennent en charge les besoins particuliers de leur enfant. Pour y parvenir, plusieurs parents doivent diminuer leur charge de travail et réorganiser leur budget commun.

L’argent est-il plus au centre de leurs préoccupations que pour les autres couples en général? Les mères et les pères tentent-ils d’équilibrer les pertes de revenus subies, plus particulièrement par la mère? Tout porte à croire que non, d’après cette étude menée par Marie Brien-Bérard, Catherine des Rivières-Pigeon et Hélène Belleau, chercheures en psychologie et en sociologie.

Entre charges financières importantes et diminution de leurs revenus, le quotidien des parents d’enfants atteints de TSA est parsemé d’épreuves. Pour comprendre leurs dynamiques budgétaires, les auteures ont mené 18 entretiens auprès de parents d’enfants âgés de quatre à dix ans présentant un TSA. Au total, onze mères, six pères et une belle-mère ont participé à l’étude; à noter également qu’un père et une mère étaient chefs de famille monoparentale.

Moins de revenus, plus de dépenses : la mauvaise équation

En plus de réduire leurs heures de travail pour s’occuper de leur enfant, les parents doivent souvent faire des sacrifices financiers pour accéder à des services spécialisés. Conséquence? Des fins de mois plus que difficiles.

Dans cette étude, la majorité des pères travaillent à temps plein, alors que la plupart des mères ont quitté leur emploi ou sont à temps partiel pour s’occuper de leur enfant. À cette perte de revenus s’ajoute le coût exorbitant des services privés (ex. : orthophonie, ergothérapie, etc.), auxquels la grande majorité des familles font appel. S’endetter, puiser dans leur épargne personnelle et même réhypothéquer leur maison : voilà quelques-uns des sacrifices que les parents sont prêts à faire pour se permettre des services spécialisés.

Qu’en est-il de l’aide financière pour les enfants handicapés (ex. : prestations, crédits d’impôt, etc.)? D’après les parents interrogés, elle n’est pas suffisante pour couvrir tous les coûts. En plus, les démarches pour avoir accès à l’aide financière du gouvernement sont longues et complexes : les parents doivent notamment remplir divers formulaires et obtenir l’attestation d’un professionnel qui confirme le handicap de leur enfant.

L’autonomie financière des mères mise à mal

Les mères sont plus nombreuses que les pères à quitter leur poste ou à diminuer les heures consacrées au travail rémunéré pour prendre soin de leur enfant. Sans surprise, le revenu familial baisse et les femmes perdent leur autonomie financière.

Dans leurs discussions, les parents abordent rarement les impacts financiers de ce changement professionnel, et soulignent surtout les avantages pour la famille et pour l’enfant. Bien souvent, les couples n’ont aucune stratégie pour pallier les inégalités de revenu, présumant souvent à tort que la situation ne sera que temporaire.

Une mère, qui a dû changer d’emploi, raconte qu’elle et son conjoint partagent leurs dépenses moitié-moitié malgré les écarts de salaire. Elle peine donc à suivre le rythme de son partenaire.

« Je fais autour de 28 000 ou 30 000 $ et mon conjoint, autour de 70 000 $. C’est ça. Il n’arrive pas à comprendre que, lui, il fait deux fois mon salaire… Et il voudrait qu’on paie moitié-moitié… Je ne suis plus capable. »

– Une mère.

Faire « pot commun » : une stratégie gagnante?

Même lorsque les parents s’entendent pour réduire les inégalités financières au sein du couple, des problèmes subsistent. Par exemple, certaines familles choisissent de mettre en commun leurs revenus, une façon de maintenir l’autonomie financière de la mère et de reconnaître le travail invisible qu’elle effectue. Une solution gagnante? Pas si vite! Même chez les couples qui font « pot commun », la personne qui gagne le plus d’argent peut se sentir plus libre de le dépenser, par rapport à celle qui n’a pas de salaire.

Dépense personnelle ou familiale? La ligne est mince!

Mettre les revenus en commun, c’est bien beau, mais encore faut-il se sentir à l’aise d’utiliser cet argent. Même lorsqu’elles ont accès à l’ensemble des revenus du ménage, les mères dépensent moins pour elles-mêmes que leur conjoint. En fait, elles ont tendance à utiliser leur argent au bénéfice de la famille. Certaines considèrent même les dépenses pour les enfants comme des dépenses personnelles.

« Souvent, je vais acheter quelque chose pour mon fils et je pense « Ah! Je vais acheter quelque chose pour ma fille! » Je dépense plus au niveau familial que pour moi. Alors que mon conjoint, ce pour quoi il dépense le plus, ce sont ses dîners. Tu sais, il mange tout le temps à l’extérieur… »

– Une mère.

Elles sont notamment plus nombreuses que les pères à débourser, voire s’endetter pour que leur enfant puisse avoir accès à des services du secteur privé. Les pères interrogés soulignent moins souvent l’importance de ces services. Plusieurs ne semblent pas avoir conscience de l’ampleur des coûts engendrés.

Comment expliquer cela? Les auteures offrent trois pistes de réponse. D’abord, les mères sont plus souvent impliquées dans l’éducation de leur enfant et ont donc davantage conscience de ses besoins particuliers. Il est aussi possible qu’elles considèrent ces services comme une dépense personnelle, parce que l’intervention externe les soulage d’une tâche qu’elles auraient autrement dû effectuer. Enfin, le fait que les mères reçoivent plus souvent les allocations familiales pourrait alimenter l’idée selon laquelle elles sont les principales responsables des dépenses liées aux enfants.

« Elle est toujours en train de nous dire : « Je n’ai pas d’argent pour payer ça. » Alors qu’elle a reçu 3 500 dollars du gouvernement pour… justement pour [notre fils], donc… Ça serait à elle de gérer. »

– Un père.

Le déni des impacts à long terme

Ce n’est un secret pour personne : la plupart des couples n’aiment pas aborder la question de l’argent. Sans faire exception à la règle, les participants de cette étude discutent peu de la manière dont ils gèrent leur budget. Pourtant, les mères ont souvent des revenus plus faibles que leur conjoint, et dépensent davantage pour la famille, ce qui les place dans une situation précaire. Dans l’éventualité d’une rupture, les femmes en union libre et qui ont un faible revenu sont financièrement à risque, puisqu’elles ne sont pas protégées par les lois du mariage.

Les mères qui quittent leur emploi pour s’occuper de leur enfant s’exposent à plusieurs risques. Par exemple, elles auront beaucoup moins d’épargnes pour leur retraite que leur conjoint. Malgré tout, les couples nient les répercussions financières à long terme, probablement parce qu’ils croient que la situation rentrera dans l’ordre rapidement.

Reconnaître le travail invisible des mères

L’arrivée d’un nouvel enfant au sein d’une famille augmente souvent les différences de revenus entre les deux parents, généralement au détriment des mères. Cette réalité est exacerbée dans les familles d’enfants ayant un TSA, notamment en raison des services spécialisés dont ils ont besoin.

Comme le soulignent les auteures, beaucoup reste à faire pour favoriser le partage équitable des revenus chez les parents concernés, afin d’éviter que les mères ne s’appauvrissent à court, moyen et long terme. Reconnaître le travail invisible et gratuit effectué au sein de ces familles, mais également dans plusieurs autres types de ménages (ex. : ceux comprenant une personne proche aidante) pourrait permettre de diminuer les inégalités.

Rappelons que les enfants des parents interrogés pour cette étude ont entre quatre et dix ans. Sachant que plusieurs services et mesures d’aide financière du gouvernement prennent fin lorsque l’enfant atteint l’âge adulte, d’autres recherches doivent être menées auprès de familles dont les enfants sont plus âgés. L’impact d’un tel changement doit peser lourd pour les parents, de nouveau obligés de réorganiser leur gestion pécuniaire, avec un sérieux déficit dans leurs poches. Une perspective différente, mais à envisager, pour prendre la pleine mesure du problème.